Par Abrahm Kouassi Justiceinfo.net
A près d’un an de la deuxième élection présidentielle depuis la guerre civile ivoirienne de 2010-2011, la justice et la question des réparations semblent menacées d’instrumentalisation politique.
« S’il n’y a pas d’indemnisation des victimes, il ne peut pas y avoir de réconciliation » avait déclaré le président de la République Alassane Ouattara, en avril 2019. Six mois plus tard, de nombreuses victimes restent encore dans l’attente.
L’ombre de la violente crise de 2010-2011 plane toujours sur la Côte d’Ivoire. La question de l’indemnisation des victimes est l’une des plus épineuses, près de dix ans après la fin de la guerre civile qui a causé la mort d’environ trois mille personnes, nonobstant la remise de chèques à des victimes et ayant-droits et les déclarations des plus hautes autorités. En avril dernier, le président de la République Alassane Ouattara avait ainsi affirmé que « s’il n’y a pas d’indemnisation des victimes, il ne peut pas y avoir de réconciliation ».
Il n’y a pas de chiffres récents, mais l’archevêque de Bouaké, Mgr Paul-Siméon Ahouanan Djro, président de la Commission nationale pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes (Conariv), avait indiqué le 19 avril 2016, que sur 874 056 dossiers réceptionnés, seuls 316 954 ont été validés, soit 36 %.
Des centaines de personnes crient leur indignation.
À Abidjan, Dominique Oula, chargé des programmes au sein du Collectif des victimes de Côte d’Ivoire (Covici) fait partie des indignés. Selon lui, des personnes auraient été « retirées » de la liste des victimes à indemniser. « Au moment de la vérification des dossiers, certains numéros de téléphone étaient injoignables, par conséquent ces derniers ont été simplement retirés », a-t-il expliqué. Certains rejets, notamment ceux dus aux erreurs sur les formulaires, a-t-il poursuivi, seraient le fait d’agents de la Conariv. « Les formulaires étaient remplis par des agents de la Conariv et non par les victimes », souligne-t-il, amer.
POLITISATION DES INDEMNISATIONS
Outre cette question, Oula dit craindre encore davantage « la politisation du processus de restauration de la dignité des victimes ». Selon lui, les opérations d’indemnisation seraient associées à des politiques menées par les proches du chef de l’État. « À Abobo, en pleine campagne pour les élections municipales, le ministre Hamed Bakayoko, qui était candidat, était avec la ministre de la Solidarité pour distribuer des chèques », a déploré Oula. Le chargé de programmes du Covici cite d’autres cas, à Guiglo et à Guitrozon, où des chèques ont été distribués selon lui, à l’occasion de l’installation des bases du parti au pouvoir en Côte d’Ivoire. « C’est dommage de ruser ainsi avec la dignité des victimes », ajoute-t-il.
Un commentaire « totalement faux », selon les autorités. Xavier Effoue, responsable de la Communication du ministère en charge de la Solidarité et des victimes, joint par téléphone, estime que ce « sont des allégations faites par des personnes freinées dans leur élan de fraude ». « Nous ne répondons pas à ces allégations. Il y a une organisation qui est mise en place. L’indemnisation se poursuit tant qu’il y aura des victimes », a-t-il déclaré.
« Aujourd’hui des enfants vont à l’école grâce aux prises en charge. Des personnes ont bénéficié de fonds pour débuter des activités génératrices de revenus en plus de l’indemnisation. Est-ce que tout cela est lié à des activités politiques ? Beaucoup de choses se disent et la question est sensible. Mais, nous ne rentrons pas dans ces choses et nous continuons notre travail », a déclaré le collaborateur de la ministre Mariétou Koné.
JUSTICE EN CAMPAGNE
L’indemnisation des victimes n’est pas seule en cause. La justice ivoirienne semble elle aussi peiner à en finir avec cette période noire de l’histoire. En l’espace de quelques semaines, ce sont deux affaires impliquant des opposants historiques au pouvoir en place, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, qui sont réapparues sous les feux de l’actualité.
Les juges ont, d’abord, le mardi 29 octobre 2019, confirmé en appel la condamnation à vingt ans de prison de l’ancien président ivoirien dans l’affaire dite du casse de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). La première condamnation date de 2018. Gbagbo et trois de ses anciens ministres, le Premier ministre Gilbert Aké N’Gbo, Désiré Dallo (Economie et Finances) et Justin Koné Katinan (Budget) sont condamnés pour avoir « frauduleusement » ouvert l’agence de la BCEAO en pleine crise post-électorale.
Quant à Blé Goudé, il est accusé de « crimes contre les prisonniers de guerre » et de « crimes contre des populations civiles ». Il est jugé par contumace depuis fin octobre et les audiences dans cette affaire se déroulent à huis clos.
Il y a quelques jours, le Procureur de la République a annoncé le renvoi de ce procès devant un tribunal criminel, avec une requalification des faits, sans plus de précisions.
Photo: Sansan Kambilé, Garde des Sceaux devant la Commission des Affaires Générales et Institutionnelles de l’Assemblée nationale présidée par le Député Abdoulaye Sidibé, 3 octobre 2019
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