Pr. Prao Yao Seraphin
Sous le régime Ouattara, la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens ont tout vu, du triste à l’effroyable. Pour la première fois, dans notre pays, des bus se sont renversés dans la lagune, de même, une femme s’est immolée sans oublier des stades qui se sont écroulés. Il est impossible de lister les faits divers enregistrés depuis 2011, dans notre chère patrie. Mais un fait nous paraît fortement destructeur pour notre république, la ségrégation ethnique et sociale qui avance à petit pas mais surement dans notre pays. Et c’est bien là, que nous logeons l’objet de ce présent document. Il n’a pas vocation à documenter un procès politique contre le régime, il se propose simplement d’avertir les Ivoiriens sur une hideuse idéologie qui gangrène notre Nation. Dans un souci de clarté, nous allons dans un premier temps, définir les concepts d’Etat, de Nation et de république afin de bien fixer les esprits. Une fois cette étape franchie, nous présenterons dans un second temps, les actions ségrégationnistes du régime Ouattara.
1. Que savons-nous de l’Etat, de la Nation et de la république ?
A propos des pays africains, Yves Person disait ceci : « Quand on observe le thème de la « construction nationale » en Afrique noire, ce que la colonisation et la décolonisation ont établi en Afrique noire, ce n’est pas la « Nation » mais « L’État » dit « moderne », avec ses « prétentions rationnelles ». Qu’entendons-nous donc par Etat et Etat-nation ? L’Etat c’est l’instance qui oriente, qui arbitre et qui dans bien des domaines décide. L’Etat c’est une puissance, ce n’est pas la seule, protectrice, anticipatrice, et redistributrice. Elle garantit l’idée même du bien commun par-delà la confrontation des égoïsmes ou des corporatismes ou l’exubérance des attentes parfois irraisonnées. L’Etat c’est la référence collective, l’incarnation de l’intérêt général même si l’Etat ne détient pas par lui-même le monopole de l’intérêt général. Car l’Etat est au service de la Nation, il n’est pas la Nation à lui seul. Et l’Etat ne peut pas prétendre tout faire tout seul s’il ignore la multiplicité des organes qui constituent le corps vivant, le corps social, alors il se condamne à l’inefficacité et parfois même à l’impuissance. L’Etat doit être respecté, à condition qu’il respecte les autres partenaires. L’Etat-nation est un domaine dans lequel les frontières culturelles se confondent aux frontières politiques. L’idéal de l’Etat-nation est que l’état incorpore les personnes d’un même socle ethnique et culturel. Cependant, la plupart des Etats sont polyethniques. Ainsi, l’Etat-nation « existerait si presque tous les membres d’une seule nation était organisés en un seul Etat, sans autre communautés nationales présentes. Bien que le terme soit souvent usité, de telles entités n’existent pas ». Quant à la république, empruntons simplement la définition que donne Rousseau : « J’appelle République tout État régi par les lois, sous quelque forme d’administration que ce puisse être : car alors l’intérêt public domine, et la chose publique est quelque chose » (Contrat social, Il, 6). Montesquieu appelle lui, à distinguer, au sein de la république, deux systèmes de gouvernement, le régime démocratique et le régime aristocratique : « lorsque, dans la république, le peuple a la souveraine puissance, c’est une démocratie. Lorsque la souveraine puissance est entre les mains d’une partie du peuple, cela s’appelle une aristocratie ». Au regard de toutes ces définitions, point n’est besoin d’être savant pour savoir que notre pays enregistre les germes de la ségrégation ethnique, et ce, depuis 2011. Rappelons à toutes fins utiles que dans la tradition sociologique, notamment en sociologie urbaine, la notion de ségrégation est utilisée pour désigner la concentration et la séparation de certains groupes sociaux résultant de causes indépendantes de leur volonté et auxquelles sont associés des effets négatifs. La question de la ségrégation ethnique recoupe celle, plus générale, de la démocratie et de l’égalité, non pas seulement en termes d’égalité de condition et d’accès aux diplômes pour des élèves au départ inégaux, mais aussi à partir d’une réflexion sur les conséquences de la démocratisation scolaire et de l’accès de tous à l’emploi. Notons que dans son projet historique, l’école de la République a une double visée : d’une part, l’établissement d’un système méritocratique, d’autre part, l’unification des différences par la construction scolaire d’une nation. Sur le terrain pourtant, la mixité, qu’elle soit sociale ou ethnique, est loin d’être la règle, il faut plus.
