Alassane Ouattara (à g.) n’est pas un boulanger qui enfarine, mais un as du double langage qui mène en bateau partenaires et adversaires.
Le 30 novembre 2019, à Katiola (capitale de la région du Hambol), il était formel: l’État ivoirien est étranger à la demande de maintien en liberté conditionnelle de son « frère et ami » Laurent Gbagbo (à d.).
« Sur la question de la CPI, je pense que c’est tout simplement une intoxication. Il n’y a jamais eu de demande du Gouvernement ivoirien. Les avocats ivoiriens ont pris une initiative; c’est leur initiative. Nous n’avons jamais été associé à cette initiative des avocats; c’est leur droit. Les questions judiciaires, on ne s’en mêle pas », se lavait les mains de cette procédure judiciaire celui qui a livré, à la CPI, Gbagbo et Charles Blé Goudé.
À l’ouverture du procès en appel, le 6 février 2020, coup de théâtre. Alors que leurs collègues de la défense les déboutaient pour leur « initiative » solitaire qui n’engageait qu’eux, les avocats de l’État ont démenti les propos de Ouattara. « Nous avons été mandatés par une décision du garde des Sceaux, ministre de la Justice en date du 20 janvier 2020 », ont-ils expliqué.
En effet, le 25 octobre 2019, soit environ un mois avant sa sortie pour cacher son jeu et berner l’opinion, Alassane Ouattara était dans l’arène judiciaire. Via ses avocats (l’Ivoirien Ben Méité Abdoulaye, les Français Jean-Paul Benoît et Jean-Pierre Mignard), il saisissait la Cour pour rejeter la requête introduite, le 8 octobre par le conseil de l’ex-président ivoirien, pour la liberté inconditionnelle et immédiate des acquittés Gbagbo et Blé Goudé.
L’avocat des victimes a fini alors par cracher le morceau: si Laurent Gbagbo est libéré, il peut remporter la prochaine présidentielle et à l’instar de Uhuru Kenyatta ou Omar el-Béchir, il pourrait, selon elle, ne plus comparaître devant la Cour.
C’est, en réalité, cette perspective politique qui panique le pouvoir Ouattara. Son « takokélé » ou « un coup KO » à ce scrutin qu’il affiche devant ses militants est gravement menacé.
Aussi, s’appuyant sur Fatou Bensouda, la procureure de la CPI qui fustige les réseaux et la popularité de Gbagbo, le régime ivoirien utilise ses armes favorites de la diabolisation.
Il dépeint ainsi, sous les traits préfabriqués de fuyard, un dur à cuire de la politique ivoirienne. Il n’a fui ni les assauts de la rébellion armée qui voulait le renverser, ni les bombes de l’armée française, après son refus ferme des propositions alléchantes pour céder le pouvoir à Ouattara.
De plus, pour ses idées et son combat pour la démocratie, il a fait plusieurs fois la prison sous Félix Houphouët-Boigny, déclarant prémonitoirement, en 1992, que « l’on peut partir de la prison au Palais présidentiel ».
Ouattara et ses partisans pensent donc à leur propre survie politique. Car la seconde réalisation de cette parole prophétique risquerait, comme le craignait Amadou Soumahoro, président de l’Assemblée nationale, de les jeter sur la route de l’exil.
C’est pourquoi, Ouattara manœuvre activement pour se réconcilier avec Bédié qui conte désormais fleurette avec Gbagbo. Sans compter qu’il n’est pas à une contradiction près. En violation de la Constitution qu’il a fait adopter en 2016, il se démène comme un beau diable pour maintenir Gbagbo en exil.
Il assimile sa libération totale et sa liberté de mouvement à une situation qui entraînerait, pour le pays, « un grand désordre », c’est-à-dire sa possible défaite dans les urnes. Au soir du 31 octobre 2020.
F. M. Bally
Commentaires Facebook