Par Saint-Tra Bi
Des populations nichées dans la forêt classée de Scio ont été déguerpies et leurs habitations incendiées par des hommes armés.
Une enquête a été ouverte.
La joie des habitants des villages de Quatre-Carrefour et de Yaokro ainsi que les campements de Ladjikro et Karimkro a été de courte durée.
Le 7 février, ils ont été affolés par des rafales d’armes. Ils ont été sommés de quitter les lieux alors qu’ils s’attendaient à un départ négocié.
En effet, la Société de développement des forêts (Sodefor) a lancé le 23 janvier l’opération de déguerpissement de la forêt classée de Scio (dans lequel sont nichés ces villages et campements) situé entre Bangolo, Guiglo et Bloléquin, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire.
Cependant, deux jours après le démarrage, l’opération a été brusquement arrêtée sans justification officielle.
Une source proche du dossier a rapporté que la question des droits de l’homme et l’implication des organisations non gouvernementales sont à l’origine de cette interruption. Et que l’État ivoirien, soucieux du respect des droits de l’homme, a insisté pour mettre en œuvre un plan de déguerpissement « à visage humain » dans le Scio, à l’instar de celui du parc national du Mont Péko en 2016. Alors que les habitants savouraient l’annonce de cette bonne nouvelle, des hommes en armes ont fait irruption dans leurs villages et campements.
Élèves et enseignants ont été sommés de vider les classes qui ont été incendiées par la suite.
Les populations ont échappé à la violence en se terrant dans les broussailles. Les campements de Ladjikro, Karimkro et les villages de Yaokro et de Quatre-Carrefour ont été entièrement incendiés.
Alerté par un ressortissant en état de choc, nous nous sommes rendus sur les lieux le lendemain du drame, après 6 longues et périlleuses heures d’un périple à moto en provenance de Man. Nous avons constaté sur place que les débris de matériaux de construction, de vêtements et d’ustensiles de cuisine étaient à peine identifiables à Quatre-Carrefour. Des arbres brûlés, des marmites fondues, des maisons en cendre témoignaient encore de la violence de l’opération.
Dans cette ambiance désolée, une mère de famille, dame Kouassi Amoin Rosalie, pleurait à la suite de la perte de son grenier parti en fumée. A quelques mètres, dans les décombres, sa fille en classe de CM2, tentait de récupérer, en vain, ses effets scolaires que le feu avait consumés.
A l’instar de ces personnes, on dénombre de nombreuses victimes. N’Guessan Kouassi Augustin dit Américain, chef du village Quatre-Carrefour, créé en 1982, indiquera ne pas avoir eu le temps de sauver ses motos et les diplômes de ses enfants calcinés
« Ils m’ont menacé avec leurs armes et ont refusé que je sauve même une aiguille. Ils ont chassé les enseignants et brûlé leurs résidences ainsi que l’école. Comment allons-nous voter étant donné que nous avons perdu toutes nos pièces. Le Président Alassane Ouattara a fait beaucoup pour nous, au moment où nous voulons lui rendre la monnaie, nous avons tout perdu. Nous demandons au président de nous aider », a-t-il supplié les larmes aux yeux.
Ismaël Traoré, acheteur de produits, déclarera avoir eu 15 tonnes de cacao brulées et perdu la somme de 20 millions de francs CFA qu’il dit avoir dissimulée dans des sacs de son magasin et destinée à l’achat de produits. De nombreuses femmes ont affirmé n’avoir ni vêtements ni nourriture pour leurs enfants après l’incendie. Yaokro, à quelques encablures de Quatre-Carrefour, a vécu la même scène. Un dispensaire est même parti en fumée.
Le préfet appelle les populations au calme
Le préfet de Bloléquin, après leur avoir témoigné la compassion et le soutien du gouvernement, appelle les populations et les sinistrés au calme et à la retenue. Il a saisi la gendarmerie et le cantonnement des Eaux et forêts de Bloléquin qui se sont rendus sur les lieux du sinistre pour le constat d’usage et ouvrir une enquête. Une importante réunion avec les représentants des sinistrés, les chefs des villages incendiés, les leaders communautaires et toutes les parties prenantes est prévue se tenir ce 11 février, à la préfecture de Bloléquin, sous la présidence effective du préfet.
Pour l’heure, c’est la psychose dans cette zone où le crépitement des armes et la violence ont rappelé les douloureux évènement de la crise militaro-politique vécue par le pays.
Notons que la forêt classée de Scio, vaste de 88 000 hectares, fut autrefois un joyau naturel, « refuge » paradisiaque d’une faune et d’une flore aussi rare que variée. A cheval sur les régions du Cavally et Guémon, cette forêt classée n’a pas échappé, à l’instar de toutes les autres de la Côte d’Ivoire, à l’occupation clandestine ou illégale. On dénombre 36 villages (dont 4 ont été incendiés), 21 écoles primaires et plus de 40 000 habitants dans cette forêt classée.
Pour endiguer ce fléau et favoriser la reconstitution de son couvert forestier, l’État ivoirien a entrepris depuis quelques années des opérations de déguerpissement de ses aires protégées.
Fraternité Matin
Commentaires Facebook