Par Benjamin Roger et Vincent Duhem
La rencontre, aux Pays-Bas, entre Charles Blé Goudé et Guillaume Soro, qui ne s’étaient pas vus depuis dix ans, augure-t-elle d’une alliance à même de se concrétiser dans les urnes ? Éléments de réponse.
À quoi peuvent bien penser Guillaume Soro et Charles Blé Goudé en ce dimanche 24 novembre sous les néons d’un hôtel de La Haye, aux Pays-Bas ? Voilà bientôt dix ans qu’ils ne sont pas revus. Leurs années de clandestinité au sein de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci), les coups qu’ils y ont pris, l’amitié qu’ils y ont forgée… Tout cela semble tellement loin. Entre-temps, ils sont devenus ennemis, ont plongé dans une guerre qui a fait plusieurs milliers de morts. L’un a fini à la CPI, l’autre au sommet de l’État. L’histoire aurait pu être tout autre, mais le destin d’un homme tient parfois à peu de chose.
Les retrouvailles ont duré près de cinq heures. Pour l’occasion, l’ancien président de l’Assemblée nationale a revêtu un complet bleu marine. L’ex-ministre de la Jeunesse de Laurent Gbagbo, lui, a opté pour un style légèrement plus décontracté : un pantalon beige, une veste et une cravate.
Moment solennel
Ils se sont d’abord vus en tête-à-tête, puis ont été rejoints par leurs délégations, avant de s’isoler à nouveau pour peaufiner un communiqué final dans lequel ils exhortent « le régime d’Abidjan à organiser des assises politiques nationales inclusives, en vue de vider tout le passif de la récente crise qui a endeuillé la Côte d’Ivoire [et] de créer les conditions idoines pour une stabilité et une paix sociale durables ».S
« Le moment était solennel, raconte Youssouf Diaby, le directeur de cabinet de Blé Goudé. Chacun a dit qu’il mettait son ego de côté et qu’il reconnaissait ses erreurs. Ils estiment tous les deux qu’il faut aller de l’avant et ne plus ressasser le passé. » Ce rapprochement a en réalité commencé il y a plusieurs années. Au début de 2014, quelques semaines seulement avant le transfert de Blé Goudé à La Haye, Guillaume Soro effectue une visite dans le village de l’ancien « général de la rue », à Kpogrobouo, près de Gagnoa.
Deux ans plus tard, il assiste aux obsèques de l’oncle de Blé Goudé, Sébastien Ségui Zogo. Un geste inattendu et apprécié par la famille endeuillée. Plusieurs émissaires de Soro rencontrent ensuite discrètement Blé Goudé à la prison de Scheveningen. En parallèle, les contacts entre leurs entourages, notamment entre Youssouf Diaby et Affoussiata Bamba Lamine, la conseillère spéciale de Soro, s’intensifient.
Appel à l’aide
Acquitté en première instance par la Cour pénale internationale (CPI), Blé Goudé est libéré le 1er février. Parmi les nombreuses personnes qui l’appellent ce jour-là, Guillaume Soro. Le contact direct est rétabli entre les deux hommes, qui depuis se parlent de temps à autre au téléphone. Leur rencontre n’est alors plus qu’une question de jours. La date sera définitivement fixée lors d’un voyage d’Affoussiata Bamba Lamine à La Haye, le 3 novembre, destiné à régler les derniers détails.
Charles Blé Goudé prend son équipe juridique dans les bras alors que lui et l’ancien président de la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo, entrent dans la salle d’audience de la Cour pénale internationale à La Haye, aux Pays-Bas, le mardi 15 janvier 2019.
CE RAPPROCHEMENT EST PUREMENT OPPORTUNISTE. PERSONNE N’EST DUPE
En réalité, le fil n’a jamais été vraiment rompu entre ces deux hommes de 47 ans depuis la fin de la crise post-électorale. « Lorsque Blé Goudé était en exil et qu’il cherchait à rentrer en Côte d’Ivoire, Soro faisait partie des gens du régime avec lesquels il échangeait. Soro l’a aussi soutenu financièrement », assure un ami commun. Craignant d’être arrêté, Blé Goudé appelle son ancien camarade à l’aide dans le courant de 2012 : « Général, il n’y a que toi qui puisses me sortir de cette situation ! » Soro lui conseille alors de se rendre au Burkina Faso et d’y demander la protection de Blaise Compaoré. Méfiant, son interlocuteur n’acceptera pas l’offre. Il sera arrêté au début de 2013 au Ghana.
À Abidjan, les retrouvailles entre les deux anciens adversaires ont été diversement interprétées. « C’est purement opportuniste. Personne n’est dupe. Blé Goudé a besoin de donner des gages pour montrer qu’il est un homme de paix et de réconciliation. Soro, lui, s’en sert pour montrer qu’il est capable de pacifier le pays », estime un quadra du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). « Ce qu’ils veulent, c’est isoler le président Alassane Ouattara », ajoute un proche de Laurent Gbagbo.
Gbagbo attentif
Depuis sa résidence de Bruxelles, d’où il a lui-même amorcé une réconciliation avec Henri Konan Bédié, l’ancien président observe attentivement l’évolution du positionnement de son ancien compagnon de détention. Considérant qu’il « est indépendant, qu’il a son propre cheminement et sa propre voie à tracer », il ne communique pas directement avec lui, mais a suivi son rapprochement avec Simone Gbagbo et Pascal Affi N’Guessan, deux personnalités du Front populaire ivoirien (FPI) qui remettent en cause la ligne « Gbagbo ou rien ». « Blé Goudé n’ira jamais aussi loin qu’Affi, mais il estime que Simone subit des choses inacceptables », affirme l’un de ses proches.
Toujours sous la menace de la CPI, qui n’a pas définitivement statué sur son sort, Blé Goudé s’affiche en homme de paix, capable de se réconcilier avec tout le monde. « Il a un seul credo : vérité, pardon et repentance », jure Youssouf Diaby.
« Sa stratégie depuis sa sortie de prison est de parler à tout le monde et de se poser comme un interlocuteur crédible, analyse Alafé Wakili, le directeur du quotidien L’Intelligent d’Abidjan, l’un de ses amis. Sa rencontre avec Soro entre dans ce cadre. Il prend par ailleurs son indépendance vis-à-vis de Laurent Gbagbo, tout en faisant attention à n’adopter aucune position conflictuelle vis-à-vis de son mentor. »
Pacte de non-agression « Qui va rouler l’autre en premier »
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