On prend le même et on recommence. En octobre 2012, les autorités ont organisé la « Caravane de la réconciliation nationale ».
Conduite par le groupe Magic System et comprenant notamment Alpha Blondy, cette opération a été un fiasco dans un pays où, en dehors de Laurent Gbagbo et ses partisans, dont Charles Blé Goudé, condamné, par contumace, à 20 ans de prison et 10 ans de privation de droits le 31 décembre 2019, Alassane Ouattara se fait ou a de nouveaux adversaires qui se recrutent parmi ses anciens alliés.
Et le pouvoir a alors repris sa même et vieille recette de grand-mère. Le 31 décembre, Alpha Blondy et son groupe, le Solar System, ont ainsi entamé une autre tournée d’unité, de paix et de réconciliation entièrement financée par les autorités.
Dimbokro, la ville de naissance de la reggae star, a été la première étape sur six. Le 1er janvier 2020, c’est Ferkessédougou ou Ferké, capitale de la région du Tchologo, au nord, qui accueillait la caravane. Et là, patatras! Le concert a avorté.
Alpha Blondy a dénoncé « un sabotage », donc une action délibérément menée pour faire échouer le concert. Même si la manifestation a eu le lieu le lendemain, 2 janvier, cette action a révélé un gros grain de sable de désaccord politique.
Ferké est, en effet, le terroir et le bastion de Soro Kigbafori Guillaume, député de la ville et ancien président de l’Assemblée nationale (à d. sur la photo). Or, ce fils du pays n’est plus en odeur de sainteté avec Alassane Ouattara et son régime qui jurent de lui faire subir les rigueurs de la loi.
Depuis le 23 décembre 2019, il est en proie à une chasse à l’homme. Accusé d' »attentat à l’autorité de l’État et à l’intégrité du territoire national, détournement de deniers publics et blanchiment de capitaux », il est sous le coup d’un mandat d’arrêt international. Ses parents (Soro Simon et le commissaire Soro Rigobert) et partisans sont persécutés et embastillés.
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est que le concert, considéré comme celui de la provocation, est organisé et animé par deux Sénoufo de Korhogo, non soucieux du sort de leur cadet sénoufo de Ferké: Amadou Gon Coulibaly, Premier ministre (à g. sur la photo), et Koné Seydou dit Alpha Blondy.
Les rivalités politiques commencent ainsi et subtilement à opposer les Niarafolo de Ferké et les Tchébara de Korhogo, rangés, chacun, derrière leur leader politique.
Car, ce sont les ambitions pour succéder à Alassane Ouattara qui ont mis le feu aux poudres et provoqué des dissensions entre le chef du Gouvernement, successeur putatif du chef de l’État, et l’ancien Président de l’Assemblée nationale, écarté sans ménagement pour « opportunisme ». Et les relations entre les régions du Tchologo et du Poro, dont Soro vantait « les liens de fraternité », le 14 avril 2018 à Ferké, en prennent un coup.
Nombre d’évènements ont aussi participé à pourrir la situation. Les soutiens de Soro dans le Poro sont dans le collimateur du pouvoir et donc d’Amadou Gon Coulibaly: le jeune Soro Kognon, militant du Rassemblement pour la Côte d’Ivoire (RACI, mouvement politique pro-Soro) a été tué, le 7 juillet 2018, au cours d’une manifestation à Korhogo; le ministre de l’Agriculture, Mamadou Coulibaly Sangafowa, fils de Korhogo, a été limogé du Gouvernement le 4 septembre 2019 pour soroïsme, le député Soro Mamadou Kanigui, président du RACI et fils de Korhogo, est en prison depuis le 23 décembre 2019.
La guéguerre entre ces deux sous-groupes sénoufo n’est pas sans rappeler la fratricide rivalité entre le sergent-chef Ibrahim Coulibaly dit IB, présenté comme le « président des Forces nouvelles », et Soro Guillaume, considéré comme « un usurpateur ». Elle a fracturé la rébellion armée entre Koyaka de Séguéla et Sénoufo en général.
La guerre de leadership entre ces deux pour le contrôle des Forces nouvelles a fait de nombreuses victimes (à Bouaké, Korhogo, Man) et elle s’est soldée par l’exécution, le 27 avril 2011, du « général » IB, chef du « Commando invisible » à Abobo, à l’issue d’une opération conduite, affirme-t-on, par des fidèles de Soro Guillaume: Morou Ouattara, Touré Pélikan Hervé dit Vétcho et Chérif Ousmane, des anciens chefs de guerre.
Cette dissension a-t-elle alimenté le combat sans merci que Hamed Bakayoko, ministre d’État et fils de Séguéla comme IB, et Soro se sont livrés au sein du RDR!? Nul ne le saura. Mais, Amadou Gon Coulibaly prendra les devants pour lancer, le 4 mars 2017, un appel au calme, afin de désarmer les cœurs.
« Hamed, rapproche-toi de Guillaume; réconciliez-vous. Ouattara attend de nous la complémentarité », a-t-il déclaré sans parvenir à éteindre le feu politique qui consume le Nord entre pro-Ouattara et pro-Soro.
F. M. Bally
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