2. Et pourtant, la Côte d’Ivoire est devenue ségrégationniste
Pour rappel, notons que la ségrégation sociale est un processus par lequel une distance sociale est imposée à un groupe du fait de sa race, de son sexe, de sa position sociale ou de sa religion, par rapport aux autres groupes d’une collectivité. Aujourd’hui, en Côte d’Ivoire, il y a deux types d’Ivoiriens : ceux du Nord et les autres. Cette ségrégation est la consécration d’une vielle idée. En effet, le régime au pouvoir a longtemps conçu cette idée, avant même la mort du père de la nation, Houphouët Boigny. Tout commence avec la « Charte du Nord », un document élaboré depuis 1991, qui va d’ailleurs servir de fondement idéologique à la rébellion. C’est en effet, un vibrant appel aux responsables, cadres, militaires, ouvriers, commerçants, paysans pour un grand Nord uni, pour réclamer une « république nordiste ». Voici quelques lignes tirées de cette charte « …………….aborder et réaliser le ralliement constructif autour d’une idée force : «un pour tous, tous pour un» au service de l’intérêt supérieur d’un Grand Nord réhabilité en tant que membre à part entière d’une nation ivoirienne forte et harmonieuse. Faire renaître le sentiment de l’attachement mutuel sur fond de nos affinités traditionnelles, raviver la notion de solidarité ethnique entre communautés unies par un même destin, propager la vertu de l’esprit de sacrifice pour forger un idéal lumineux, redéfinir une position commune au sujet d’un modèle de société où l’égalité sera la règle, voilà qui constitue une ambition prétentieuse, mais non impossible.. ». On peut même dire que la « charte du Nord » était le projet de société du régime actuel. Au pouvoir, depuis 2011, le « rattrapage ethnique » est devenu leur programme de société. Notre pays est devenu une poudrière tribale, dont les fondements sont l’appareil de l’Etat. Le tribalisme d’Etat est devenu la clé de répartition et de gestion des ressources du pays. Avec le « pouvoir RHDP », c’est l’ethnie, la région et le parti politique qui déterminent l’ascension sociale des individus. Et c’est sur l’ethnicité que fonctionnent désormais les institutions de notre pays. Le « tribalisme d’Etat » en Côte d’Ivoire a pour cache-sexe l’équilibre régional ou du moins le rattrapage selon les propres termes du Président Ouattara. Pratiquement, tous les postes de direction sont aux mains des nordistes. Le rattrapage ethnique fonctionne à plein tube en Côte d’Ivoire. En effet, depuis 2011, notre république est mise à mal par nos comportements sectaires, nos dérives identitaires alors que la république est une vision, un contrat. Le Père fondateur de notre Nation, de son vivant, a toujours cherché à unir les filles et les fils du pays. Il avait raison car la nation est, et a toujours été, une construction idéologique et politique. Cela signifie qu’elle a toujours été construite sur un but, un dessein, soucieuse de sa destination plus que de l’origine de ses composantes. C’est sur cette base que notre pays a été la patrie de la raison triomphante et de l’hospitalité. On sait donc par opposition ce qu’elle n’est pas : une nation ethnique.
Mais, la Côte d’Ivoire sous le régime Ouattara, fonctionne en mode «rattrapage» comme il l’a annoncé. A la police, à la gendarmerie, dans l’administration, si vous n’êtes pas de la bonne région ou de la bonne religion, vous n’aurez jamais une promotion. Le résultat est qu’une grande partie des Ivoiriens se sent exclue par la politique de « rattrapage » de Ouattara qui consiste à privilégier les ressortissants du Nord sur le marché du travail. Or, lorsqu’on vous exclut du marché du travail, on vous exclut également du partage des richesses. L’égalité des places et l’égalité des chances ont disparu dans notre pays sous le régime Ouattara. En dehors de l’ethnie, la position sociale compte énormément sous le régime actuel. Le 17 mars 2020, alors que tous les passagers d’un avion devaient être confinés à L’INJS, les « riches » et leurs enfants sont rentrés tranquillement chez eux pendant que les autres, les « pauvres » sont forcés par les autorités de rester en quarantaine. Pour un régime qui répète, à gorge déployée, qu’il est démocratique, c’est étrange. En effet, en Europe, quand la situation d’une personne nécessite qu’on la mette en quarantaine, quel que soit son rang social, elle accepte d’être mise en quarantaine, car nul n’est au-dessus de la loi. Mais dans notre pays, la loi s’applique aux pauvres mais pas aux riches. Dans une démocratie, la loi ne s’applique point à géométrie variable.
Devant ce que nous appelons « l’apartheid territorial, social, ethnique », dans notre pays, nous proposons que les Ivoiriens, s’engagent dans un combat contre les inégalités pour refonder simplement la citoyenneté. Dans ce cadre, nous devons lutter avec acharnement contre les inégalités et mettre ces questions au cœur des futures échéances électorales. En effet, la citoyenneté est ce sentiment d’appartenir à une même nation, d’avoir un destin commun, d’avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs. Sans elle, la construction d’une Nation serait une œuvre vaine.
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