Manuella YAPI
L’opposante Agnès Monnet, qui reconnait Laurent Gbagbo comme le président du Front populaire ivoirien (FPI, opposition) dont il est membre fondateur, est revenue sur le contexte de sa démission en mars 2019 du poste de secrétaire générale et porte-parole du camp conduit par Pascal Affi N’Guessan, le président légal de ce parti en proie à une crise interne depuis 2014, dans une interview accordée à Alerte info.
En mars 2019, vous avez démissionné de votre poste auprès de M. Affi N’Guessan après l’échec de sa rencontre annoncée avec Laurent Gbagbo. Aujourd’hui un rapprochement entre les deux camps se dessine depuis leur rencontre effective début janvier. N’est-ce pas un désaveu pour vous ?
Non au contraire. On ne peut pas parler de désaveu puisque ma démarche c’était justement que, de mon point de vue, la crise qui secoue le Front populaire ivoirien est dans le fond une crise de leadership, due à la situation du président Laurent Gbagbo qui a été arrêté, déporté à La Haye où il a été en détention. Pour moi, à la faveur de son acquittement et surtout sa libération de la prison de la CPI, la crise au sein du FPI n’avait plus sa raison d’être. J’ai donc demandé au président Gbagbo de travailler à l’unité du parti, vu qu’il est désormais libéré, il est à Bruxelles, on peut aller lui rendre visite.
Voilà ma démarche, à laquelle M. Affi a d’ailleurs adhéré, sinon il n’aurait pas fait le déplacement jusqu’à Paris. C’est à son arrivée à Paris que le problème de l’interview, où il devait dire ce qu’il allait dire au président Gbagbo, s’est posé. J’avais tenté de le convaincre qu’il n’y avait pas d’humiliation en la matière et je lui ai demandé de transcender les questions d’égo car il y va de l’avenir du FPI et du pays.
Finalement, il est allé rencontrer Laurent Gbagbo (en janvier), donc je n’avais pas tort. Ce qui est un peu décevant, ce sont toutes ses paroles désobligeantes. Une relation est fondée sur la confiance et quand elle est rompue, il est difficile de recoller les morceaux. Je félicite le président Gbagbo qui a fait fi de tout cela pour le recevoir. Pour moi donc, c’était une question de temps et Affi N’Guessan est entré par la porte que j’ai ouverte. Je suis fière d’avoir pu ouvrir cette porte.
Vous avez été un peu déçue de la conférence de presse d’Affi N’Guessan après l’échec de la rencontre ?
Pourquoi un peu ? J’ai été très déçue. C’est vrai, on a cru à cette rencontre mais elle n’a pas eu lieu. Il aurait pu simplement regretter cet échec et laisser espérer tout le monde. A Paris, il a dit aux journalistes qu’il n’a pas été mandaté pour faire une déclaration préalable avant de rencontrer le président Gbagbo. Donc sa conférence de presse n’avait pas sa raison d’être. J’ai été choquée quand il a demandé: «Où est-ce qu’il (M. Gbagbo) a été élu ? Est-ce la Haye ?». Affi N’Guessan, par ses interrogations rhétoriques, a fait penser qu’il n’était pas heureux que Laurent Gbagbo soit libéré. En le disant, il donne raison à ceux qui nous ont accusé de tout faire pour tourner la page Gbagbo. Cela m’a scandalisée. Voilà pourquoi j’ai rendu ma démission.
Vous regrettez de l’avoir suivi quand la crise est survenue?
Non je ne regrette pas. Je l’ai fait en toute responsabilité. Ce qui nous a divisé, c’est la posture de défiance d’Affi N’Guessan vis-à-vis de Laurent Gbagbo suite à l’échec de la première rencontre. C’est cela que je n’ai pas accepté. J’ai suivi Affi parce que quand le président Gbagbo partait, c’est lui qui était le président du FPI et nous estimions que nous devions faire le plaidoyer pour sa libération.
Aujourd’hui cet épisode est derrière vous. Vous parlez de congrès unitaire. Qu’en est-il exactement ?
Effectivement, le président Gbagbo a rencontré Affi N’Guessan, il a donné ses conditions. Aujourd’hui nous sommes en train de constituer des équipes pour que la négociation démarre. Et nous pensons qu’avec le pas que M. Affi a fait pour être conséquent avec lui-même, les négociations vont aboutir et le congrès unitaire va effectivement avoir lieu.
