Pour discerner pourquoi le boycott politique est passé de mode, il faut se référer au contexte de son adoption comme méthode de contestation en Afrique. La gouvernance des États africains débiteurs se trouve bouleversée après la crise de la dette du début de la décennie 1980. Pour éviter de se retrouver en cessation de financement par les institutions internationales, ils sont contraints de se soumettre à une ingérence dans la gouvernance économique et socio-politique de leurs affaires intérieures, dans le cadre des Plans d’Ajustement Structurel (PAS). Désormais pour évaluer le niveau de risque-pays, entre en ligne de compte le respect des normes démocratiques et des libertés publiques indispensables à la paix sociale, elle-même propice à un environnement économique sain. Cette intrusion des institutions de Bretton Wood et de la « Communauté internationale » entraîne le bouleversement du rapport de forces jadis déséquilibré entre régimes autoritaires du monopartisme et opposition brimée. Le diktat des pères fondateurs est ainsi contrebalancé par l’arbitrage et le softpower des Institutions financières euro-américaines, comme le FMI ou la Banque Mondiale.
Ce principe d’ingérence pragmatique est repris par la Conférence de la Baule et devient le principal levier utilisé par l’exécutif français pour engager les vieux régimes monopartites de son precarré sur la voie de la démocratisation forcée. Elle ouvre une nouvelle ère de moralisation de la scène politique en Afrique francophone où les Rapports d’organisations internationales comme Human Wright Watch ou Amnesty International, les Rapports de mission d’observation électorale de l’Union Européenne peuvent coûter à un Etat totalitaire la rupture de toute collaboration avec les institutions internationales. Ce qui équivaudrait pour le pays concerné, à se retrouver avec les caisses asséchées et son économie privée de la perfusion des capitaux extérieurs. Dans un tel contexte, boycotter le processus électoral faisait office d’alerte rouge envoyée par l’opposition pour signaler aux institutions internationales l’illégitimité du président élu, et potentiellement le risque élevé de tension socio-politique, dans le but que celles-ci activent les mécanismes de rétorsion financière, en fermant les robinets. De là vient la fameuse formule tant prisée des opposants africains « Nous prenons la communauté internationale à témoin… ».
Mais aujourd’hui ce raisonnement a fait son temps et est passé de mode, avec la fin de l’unilateralisme occidental. En effet, de la décennie 1990 à 2000, après l’effondrement de l’URSS, la scène internationale est dominée sans partage par le bloc euro-Atlantique composé par les États-Unis, ses alliés européens et les instruments financiers de ce conglomérat que sont le FMI et la Banque Mondiale. Mais dans les années 2000, la scène internationale passe de l’unilateralisme au multilatéralisme, en raison du retour de la Russie au premier plan et de l’émergence de la Chine. Le diktat euro-Atlantique est brisé et la carte des influences redistribuée. De sorte qu’aujourd’hui tout president ostracisé par l’occident est sûr de trouver une oreille attentive du côté de la Chine, le nouveau rival géostrategique du bloc euro-Atlantique en Afrique. Qui a d’ailleurs fait de la non-ingérence dans les affaires intérieures africaines la règle d’or de sa politique de charme pour conquérir les pays de l’ex-giron occidental. La stratégie de conquête en question fait qu’aujourd’hui la France, consciente des visées de la puissance orientale sur son ancien precarré, réfléchit par deux fois avant de fermer la porte à un président africain, aussi mal élu soit-il. Bien plus, elle consent volontier à fermer même les yeux sur les arrangements de ses alliés africains avec les normes démocratiques. La poussée sino-russe l’impose.
Relativement donc à cette évolution majeure, plus aucun régime africain ne redoute un quelconque Rapport d’observation électorale ou de Humane Right Watch. Mieux, la colère de l’opposition significative est même instrumentalisée par les régimes autoritaires pour la pousser à s’auto-exclure du processus électoral. Dans la mesure où c’est la plus grande garantie pour le président en exercice d’assurer sa réélection haut les mains, sans pression et sans risques. La génération présente d’opposants entrés sur la scène politique, à l’heure de l’unilatéralisme americano-européen et qui n’a pas mis à jour son logiciel d’analyse des principes de politique internationale, continue de recourir au boycott dans sa signification des années 1990, alors qu’aujourd’hui cette méthode obsolète n’est rien de plus qu’un aveu d’impuissance.
Nous venons d’en avoir une dommage illustration au Togo, oú du fait du boycott des élections législatives de décembre 2018, l’opposition a offert sur un plateau d’or la majorité parlementaire à l’UNIR, le parti au pouvoir. Qui à son tour le lui a bien rendu, en votant la réforme constitutionnelle autorisant un quatrième mandat à Faure Gnassingbe. Après avoir réalisé son erreur, la même opposition revient dans le processus électoral, cette fois-ci sans poser de conditions, mais en rang dispersé. Et ce qui devait arriver arriva. Par la faute de cette opposition immature et à la conscience peuplée de mythes du passé, le brave peuple togolais devra supporter 10 ans de plus son violeur, le système Gnassingbe, coupable d’avoir commis le premier coup d’Etat de l’histoire de l’Afrique francophone, doublé du meurtre de sang froid du président Sylvanus Olympio. Avec la réélection actée de Faure Gnassingbe après 53 ans de règne familial, la stratégie du boycott, peut être considérée comme le plus puissant atout électoral des régimes autoritaires en Afrique.
Dr BANGALI N’goran
Historien, enseignant-chercheur
Université de Cocody Abidjan
Commentaires Facebook