Par Abdon Tawa
La Côte d’Ivoire Indépendante a connu des figures politiques et non des moindres. Félix Houphouët-Boigny, le premier président de la Côte d’Ivoire a dominé toute sa génération, ce qui fait de lui la seule figure qui continue d’ailleurs d’inspirer et de nourrir l’arène politique ivoirienne. Il n’y est pas arrivé par un coup de dé.
M. Félix Houphouët Boigny est né selon sa biographie officielle le 18 octobre 1905 à N’GOKRO (Yamoussoukro). Il a fondé en 1932, le mouvement des planteurs africains pour les organiser et se dresser contre les injustices constatées dans le secteur agricole. Ce qui est intéressant et important à relever dans ce rappel de l’engagement politique de M. Félix Houphouët c’est qu’il n’avait que 27 ans à cette époque. L’homme politique fut révélé à l’époque pour son engagement précoce à travers un article de journal intitulé « On nous a trop volés », paru à l’époque dans un éditorial socialiste.
Dans la droite ligne de son engagement il fut l’acteur principal de la création du Syndicat Agricole Africain (SAA) en septembre 1944. Il avait moins de 40 ans. Ayant la nette vision de son combat M. Félix Houphouët-Boigny devient, en novembre 1960, le premier président de la Côte d’Ivoire Indépendante. Sa longévité politique fera de lui un immortel dans le marigot politique ivoirien. Il resta la seule figure politique majeure en Côte d’Ivoire jusqu’en 1990 où à la faveur du multipartisme, le pays connaitra d’autres noms. Ainsi apparaitront sur la scène, des personnalités telles : Bernard ZADI Zaourou, Moriferé BAMBA, Francis Vanga WODIE, et Laurent GBAGBO.
Le dernier cité s’imposa très vite au sein de ses pairs et devint la figure de l’opposition ivoirienne. Lui non plus, n’a pas réussi cet exploit sur un coup de dé. Il a fait ses marches dans l’arène politique ivoirienne. Il est né le 31 mai 1945 à Gagnoa d’une mère ménagère et d’un père sergent de police. Ce dernier, blessé et fait prisonnier par les troupes allemandes retrouvera son pays après la Seconde Guerre mondiale.
Rentré au pays, il permit à son fils de faire ses classes à l’école des blancs pour lesquels son sang a été versé. Ce fils réussira à son baccalauréat en 1965 au lycée classique de Cocody. Il reviendra dans ce même lycée en tant que professeur d’histoire en 1970 après une licence en 1969. Inspiré par la conviction de son père (celle de se battre pour la liberté), il ne fut pas un enseignant ordinaire. Membre du SYNARES (syndicat national de la recherche et de l’enseignement supérieur), il connut le bagne. Les prisons de Séguéla et de Bouaké l’ont accueilli de 1971 à 1973. Il est important de préciser qu’il n’avait que 25 ans. Lui aussi comme M. Houphouët-BOIGNY à 27 ans, avait une nette vision de sa tâche pour sa conviction.
Un dicton nous enseigne que, qui veut aller loin ménage sa monture ; ainsi cet historien soutiendra en 1969 un doctorat avec pour thème : les ressorts socio-économiques de la politique ivoirienne : 1940-1960 à l’université Paris-Diderot. Il est important de noter avec moi qu’à cette époque il n’avait que 34 ans et que l’environnement politique en Côte d’Ivoire était marqué par la gestion de ce qu’il est désormais convenu d’appeler les faux complots de 1963, ces complots inventés de toute pièce et qui n’avaient pour objectif que de freiner les ambitions politiques des élites ivoiriennes de l’époque. Des familles entières furent décimées et des ambitions politiques détruites et enterrées à cette époque.
De retour au pays, en 1988, à peine dans la quarantaine Laurent Gbagbo, malgré les risques sortira son parti de la clandestinité et en devint le secrétaire général au congrès du 19-20 novembre 1988. Seulement deux années plus tard, il se dressa contre l’ogre politique, le vieux qui jusque-là, n’avait jamais eu d’adversaires dans les urnes. Il s’en sortira avec 18,3 % des suffrages exprimés, ce qui lui conféra le statut de chef de file de l’opposition ivoirienne ; il avait 45 ans. Le regard fixé sur son objectif il devint le président de la République de la Côte d’Ivoire en octobre 2000.
