À la fin de la 114e Assemblée plénière de leur Conférence, les évêques et archevêques catholiques de Côte d’Ivoire, réunis au Centre Notre-Dame du Rosaire de Lataha (Korhogo) du 13 au 19 janvier 2020, ont adressé un message à “nos gouvernants, à nos concitoyens et à tous ceux qui sont épris de justice et de paix pour notre beau pays, la Côte d’Ivoire”.
L’honnêteté m’oblige à reconnaître et à dire publiquement que c’est un très bon message. Je pense même que c’est l’un des meilleurs textes qui aient été produits par la hiérarchie catholique ivoirienne ces vingt dernières années. On n’avait plus lu de texte aussi profond et aussi puissant après la lettre pastorale de 1999 sur “Le chrétien face à la politique”.
Pourquoi le dernier message de l’épiscopat ivoirien marque-t-il un tournant important ? Parce qu’il n’est ni dans la langue de bois ni dans le sectarisme (il ne plaide pas uniquement pour les partisans de Soro mais demande la libération de tous les prisonniers politiques), parce que les préoccupations essentielles des Ivoiriens y sont abordées et les choses sont bien dites. Si je devais attribuer une note à ce message, ce serait 10/10. En un mot, et pour reprendre une formule anglaise, je dirais “Good job !”
Je citerai, dans un premier temps, quelques passages qui me font croire que ce texte fera date et apaisera bien des cœurs meurtris. Je reviendrai ensuite sur la mission prophétique de l’Église rappelée à juste titre dans le message. Enfin, je ferai quelques propositions pour que ce beau et bon message produise les fruits que toute personne désireuse du bien de la Côte d’Ivoire est en droit d’en attendre.
I/ Quelques beaux passages
L’engagement pris par le régime Ouattara de réconcilier les Ivoiriens et de “ressouder le tissu social déchiré” n’a pas été tenu. La Commission Dialogue, Vérité, Réconciliation (CDVR) et la Commission Nationale pour la Réconciliation et l’Indemnisation des Victimes (CONARIV) ont certes travaillé mais se sont arrêtées en chemin. Par exemple, le rapport sur le nombre des victimes ne fut jamais publié alors qu’il aurait dû être publié coram populo si le régime n’avait rien à se reprocher ou à cacher
La conséquence de ce travail inachevé, c’est que “les ressentiments ont ressurgi, entre autres, à travers les mutineries, les conflits intercommunautaires qui se sont soldés par des pertes en vies humaines. Ces conflits ont montré combien les cœurs ne sont pas encore apaisés et que tout peut exploser à tout moment. Surtout avec les armes utilisées lors de ces affrontements et qui révèlent que le processus de désarmement tant souhaité au sortir de la crise post-électorale n’est pas allé à son terme”.
Au lieu de réconcilier les Ivoiriens, le pouvoir s’est employé à “fractionner les partis politiques en plusieurs entités”, ce qui montre qu’il adhère à la stratégie de Philippe II de Macédoine : diviser pour régner (divide et imperat). Mais la goutte d’eau qui fera déborder le vase, c’est le non-respect de la parole donnée par le président du RDR, si l’on en croit le PDCI et les anciennes Forces nouvelles. Se sentant roulés dans la farine, ces deux groupes vont quitter le RHDP créé à Paris en 2005, non pas pour améliorer les conditions de vie des Ivoiriens, mais pour combattre Laurent Gbagbo dont l’accession à la magistrature supreme ne fut jamais acceptée par les pseudo-houphouëtistes et la France. Non seulement les anciens alliés ne regardent plus dans la même direction mais ils “sont devenus des adversaires et même des ennemis aujourd’hui, [tant] leurs rapports sont teintés de ressentiments, de revanche ou de vengeance, où l’on cherche désormais à se mesurer ou à s’écraser mutuellement”.
Il va sans dire qu’un tel environnement n’est point propice à des élections paisibles. Que faut-il faire pour que le prochain scrutin ne débouche pas sur des violences et tueries ? Pour les prélats ivoiriens, une préparation minutieuse s’impose, ce qui signifie “le retour des exilés avec des garanties de sécurité et de réintégration, la libération de tous les prisonniers politiques et d’opinion, sans exception et le dégel des avoirs”, la concertation et le consensus “pour prendre en compte les exigences et les aspirations légitimes de tous les acteurs sociopolitiques et les avis éclairés de la communauté internationale”, “l’instauration et la consolidation de l’État de droit qui implique le respect de la Constitution, afin que personne ne nourrisse l’intention ou la volonté de manipuler les personnes, les textes ni les institutions qui seront impliquées dans le processus electoral”.
