La médecin Nathalie Strub-Wourgaft explique l’urgence pour le continent d’être intégré à la Coalition destinée à accélérer la recherche sur le coronavirus.
Propos recueillis par Mariama Darame
Au 30 mars 2020, 359 essais cliniques étaient enregistrés dans le monde pour la recherche sur les traitements du Covid-19.
En Afrique, aucun essai n’a encore démarré.
Une Coalition pour la recherche clinique sur le Covid-19 a été lancée, vendredi 3 avril, par près de 70 institutions, scientifiques, médecins, bailleurs de fonds et décideurs politiques à travers 30 pays. L’enjeu ? Accélérer la recherche sur le virus dans les pays aux systèmes de santé fragiles et aux ressources limitées, notamment en Afrique, mais également en Asie, en Amérique latine ou encore dans l’est de l’Europe.
Dans un article publié vendredi dans la revue The Lancet, les membres de cette coalition appellent à élaborer une « réponse efficace à une pandémie qui s’aggrave de jour en jour ».
Nathalie Strub-Wourgaft est l’une des initiatrices du projet. Médecin, elle est directrice de l’unité des maladies tropicales négligées au Drugs for Neglected Diseases Initiative (DNDI), une organisation de recherche indépendante basée à Genève et connue pour avoir développé des traitements contre la maladie du sommeil. Pour lutter contre la propagation du Covid-19 en Afrique, elle insiste sur la nécessité de réfléchir à des protocoles de recherche qui prennent en compte « la spécificité de la situation sanitaire sur le continent ».
Comment est né le projet de cette coalition ?
Nathalie Strub-Wourgaft A la mi-mars, nous étions déjà un petit nombre de chercheurs à nous inquiéter, notamment pour le continent africain, alors que celui-ci ne comptait environ que 300 cas. La diffusion du coronavirus restait alors très sporadique, mais nous nous demandions ce qui allait se passer quand la vague épidémique toucherait le continent. Tout de suite, il y a eu un effort formidable de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour mettre en place un protocole de recherche scientifique très ambitieux, à l’échelle mondiale appelé Solidarity.
Mais il n’y avait pas de programme spécifiquement adapté aux pays à faibles ressources.
C’est là qu’est née l’idée de la Coalition pour la recherche clinique sur le Covid-19. Nous proposons aux chercheurs qui commencent un protocole dans un pays africain de pouvoir être mis rapidement en contact avec d’autres chercheurs qui veulent faire la même chose dans leur pays. Parce qu’aujourd’hui si vous êtes au Cameroun, vous n’avez pas nécessairement l’information sur le type d’études disponibles pour commencer votre protocole ni même quel antiviral tester. Dans le meilleur des cas, vous avez le protocole Solidarity de l’OMS et c’est tout. Il faut aller sur Internet et faire des démarches très compliquées pour trouver les bonnes informations. Or nous avons besoin d’aller vite.
Pourquoi est-il nécessaire d’élaborer des protocoles de recherche adaptés aux contextes des pays africains ?
D’abord, l’épidémie évolue très vite. Une récente modélisation nous indique qu’à la mi-mai chaque pays d’Afrique aura atteint les 10 000 cas de Covid-19. Il y a des pays pour lesquels le pic sera atteint dès la mi-avril comme en Algérie, peut-être en Egypte avec une incertitude plus grande. Même s’il faut rester prudent, on sait que cela va arriver tôt ou tard.
Une carte de la fondation Gates recense 359 essais cliniques enregistrés aujourd’hui dans le monde pour la recherche sur les traitements de Covid-19. Mais aujourd’hui aucun essai clinique n’a débuté en Afrique.
Or nous savons faire des essais cliniques en Afrique pour trouver des traitements. Chez DNDI, nous avons travaillé sur la maladie du sommeil et d’autres chercheurs sur le continent ont une solide expérience sur le paludisme, le VIH ou encore la tuberculose. Le problème en Afrique, ce n’est pas la faisabilité des essais cliniques sur le Covid-19, mais c’est qu’ils n’ont tout simplement pas été prévus. Aujourd’hui, la situation est préoccupante. Elle deviendra très inquiétante dans un ou deux mois si rien n’est engagé.
Il faut non seulement réfléchir à des protocoles qui prennent en compte la spécificité du virus, mais aussi la spécificité de la situation sanitaire sur le continent. Il faut adapter nos recherches à la carte sanitaire d’un continent qui comprend moins d’hôpitaux qu’ailleurs, avec certains pays qui comptent moins de 50 ventilateurs pour réanimer des patients. Notre rôle est d’apporter les outils et l’information nécessaires.
Quel est le plan d’action que vous souhaitez mettre en œuvre avec la Coalition ?
Nous pouvons apprendre des difficultés actuelles en Europe pour préparer les pays africains. Aujourd’hui quand vous passez un test en Europe pour le Covid-19, vous attendez parfois quarante-huit heures pour avoir les résultats. Mais en Afrique, cela n’est pas possible. Il faut qu’on puisse aller beaucoup plus rapidement si on veut déployer une stratégie de diagnostic précoce pour éviter d’engorger des systèmes sanitaires déjà fragiles.
Dans notre organisation, nous sommes en train de réfléchir à un protocole de prise en charge des patients pour les traiter avant que leur état ne devienne grave et qu’ils soient hospitalisés. On a peut-être une chance de pouvoir faire quelque chose si on le fait vite, avec l’aide de la Coalition. Nous travaillons sur un site pour mutualiser les données et les projets scientifiques. Cela se fera dans les semaines à venir.
Mariama Darame
Lemonde.fr
Que d’être permanent dans des théories complotistes cachées derrière un pseudo panafricanisme, mettons nous maintenant au travail.
Chercheuses et chercheurs africains, le défi est lancé.
À chacun sa lorgnette !!