A côté de cette figure de l’opposition d’alors, il y avait des personnalités politiques telles Alassane OUATTARA et Henri Konan BEDIE.
La particularité des deux est qu’ils appartiennent au PDCI-RDA, ils sont donc héritiers du pouvoir de Félix Houphouët BOIGNY. Le premier est un technocrate. Il a fait ses études supérieures aux Etats-Unis (Université de Pennsylvanie) sanctionnés d’un Doctorat en économie en 1972, il avait 30 ans. Sur le plan professionnel, il a gravi les premières à la BCEAO (Banque Centrale des États de l’Afrique de l’ouest) jusqu’à, en devenir gouverneur à seulement 31 ans, et au FMI (Fond Monétaire International) avant de se retrouver sur l’échiquier politique ivoirien en tant que premier ministre et cadre du PDCI-RDA.
Quant à Monsieur Henri Konan BEDIE, après ses études primaires à Dabou, il s’est retrouvé à l’Université de Poitiers. Cadre du PDCI-RDA et dans la peau de l’héritier, il sera victime de la longévité politique de son mentor. Il a toutes fois été ambassadeur de la Côte d’Ivoire aux Etats-Unis en 1966. A cette époque il n’avait que 27 ans. Ensuite, il fut nommé ministre de l’économie et des finances à 34 ans et ainsi de suite jusqu’à prendre le pouvoir à l’âge de 59 ans en 1993 après le décès de son mentor.
Bien que ces personnalités aient connu des parcours différents, elles partagent un élément dans leurs différentes trajectoires : celui d’avoir dès leur jeunesse compris qu’elles avaient d’abord une carrière professionnelle à défendre et en plus qu’elles avaient un rôle à jouer dans la vie politique de leur nation.
Messieurs Henri Konan BEDIE et Alassane OUATTARA, tous les deux, cadres du PDCI-RDA sont des héritiers qui ont bénéficié politiquement du soutien de leur mentor pour accéder à certains postes avant de s’affronter plus tard, et ce, jusqu’à ce jour. Sur l’échiquier politique actuel, l’un est le premier responsable du parti fondé en 1946 par leur mentor commun. De ce fait il se réclame du statut de « fils légitime » de Félix Houphouët BOIGNY. De son côté Alassane OUATTARA est à la tête d’un parti politique qu’il veut plus large et qui contient le nom de son mentor ; le RHDP (Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix).
Quant à Monsieur Laurent GBAGBO, il n’a jamais été un héritier politique de qui que ce soit. Pour cela il s’est battu pour ses convictions au risque de sa vie jusqu’à accéder à la magistrature suprême du pays qu’il dirigea durant 10 ans. Aujourd’hui encore et toujours au nom de ses convictions, il se retrouve à La Haye, où il a été déporté par les héritiers de Félix Houphouët BOIGNY qui ne lui ont jamais pardonné sa témérité et le fait de sortir de nulle part (selon eux) pour leur ravir le pouvoir.
Ce qu’il faut retenir est que ces trois personnalités ont pris l’échiquier politique en otage depuis bientôt trois décennies. Leur influence est telle qu’aucune personnalité n’ose leur tenir tête et tous ne jurent que par eux. L’avenir politique de bien de cadres, membres de leurs partis ne peut exister qu’à travers leurs bénédictions. Nous en aurons encore pour une décennie, car personne ne veut prendre sa retraite. Une autre longévité politique se prépare sous nos yeux. L’un d’entre eux exprime bien cette volonté en ces termes : « Si les gens de ma génération sont candidats, je serai candidat ». De toutes les façons cela ne pouvait en être autrement, le pouvoir en Afrique s’arrache, il ne se donne pas. D’ailleurs celui dont, on, nous chante le nom à longueur de journée (Houphouët BOIGNY) a, toute sa vie politique, promis passé le pouvoir aux plus jeunes. Ses partisans sont restés dans l’attente de ce jour jusqu’à sa mort le 7 décembre 1993. Si les contemporains de ses trois leaders ne peuvent pas prétendre les remplacer si tôt, qu’en sera-t-il de la jeunesse ivoirienne ?
