Il suggère une loi d’urgence sanitaire à la place de l’état d’urgence (Déclaration)
Le samedi 21 mars dernier, j’ai évoqué avec vous la situation sanitaire de notre pays relativement à la pandémie du COVID19. J’ai salué les premières mesures édictées par le gouvernement pour lutter contre la propagation du virus, et proposé des mesures complémentaires, en raison de la gravité de la situation.
Le lundi 23 mars 2020, le président de la république est monté au créneau, comme je l’avais souhaité, pour adresser un message à la nation et annoncer huit (8) nouvelles mesures, notamment l’instauration d’un couvre-feu, la régulation des transports, le confinement progressif des populations, la mise en place d’un centre d’appel, l’adoption d’un plan de riposte nationale d’un montant de 95 milliards 880 millions de FCFA.
En outre, le chef de l’Etat a dit avoir instruit le Premier ministre, chef du Gouvernement, d’évaluer en concertation avec le secteur privé, l’impact économique et financier du COVID-19 en vue de la prise de mesures supplémentaires pour soutenir l’outil économique ainsi que les populations.
Je voudrais ici saluer l’engagement personnel du chef de l’Etat. Cela était nécessaire afin que nos compatriotes prennent conscience de la gravité de la situation et s’impliquent à travers leur comportement dans la lutte contre la propagation de la pandémie.
Je salue également toutes les mesures annoncées qui devraient contribuer à endiguer la propagation de la maladie.
En effet, comme je l’avais souhaité, l’état d’urgence est nécessaire pour donner au gouvernement les moyens juridiques de réguler la vie économique et sociale du pays dans le contexte particulier imposé par les contraintes de la lutte contre la pandémie.
Toutefois, le décret n*2020-351 du 23 mars 2020 pris en application de la loi n*59-231 du 7 novembre 1959 me paraît inadapté pour faire face à la situation. Les problèmes politiques, diplomatiques, économiques et sociaux posés par la pandémie du COVID19 vont largement au delà des préoccupations essentiellement d’ordre sécuritaire que la loi sur l’état d’urgence de 1959 était censée régler à la veille de l’indépendance de notre pays.
En outre, l’application du couvre-feu a donné lieu à des dérives policières. Il est heureux que la hiérarchie de la police nationale ait pris l’engagement de veiller à ce que cette situation ne se reproduise plus.
En effet, la lutte contre le coronavirus ne saurait justifier des atteintes graves aux droits de l’homme et à la dignité humaine. C’est le lieu d’inviter nos compatriotes à faire preuve de discipline et de civisme pour aider le gouvernement à sauver nos vies et à préserver l’intégrité de notre nation.
Je note par ailleurs que la fermeture effective des bars, maquis, boites de nuit, et autres lieux de distraction, a des conséquences financières et sociales indéniables sur de nombreuses familles, qu’il convient de prendre en compte.
Sur le plan sanitaire, le constat est troublant et préoccupant. Annoncé depuis, le lundi 23 mars 2020, le confinement progressif des populations, en particulier celles de la ville d’abidjan, foyer de la pandémie en Côte d’Ivoire n’est, de façon incompréhensible, pas encore effectif et pour des raisons inexpliquées.
Le gouvernement a t il conscience que chaque jour qui passe ce sont des millions d’Ivoiriens qui sont exposés à la contamination à travers les mouvements de populations à l’intérieur d’Abidjan et entre Abidjan et l’intérieur du pays?
Or, l’objectif général du plan du gouvernement est « de limiter la propagation du Coronavirus en Côte d’Ivoire, de détecter l’infection et de traiter les malades ». Ce plan de riposte a identifié huit (8) axes d’intervention. La surveillance épidémiologique et biologique, premier axe d’intervention, qui vise au dépistage et à l’isolement des cas suspects, a montré ses graves limites dans l’affaire des passagers du vol d’Air France.
En l’absence d’infrastructures publiques de confinement, les cas suspects sont livrés à eux-mêmes à travers un auto confinement à domicile sans surveillance policière ni suivi médical. Or, la contamination explose.
Au moment où je m’adressais à vous, le samedi 21 mars dernier, nous étions à 14 cas. Aujourd’hui, c’est à dire une semaine après, nous sommes à 101 cas, soit une progression de plus de 600%. À ce rythme, nous risquons de franchir la barre de 4000 cas dans deux semaines et de 150 000 cas fin avril, avec le risque de centaines, voire de milliers de morts. D’autant que le pays ne dispose à l’heure actuelle d’aucune capacité de prise en charge des malades et de soins intensifs. Notre inquiétude est corroborée par la récente déclaration du Secrétaire Général des Nations Unies, M. Antonio Guterres, qui dans une interview accordée à france 24 et RFI, le vendredi 27 mars, disait craindre que l’Afrique n’enregistre, dans les mois à venir, des millions de morts liés à la pandémie du coronavirus.
Le laxisme du gouvernement dans la surveillance épidémiologique et biologique risque de nous coûter très cher et de rendre la pandémie hors de contrôle, comme on peut le constater à l’heure actuelle dans certains pays européens.
Chers compatriotes, frères et sœurs, prenez soins de vous. Respectons les consignes de confinement, d’hygiène et de précaution.
Globalement, la gestion de la crise présente à ce jour, de nombreuses insuffisances. Les mesures ont été annoncées sans préparation suffisante, ce qui explique le tâtonnement dans leur mise en œuvre.
