Cet article publié en 2016 reste d’actualité
«Le Monde Afrique» a consulté un audit confidentiel du Conseil du coton et de l’anacarde, où apparaissent d’importants mouvements de fonds suspects.
Par Joan Tilouine
Dysfonctionnements en série à Abidjan et lourds soupçons de détournements entre janvier 2014 et novembre 2015. Un audit confidentiel du cabinet de conseil Deloitte accable la filière ivoirienne de l’anacarde, la coque qui abrite la noix de cajou, dont la Côte d’Ivoire est le premier exportateur mondial avec 625 000 tonnes en 2015, qui ont rapporté cette année-là 337 milliards de francs CFA (514 millions d’euros).
Le rapport de 33 pages, dont Le Monde Afrique a pu prendre connaissance, a été demandé par la Haute Autorité pour la bonne gouvernance (HABG). Cet organe de lutte contre la corruption, créé en 2013 a été alerté par des signalements du collectif du personnel du Conseil du coton et de l’anacarde (CCA), structure réunissant des représentants de l’Etat et de la filière chargée d’encadrer la production, la transformation et la commercialisation.
Probables détournements de fonds
L’audit s’inquiète d’abord d’un certain favoritisme pratiqué par le CCA à l’égard de 22 fournisseurs dont les prestations s’élèvent, « sur la base des factures revues », à 3,3 milliards de francs CFA (plus de 5 millions d’euros). Or ces entreprises ont été retenues sans aucun appel d’offres et dans des conditions douteuses. « Sur les 22 fournisseurs recensés au cours de l’exercice 2014, nous avons obtenu seulement six contrats », peut-on lire dans l’audit de Deloitte, qui comptabilise également 236 transactions en espèces avec des fournisseurs pour un montant de 826 millions de francs CFA.
Le CCA, créé en 2013 à la demande du chef de l’Etat, Alassane Ouattara, est censé garantir le développement de ces filières cruciales pour l’économie ivoirienne, et défendre les intérêts des acteurs (producteurs et exportateurs, entre autres). Toutefois, la gestion de cette structure, sous tutelle du ministère de l’agriculture, laisse apparaître de probables détournements de fonds.
A commencer par l’usage d’un prêt, d’un montant de 1,9 milliard de francs CFA, octroyé par le Conseil du café-cacao le 3 juin 2014. Or seuls 2 % de cette somme correspondent à des décaissements « conformes aux dispositions ». Le reste, 1,66 milliard de francs CFA, a été dépensé par le CCA de manière étonnante. Selon l’audit de Deloitte, pas moins de 800 millions de francs CFA ont été virés vers des comptes du CCA aux apparences de véhicules financiers et 351 millions de francs CFA ont été retirés en espèces. Par ailleurs, sur les 400 millions de francs CFA ayant servi à régler ces 22 fournisseurs, 355 millions ont atterri sur les comptes d’une mystérieuse entreprise, Mamys Multimedia, qui ne semble pas figurer au registre du commerce ivoirien.
Autre soupçon d’irrégularités : 543 millions de francs CFA se sont évaporés lors de retraits en cash ou à travers des « chèques libellés au nom de certains membres du personnel (…) pour lesquels les justificatifs ne nous ont pas été transmis par le CCA », notent les auditeurs. Le tout se double de chèques impayés d’un montant de 128 millions de francs CFA, et d’opérations de dépôts et retraits sur les comptes ouverts à la Banque internationale pour le commerce et l’industrie de la Côte d’Ivoire (BICICI, groupe BNP) début 2015 qui « n’ont pas été préalablement autorisées » par les organes compétents, à savoir le ministère de l’agriculture.
« Ce prêt avait des contraintes claires et des objectifs à atteindre pour développer les filières coton et anacarde, mais, visiblement, l’argent n’a pas servi à cela, confie, stupéfait, un haut fonctionnaire ivoirien sous couvert d’anonymat. Désormais, il faut que les autorités compétentes mènent des investigations approfondies et aillent au bout, car si les faits sont avérés, c’est de la corruption et une atteinte au développement économique de la Côte d’Ivoire. » Contacté, le ministre de l’agriculture, Sangafowa Coulibaly, préfère ne pas faire de commentaires : « Je ne suis pas saisi officiellement de ce dossier et je n’ai pas lu le rapport en question », justifie-t-il. Au CCA, dirigé par Malamine Sanogo, un proche du ministre, le silence est de mise.
« Comportements criminels »
(…)
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