Nous avons pris le soin de relever l’âge de ces personnalités dans cette contribution pour interpeller tous les jeunes des différents partis politiques qui ne jurent que par BEDIE, OUATTARA et GBAGBO. Si je peux comprendre (avec réserve), les partisans du RHDP et du PDCI-RDA, je ne peux avoir la même attitude vis-à-vis des partisans (jeunes) de Monsieur Laurent GBAGBO. La raison pour moi est toute simple.
Les partisans de l’héritage ont une culture politique, qui leur a été léguée. Selon cette culture, les jeunes de leur idéologie et chapelle politique doivent attendre patiemment le départ du père avant de réclamer le pouvoir. Ils ont vocation à demeurer dans cette position attentiste. Mais ceux qui ont compris et qui s’insurgent contre cette mentalité devront recevoir à travers cette contribution, toute mon admiration et mes encouragements. Il s’agit entre autres de KOUADIO Konan Bertin (KKB), de Guillaume Kigbafori SORO, Yasmina OUEGNIN, Charles BLE Goude… D’ailleurs, la question de la succession à la vieille garde politique en Côte d’Ivoire se pose de plus en plus en dehors des frontières nationales. Pour preuve, l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique du 10 au 16 novembre 2019 lui a consacré un titre et une interrogation révélatrice de cette demande muette : Côte d’Ivoire, A QUAND LEUR TOUR ?
Il appartiendra à tous ceux qui sont de la même génération que ces derniers, membres des organisations politiques des héritiers, de comprendre et surtout d’accepter avec objectivité ma contribution, que rien ne leur sera cédé. En Afrique et partout ailleurs, le pouvoir s’arrache ! Nous devons nous faire entendre afin que les ainés passent le relai pour le bonheur du peuple.
Pour les partisans de Laurent GBAGBO en revanche, je ne leur accorderai aucun blanc-seing car le respectable parcours de l’homme est une école. Une école de lutte, c’est inutile pour eux de lire Karl Marx, Mao et que sais-je encore. L’homme avait des convictions et des rêves et il s’est préparé très tôt à lutter pour les réaliser. Il est aujourd’hui encore détenu en Occident malgré son acquittement. Je ne demande pas qu’il n’y ait personne pour se battre pour son retour, loin de là. Ce que je demande est que l’on s’inspire de son parcours afin qu’il y ait dans ce pays des Laurent GBAGBO.
A quarante ans révolus, il serait malheureux et incompréhensible voire inacceptable de se faire appeler encore jeunes et pro… pire que l’on soit appelé GOR (GBAGBO ou RIEN). A cet âge celui dont vous vous réclamez avait déjà une renommée internationale. Mon objectif est que tous les jeunes sortent de leur complexe et arrêtent de se réclamer à longueur de journée de quelqu’un qui serait pourtant fier de voir son combat se perpétuer par des personnes dignes qui le consulteront au retour de sa déportation. Sortez de cet attentisme. C’est ce que j’appelle le complexe de jeunes de la jeunesse ivoirienne. Regardez ce à quoi servent les générations nouvelles, des marionnettes qui servent à remplir les stades pour les meetings et après ils reçoivent des billets de 1000 F CFA.
Que devient notre pays ?
Les gouvernants n’ont aucun respect pour leur jeunesse. Certainement qu’ils sont convaincus que les « jeunes » Ivoiriens ont décidé de s’inspirer de la légende de Faust dans laquelle un vieillard échange son âme contre la jeunesse et la beauté. Pour cela, ils ne préparent rien pour cette jeunesse, mais, ils l’utilisent pour montrer à l’opinion qu’ils ont des partisans. Après chaque meeting, c’est la bagarre pour réclamer des miettes. Si nous y prenons garde, cette honteuse pratique débouchera sur un pays sans avenir, car sous d’autres cieux, la seule bataille des gouvernants est de laisser un pays meilleur à leurs enfants.
Je voulais dire, et j’ai dit…
Abdon TAWA
Ecrivain
Auteur de : ‘’Pourquoi la génération Fesci doit prendre le pouvoir d’Etat’’
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