Par Adama WADE
Akinwumi Adesina (à gauche), président de la BAD déconstruit les propos de David Malpass, président de la Banque Mondiale. La question de l’endettement de l’Afrique reste entière.
Les sons de cloche différents de la Banque Mondiale et de la Banque Africaine de Développement sur l’Afrique rajoutent un peu à la confusion sur l’état réel de l’endettement du continent africain. Mais, derrière les statistiques brandies par les deux institutions, pointe une vieille rivalité et une divergence dictée par la nature même des deux organisations.
L’objet de la dispute
Pour le président de la Banque Mondiale, David Malpass, qui s’exprimait le 10 février lors d’un forum organisé à Washington, les Etats africains sont trop endettés à cause entre autres du laxisme de certaines institutions dont la Banque Africaine de Développement qui n’appliqueraient pas des critères robustes. « David Malpass estime que l’Asian Development Bank, la Banque africaine de développement et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, contribuaient au problème de la dette. «Nous sommes face à une situation où les autres institutions financières internationales et, dans une certaine mesure, les institutions de financement du développement dans leur ensemble – et en tout cas les agences officielles de crédit à l’exportation – ont une tendance à prêter trop facilement, ce qui aggrave le problème de la dette». Et David Malpass de pointer du doigt l’Asian Development Bank, accusée de «pousser des milliards de dollars» vers un Pakistan déjà dans une situation difficile face à la Chine, auprès de laquelle il est lourdement endetté, et la BAD de faire la même chose au Nigéria et en Afrique du Sud.
La BAD réfute les commentaires du président de la Banque mondiale sur le profil de la dette de l’Afrique
Des propos lapidaires que le président de la Banque Africaine de Développement, Akinwumi Adesina, rejette en bloc, rappelant le profil modéré de la dette africaine et fustigeant la posture de Malpass, connu pour sa vision plutôt «contre l’esprit du multilatéralisme». Les engagements de la BAD en Afrique sont de 10, 1 milliards de dollars en 2018 contre deux fois plus, soit 20,2 milliards de dollars, pour la Banque Mondiale. S’agissant du Nigeria et de l’Afrique du Sud, poursuit la BAD, la Banque mondiale leur a prêté en 2018 respectivement 8,3 et 2,4 milliards de dollars, contre respectivement 2,1 et 2,2 milliards pour la BAD. Ces chiffres battent en brèche l’argument de la Banque Mondiale sur une BAD trop généreuse. D’autant que, derrière, la BAD précise qu’en juin 2019, la dette publique du Nigeria atteignait 83,9 milliards de dollars (14,6% de plus qu’en 2018), soit 20,1% du PIB. Bien loin du cas du Pakistan.
L’an dernier, la dette publique de l’Afrique du Sud atteignait 55,6% de son PIB, soit largement en dessous du plafond arbitraire de 70% observé par les institutions multi-larérales envers les pays en développement, ceux développés disposant, eux, d’un pouvoir de crédit illimité. Cette dispute ouverte remet au goût du jour la vieille rivalité entre les deux institutions et le pessimisme de la Banque Mondiale qui avait déjà, dans les années 60, déconseillé l’Afrique de créer une institution de développement car n’étant pas assez mûre. Aussi, le scepticisme de David Malpass au sujet du multilatéralisme n’est pas pour aider la Banque Mondiale à reconsidérer son approche de la dette et, particulièrement, le danger des dettes des pays émergents.
Quid de l’endettement réel de l’Afrique ?
L’Afrique est-elle trop ou peu endettée ? Les points de vue divergent et vont de la béate modération à l’alarmisme exagéré. En 2018, la dette du continent s’est élevée à 1 330 milliards de dollars, soit 60 % du PIB continental, ou encore 1 060 dollars par habitant, rapportent les auteurs de «l’économie africaine 2020» parue aux éditions La Découverte. Comparée à la France, à l’Italie et au Japon, qui comptent des ratios allant de 100 à 200% de leurs PIB, l’Afrique est relativement peu endettée. Par contre, à voir la progression rapide de cet endettement, qui n’était que de 35% du PIB en 2010, il y a lieu de s’inquiéter. Cela, d’autant que, entre l’effacement des dettes dans le cadre de l’Initiative des Pays Pauvres Très Endettés et 2019, le service de la dette est redevenu le premier poste budgétaire dans pratiquement tous les pays du continent. La question dès lors n’est plus tant l’endettement de l’Afrique que la soutenabilité de sa dette ? La capacité de remboursement suscite bien des études auprès des agences de notations. «En CEDEAO, le poids de la dette a aujourd’hui a quasiment doublé par rapport à 2010 et semble peu enclin à diminuer, ce qui soulève des préoccupations quant à sa soutenabilité. Cette tendance s’accompagne de coûts économiques et sociaux potentiellement importants », s’alarme Lucie Villa, Vice-Présidente et Senior Credit Officer chez Moody’s dans un rapport publié le 17 février.
Aux yeux de l’agence de notation, les 15 pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ne sont pas tous logés à la même enseigne. Le Sénégal et la Côte d’Ivoire, pour leur part, se montrent les plus performants en termes de gestion financière alors que leur notation Ba3 est plus élevée et est assortie dans les deux cas d’une perspective stable. Si le Togo (noté B3, perspective stable), et dans une certaine mesure le Ghana (B3, perspective positive) et le Nigéria (B2, perspective négative) font partie des «pays menacés», le Mali et le Niger demeurent particulièrement «sensibles à des chocs susceptibles d’augmenter de manière significative le poids de la dette et de détériorer leur soutenabilité.