Pour vous aujourd’hui qui est le président du FPI, Laurent Gbagbo ou Affi N’Guessan ?
Pour nous c’est Laurent Gbagbo. Il y a la légalité et la légitimité. Mais la légalité a ses limites, sinon je pense qu’Affi N’Guessan n’aurait pas fait le déplacement de Bruxelles. En politique, dans l’étape historique que nous vivons, il faut allier légalité et légitimité pour aller de l’avant. Notre objectif aujourd’hui, c’est de reconquérir le pouvoir d’Etat pour la libération de la Côte d’Ivoire.
Octobre 2020, c’est dans huit mois. N’est-ce pas trop tard? Aurez-vous le temps de vous réunifier?
C’est une question de volonté. Et puis le visage politique même de la Côte d’Ivoire, aujourd’hui… qui est sûr de quoi ? Même ceux qui clament que tout est bouclé, tout est géré…mais non pas du tout, rien n’est géré, rien n’est bouclé, rien n’est acquis. Dieu merci, Affi N’Guessan lui-même a décrié la CEI (Commission électorale indépendate). C’était le point d’achoppement entre les deux camps. L’autre tendance a refusé d’aller aux élections parce que la CEI n’était pas transparente, ni indépendante. Ça veut dire que nous allons maintenant lutter, unis, pour une CEI réellement indépendante. Vous avez entendu son dernier discours. Nous sommes conscients de ce qu’il y a un enjeu. Huit mois ce n’est rien. Cela dépend de nous, de ce que nous voulons pour la Côte d’Ivoire, pour les militants et sympathisants qui comptent sur nous, et j’espère que nous n’allons pas les décevoir.
Le chef de l’Etat annonce une révision de la Constitution. Est-ce que votre parti a des inquiétudes ?
Nous observons une espèce de tripatouillage de la Constitution. Le chef de l’Etat avait déjà décidé d’un référendum. Aujourd’hui, on ne sait pas ce qu’il veut de la Constitution.
Il a assuré qu’aucun candidat ne sera exclus.
Ce n’est pas une question d’exclusion. On a une constitution et nous devons la respecter. Ce n’est pas au chef de l’Etat qui est un potentiel candidat – même si on estime qu’il ne peut pas l’être selon notre Constitution – ce n’est pas à lui de dire qu’il n’y aura pas d’exclus.
Vous travaillez à une candidature éventuelle de Laurent Gbagbo ?
Oui, nous travaillons à sa candidature, c’est notre candidat. Si aujourd’hui tout le monde se rassemble autour de lui, c’est parce que son projet de société et son programme ont convaincu les Ivoiriens.
Pourtant il est toujours sous le coup d’une condamnation ici en Côte d’Ivoire…
La condamnation la plus redoutable, c’était celle de la CPI. Je pense qu’il ne faut pas que la justice ivoirienne tente de supplanter la justice internationale. Et comme nous sommes un parti de combat, nous disons que nous espérons que rien ne pourra contrecarrer la candidature du président Gbagbo. Ça aussi, c’est au nom de la réconciliation et de la paix dans notre pays.
Votre parti n’exclut pas d’alliance avec le Parti démocratique de Côte d’Ivoire et le camp Soro ?
Non pas du tout. Pour nous, la rencontre des présidents Bédié et Gbagbo à Bruxelles a été historique, c’est la rencontre de l’espoir. Des fils de la Côte d’Ivoire qui transcendent leurs égos pour se retrouver, pour sauver la mère patrie déchirée.
Soro, c’est un fils de ce pays. S’il pense que nous pouvons nous mettre ensemble pour sauver notre patrie… les alliances, ça s’analyse. Si on se rend compte que ce qui nous rassemble est plus important que ce qui nous désunit, une alliance est possible.
Vu vos antécédents, est-ce que vous vous désolidarisez de ce qui lui arrive ? le mandat d’arrêt international contre lui, ses proches en prison…
Nous pensons que la Côte d’Ivoire n’a pas besoin d’autant de fébrilité. C’est mon point de vue. Le pouvoir doit faire preuve de sérénité parce que l’allié d’hier, quand on le renie, quand on le voue aux gémonies, ce n’est pas rassurant. Et c’est comme ça qu’on crée des héros. A force de le victimiser, il trouvera forcément des gens pour le soutenir.
Alerte info/Connectionivoirienne.net
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