Le plan de riposte a mis en place en Comité de pilotage dont l’existence effective est inconnue du public et les actions invisibles. Comment pourrait-il en être autrement quand le Premier ministre qui en est le président est invisible, inaudible et inactif pour traduire dans les actes les orientations du chef de l’Etat, en particulier pour faire connaître les propositions du comité de veille économique, notamment en ce qui concerne les mesures permettant, d’une part, de garantir l’approvisionnement des marchés en produits de première nécessité, pendant la période de la pandémie, et d’assurer la sécurité alimentaire, et d’autre part, de soutenir les entreprises, les travailleurs et les ménages affectés par les mesures de lutte contre le coronavirus.
La fermeture des frontières et les perturbations dans le fonctionnement des entreprises auront des répercussions sur les conditions de travail et les emplois, sur la santé financière des entreprises, la croissance économique et les conditions de vie des ménages.
Partout dans le monde, des mesures sont prises pour adresser ces problématiques. C’est pourquoi je voudrais proposer au gouvernement :
1 – en ce qui concerne les travailleurs et les emplois
– la prise de décisions d’ordre réglementaire ou législatif pour garantir les emplois et les salaires des travailleurs, y compris lorsque l’employeur opte pour l’aménagement des conditions de travail, voire pour le travail à distance.
2 – en ce qui concerne les impacts sur les entreprises et les ménages, Il apparaît évident que l’enveloppe budgétaire de 95 milliards annoncée par le chef de l’Etat sera très largement insuffisante pour soutenir les entreprises et les ménages, et pour juguler les effets d’une prévisible récession économique. Je réitère ma proposition de mettre en place un fonds, d’un montant initial de 1000 milliards de FCFA pour financer le plan de riposte contre le COVID-19. Ce fonds sera alimenté par :
– une réorientation budgétaire en vue de lui affecter 300 milliards par la réduction de certains postes budgétaires, notamment les budgets de fonctionnement de la présidence de la république, des institutions et de certains ministères ;
– une contribution des organismes financiers régionaux pour un montant de 100 milliards. C’est le cas notamment de la BOAD qui vient de décaisser 15 milliards de FCFA au profit de chaque Etat membre de l’UEMOA.
– un appui de 300 milliards provenant des institutions multilatérales de développement, en particulier la Banque mondiale qui a débloqué 12 milliards de dollar pour venir en aide aux pays fragiles affectés par cette crise et du FMI qui a débloqué 50 millards de dollars ;
– une aide bilatérale de 200 milliards à rechercher auprès de certains pays amis, notamment ceux avec lesquels notre pays entretient une forte coopération économique et commerciale. Le Maroc vient dans ce cadre d’obtenir de l’Ue un fonds de 450 millions d’€ pour faire face au coronavirus
– une contributions à hauteur de 100 milliards FCFA de personnalités, entreprises, associations et fondations qui souhaiteraient participer à la lutte contre la pandémie du coronavirus en Côte d’Ivoire. Plusieurs banques établies en Côte d’Ivoire ont déjà fait des dons au gouvernement. Ce fonds sera affecté aux opérations suivantes :
– Achat d’équipements et de médicaments pour faciliter la lutte contre le COVID19, à concurrence de 200 milliards ;
– Octroi d’un filet social correspondant au smig (60.000 FCFA ) pour les travailleurs du secteur informel, les travailleurs indépendants et les salariés du secteur formel pour un montant total de 600 milliards FCFA
– Combler la perte de revenus des entreprises, particulièrement les PME-PMI à hauteur de 200 milliards FCFA
Au-delà de ces mesures, et jusqu’à la fin de la crise, les ménages et entreprises bénéficieront des dispositions suivantes :
1/ Pour les ménages :
– Report du paiement des factures d’électricité et d’eau ;
– Report de tout encours bancaires ;
– Report du paiement de tout loyer et charges locatives.
2/ Pour les entreprises :
– Report du paiement d’impôts, taxes et charges sociales ;
– Report du paiement de tout encours bancaires ;
3 – Enfin, en ce qui concerne les aspects politiques
Dans le contexte actuel de lutte contre la propagation du Coronavirus, les mesures de limitation des déplacements des populations et de confinement ne sont pas de nature à favoriser la participation de tous aux opérations d’identification et d’enrôlement. Aussi, je propose la suspension de toutes ces activités.
Par ailleurs, il serait dommageable à notre nation que la gouvernance démocratique de notre pays soit totalement anéantie par les exigences de la lutte contre la pandémie du coronavirus.
Au contraire, il est impérieux que la représentation nationale, en l’occurrence, l’Assemblée Nationale et le Sénat continuent de fonctionner afin d’exercer en permanence leur mission de contrôle de l’action gouvernementale.
En conséquence, le président de l’Assemblée Nationale et le président du Sénat, en concertation avec le gouvernement, doivent s’atteler à trouver les voies et moyens pour que le Parlement puissent poursuivre sa mission, dans le respect des mesures de protection et de distanciation sociale, notamment en vue de débattre du Plan National de Riposte et sur la Loi d’Urgence Sanitaire.
La crise du coronavirus est multiforme et multisectorielle. Comme nous le voyons, elle transcende les questions de sécurité et de sûreté nationale.
La loi sur l’Etat d’urgence de 1959 est désuète et le décret du 23 mars pris en application de cette loi est inadapté pour faire face efficacement à la situation. Il faut donc un instrument juridique plus adapté pour fonder et légitimer le plan national de riposte. Cet instrument c’est la Loi d’Urgence Sanitaire.
Le coronavirus doit être vaincu. Ensemble, déterminés, discipliné et solidaires, nous le pouvons.
Que Dieu bénisse la Côte d’Ivoire
Fait à Abidjan, le samedi 28 mars 2020
Le Président du FPI
Pascal Affi N’Guessan
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