Ceux qui savent lire entre les lignes comprendront que les évêques ont pleinement conscience que notre pays n’est pas un État de droit et que la Commission électorale actuelle n’est pas indépendante du pouvoir exécutif. Ils appellent les tenants du pouvoir à échanger avec l’opposition et la société civile non seulement sur cette commission mais aussi sur “le découpage électoral, la question des pièces d’identité, de la liste électorale, du code électoral”.
Enfin, l’épiscopat ivoirien souhaite “une élection présidentielle ouverte, qui garantisse l’égalité des chances de tous les candidats désireux de compétir”.
La hiérarchie catholique sort-elle de son rôle ou fait-elle fausse route en parlant d’élections ? Non, sinon elle serait infidèle à sa mission prophétique.
II/ La mission prophétique de l’Église
Qu’il soit laïc ou consacré, le baptisé ne vit ni en dehors ni au-dessus mais au sein de la société, une société dont il doit partager “les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses” (Constitution pastorale “Gaudium et spes”, no 1). Il a une vocation prophétique, c’est-à-dire qu’il doit interpeller à temps et à contretemps ceux qui affament, exploitent ou oppriment les autres, être la voix des sans-voix, prendre fait et cause pour les pauvres et défavorisés, dénoncer le mensonge, la dictature et l’injustice comme le firent jadis Amos, Nathan, Osée, Ézéchiel, Jérémie et Jean le Baptiste.
La différence entre le laïc et le consacré, c’est que le second ne peut militer dans un parti politique, briguer le poste de député, de maire, de ministre ou de président de la République pour ne pas diviser la communauté chrétienne qui rassemble des hommes et femmes de sensibilités politiques différentes. Mais s’abstenir d’assumer une charge politique ne veut pas dire que le prêtre ou l’évêque devrait se désintéresser des problèmes de la Cité, qu’il devrait se taire quand les choses vont mal. Comme l’a bien perçu Mgr Alexis Youlo (Agboville), “sans descendre dans l’arène de la politique politicienne, l’évêque doit se tenir sur la montagne, lever constamment les yeux, porter le regard toujours plus loin pour avertir des dangers qui menacent à l’horizon. Cela exige de nous, les évêques, que nous ne nous assoupissions pas. Bien plus, nous ne devons pas être trop facilement tranquilles pendant que nos peuples sont secoués par toute sorte de tornades et de tempêtes” (cf.” La Croix-Africa” du 30 mars 2017)
Mais suffit-il de parler pour que les choses changent dans un pays ? Faut-il se contenter de ce message ? À mon avis, il y a besoin d’aller au-delà du verbe pour que les choses se passent comme nous le voulons en octobre 2020 et après. Voici mes propositions.
III/ Trois petites propositions
Premièrement, je propose que ce message soit discuté dans les mouvements d’action catholique (JEC, JOC, CV-AV), groupes de prière (Renouveau charismatique, Légion de Marie, les Amis du Saint-Sacrement, etc.), communautés ecclésiales de base, sur les radios catholiques, sur les paroisses, etc.
Je propose aussi que les évêques forment des gens qui observeront la régularité des élections dans les bureaux de vote et pendant le dépouillement des bulletins. Ils peuvent confier cette tâche à la Commission Justice et Paix. C’est ce que fit l’Église catholique en RDC (41 000 observateurs de la commission Justice et Paix pour la présidentielle du 30 décembre 2018), au Sénégal (1000 laïcs formés pour observer l’élection du 24 février 2019), au Togo (3000 pour les élections municipales du 30 juin 2019).
Enfin, je propose un suivi et une évaluation des idées généreuses émises dans le message des évêques. Le suivi et l’évaluation permettent de savoir “si le programme se déroule comme prévu et si des changements s’imposent, si les activités mises en œuvre dans le programme ont eu un impact mesurable”. En d’autres termes, il serait bon que les prélats aillent régulièrement aux nouvelles pour savoir ce qui a été fait, si ce qui devait être fait a été bien fait ou comment on peut améliorer les choses, etc.
Jean-Claude DJEREKE
Commentaires Facebook