Une situation qui, selon Moody’s, inquiète d’autant plus que «tous les Etats de la CEDEAO que nous notons, à l’exception du Nigeria, ont bénéficié d’un allégement de leur dette dans le cadre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) offert par la communauté internationale». En conséquence, «le poids de leur dette est passé d’environ 80% du PIB en moyenne en 2000 à 30% 10 ans plus tard».
Mais, en définitive, l’Afrique est loin d’être en surendettement. “Comment peut-on dire que l’Afrique se surendette alors que dans bon nombre de domaines cruciaux, elle est totalement non financée », s’insurge Lionel Zinsou dans un entretien publié dans l’Economiste.fr. Avec un taux d’endettement moyen autour de 55-60% du PIB, le poids de la dette des pays africains reste très inférieur à celui des pays développés, écrit l’ancien premier ministre du Bénin. Les crédits aux entreprises et aux ménages, qui dépassent largement les 100 % du PIB dans les pays développés, ne pèsent que pour 20 % en Afrique. “L’Afrique manque d’oxygène financier ».
Une dette africaine qui échappe à l’OCDE
La Banque Mondiale est réputée proche de Washington (assertion d’autant plus vraie que son actuel président, David Malpass, ancien sous-secrétaire aux affaires internationales du département du Trésor américain, fut imposé à la tête de l’institution en avril 2019 par la Maison Blanche pendant que celle qui fut pendant deux mois présidente par intérim de l’institution, Kristalina Georgieva, poulain des USA, a pris les rênes du FMI en septembre 2019) et des créanciers de l’OCDE.
La Banque Africaine, sœur utérine de l’Organisation de l’Unité Africaine, devenue Union Africaine, accompagne plutôt les pays africains dans la diversification de leurs économies et… de leurs bailleurs de fonds. Or, la Banque Mondiale et le FMI ont toujours vu d’un mauvais œil cette montée en force de l’encours des pays émergents dans la structure des bilans des pays africains.
Peu familiers à ces mécanismes et ne disposant pas d’outils de reporting sur ces dettes des émergents, la Banque Mondiale et le FMI ont tendance à les considérer comme de la dette cachée à opposer à la «dette lucite» des pays de l’OCDE.
Faut-il suivre les institutions de Bretton Wood et renoncer à la part non négligeable de financement issue de la Chine, de la Turquie, de la Russie ou de l’Inde, accordée souvent à des conditions compétitives, sous forme de pétrole, gaz ou minerais de fer contre infrastructures ? Les Etats africains ont apparemment fait leurs choix basés sur la rationalité économique en privilégiant les alternatives des pays émergents aux conditionnalités souples comparées aux procédures bureaucratiques des créanciers traditionnels.
Ainsi, l’encours de la dette du Club de Paris sur l’Afrique est passé de 67 milliards de dollars en 2010 à 44 milliards en 2017 tandis que l’encours global des créanciers bilatéraux progressait sur la même période de 70 à 128 milliards de dollars. Ce déclin est le résultat aussi du recours par les Etats africains au marché international de la dette. Les émissions d’eurobonds ont représenté une véritable alternative entre 2010 et 2016 mais rencontrent actuellement une limite du fait des taux auxquels les emprunts sont libellés (les Etats africains payent un surcoût, à notation similaire) et du poids rapide que ces emprunts constituent dans le budget des Etats et la structure du PIB. Les émissions représentent 15% du PIB du Sénégal et 12% de celui de la Côte d’Ivoire.
« Dans les 39 pays d’Afrique classifiés à faible revenus, le nombre de pays où la dette publique extérieure est jugée en risque élevé de surendettement ou en situation de défaut est ainsi passé de 7 à 19 entre 2014 et 2018», estiment Christophe Barat, Chef de projets Gouvernance des entreprises publiques, Agence française de développement (AFD) et Hélène Ehrhart, Economiste du développement, dans un article publié dans «The Conversation ».
Quelle est la solution à l’endettement ?
Aussi paradoxale que cela puisse-t-il être, la solution à l’endettement de l’Afrique c’est encore de l’endettement mais en mieux, en plus structuré et en plus transparent. Face au déficit en matières d’infrastructures (143 milliards de dollars), aux besoins en termes d’éducation, de santé et de services de base, le continent ne peut renoncer à l’endettement et à la nécessaire concurrence entre ses différents partenaires. Là aussi, la Banque Mondiale et la BAD n’ont pas la même approche. La première, rejoint par le FMI, plaide pour un relèvement des objectifs de recettes fiscales sans en mesurer les conséquences politiques et sociales dans des économies informelles à 90% et où 70% des PME disparaissent avant d’atteindre cinq ans. La BAD appelle à une mobilisation des ressources domestiques à travers la mobilisation des gisements qui dorment dans les fonds de pension, les compagnies d’assurances et les fonds souverains.
La Banque Mondiale et le FMI ne devraient-ils pas s’intéresser aux évasions fiscales des multinationales, au manque à gagner des pays sur leurs ressources pétrolières et minières et consentir de nouvelles conditionnalités pour mettre à disposition du continent une dette concessionnelle orientée vers la réalisation des infrastructures ?
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