La formule n’est pas de moi. Je la tiens de l’ouvrage de mon confrère français Antoine Glaser, fondateur de la Lettre du continent; une publication, mélange de notes diplomatiques, de notes confidentielles de renseignements et d’investigations qui a établi sa notoriété dans le milieu et sur le continent.
C’est une formule qui colle bien au contexte de la visite d’Emmanuel Macron en Côte d’Ivoire. Après le report de l’invitation-injonction très gênante adressée par le chef de l’Etat français aux présidents du G5 Sahel, Macron va en Côte d’Ivoire et au Niger dissiper ce qu’il appelle « un sentiment anti-français » croissant. Pourtant, les symboles que le président vient toucher en Côte d’Ivoire sont de nature à produire l’effet contraire.
15 ans après, l’aumône infrastructurelle ne peut étancher la soif de vérité sur des questions mémorielles.
Bien sûr, il y a des motifs de satisfaction dans la visite du patron de l’exécutif français pour ceux des potentats locaux qui narguent une opposition fébrile et désarçonnée. Bien sûr, c’est une folie de cracher sur cette France généreuse qui permet des rallonges budgétaires pour payer les fonctionnaires, offre des infrastructures ultra-modernes et veut redonner de l’espoir à une jeunesse dans un contexte de forte demande sociale. Mais il est bon de rappeler ceci:
Les infrastructures aussi futuristes soient t-elles, les rallonges budgétaires aussi judicieuses soient-elles ne peuvent remplacer la soif d’autodétermination des peuples et de vérité sur des questions mémorielles récentes.Et c’est cela qu’il faut savoir décrypter quand on agite comme un paravent la question du sentiment anti-français.
Le président Macron a honoré à Bouaké la mémoire des soldats français tués dans un bombardement lors de l’opération Dignité lancée par Laurent Gbagbo en novembre 2004. L’écriture parcellaire, partielle et partiale de l’Histoire récente d’un pays qui a subi les affres du bombardement d’un palais présidentiel par une armée étrangère au nom de la protection des civils, notion à l’extension curieuse, continue d’interpeller. La question préjudicielle devenue une affaire d’Etat demeure : Qui a donné l’ordre aux mercenaires biélorusses engagés par le régime d’Abidjan d’alors de bombarder le camp militaire français de Bouaké?
Personne ne le saura. Pourtant des témoins existent. Les pilotes biélorusses sont encore vivants. Michèle Alliot Marie et Dominique de Villepin sont rassurés.Ils ne seront jamais poursuivis en France dans cette sombre affaire.Les familles des soldats français tués ne feront jamais leur deuil. Pourtant, c’est ce fait générateur, dont on est certain aujourd’hui 15 ans après qu’il a été tronqué, qui est à l’origine de morts de civils à l’esplanade de l’Hotel Ivoire un sombre mois de novembre 2004 , avec en prime la destruction d’aéronefs ivoiriens.
Pour l’étudiant en DEA de droit international que j’étais alors en 2004 et qui résidait à moins de 500 m du lieu du carnage de civils aux mains nues par des militaires français, ces faits me parlent encore.
L’Etat de Côte d’Ivoire qui avait la possibilité d’engager la responsabilité internationale de la France devant la Cour internationale de Justice s’est ravisé, après l’arbitrage équilibriste du président [Gbagbo] ivoirien d’alors. Cet hommage à sens unique n’est pas fait pour cicatriser la balafre faite aux relations entre la France et la Côte d’Ivoire.
Des questions des droits de l’Homme éludées au nom d’une raison d’Etat factice.
Quid de la disparition du journaliste franco-canadien Guy André Kieffer ! Ne nous embarrassons pas d’une sémantique juridique lourde quand l’évidence de la mort du journaliste pend au nez ! Qui a assassiné Guy André Kieffer et pourquoi? A qui profitait ce crime? Qui dérangeait-il réellement? Il est peut-être vain de s’obstiner à rechercher les commanditaires de cet acte crapuleux dans le même camp 15 ans après.
Tôt ou tard, les langues se délieront. La vérité prend son temps.
C’est dans ce déni ou cette application partielle des droits de l’Homme, cette sempiternelle arrogance qu’il faut rechercher pour une bonne part le terreau fertile du fameux sentiment anti-français qui s’appelle en réalité volonté pressante et structurée d’autodétermination.
Évoquer ces questions qui fâchent n’a rien de glamour; Il ne faut pas provoquer d’ingestion à l’heure du réveillon de Noel!
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