Edwige FIENDE
L’ex-leader des Jeunes patriotes ivoiriens Charles Blé Goudé est « est bel et bien poursuivi en Côte d’Ivoire pour les mêmes faits pour lesquels il est poursuivi à la Cour pénale internationale (CPI) », a affirmé son avocat, Me Claver N’Dri, qui s’est « étonné » que le procureur général dise qu’ »il ne s’agit pas des mêmes faits », dans une interview à des médias ivoiriens dont ALERTE INFO.
Lors d’une conférence, le procureur général d’Abidjan Léonard Lebry avait fait état d’une requalification des faits, qu’en est-il ?
Nous avons écouté avec beaucoup d’intérêt cette conférence de presse. Je voudrais dire qu’il n’a jamais été question de requalification des faits en ce qui concerne le dossier que nous avons. Nous n’avons pas eu de document nous revenant que le parquet général ait demandé une quelconque requalification des faits. Les avocats de Charles Blé Goudé s’insurgent contre cette information qui a été donnée lors de cette conférence de presse.
Le réquisitoire du procureur ne porte aucune demande de requalification des faits. Nous voulons dire que le document que le procureur a versé au dossier suivait exactement l’ordonnance de non-lieu partiel rendue par le juge d’instruction qui demandait le renvoie M. Charles Blé Goudé devant une juridiction du jugement pour les faits de crimes contre populations civiles et crimes contre prisonniers de guerre. Voici les deux infractions qui étaient retenues par le juge d’instruction après son information.
Le parquet général a exactement repris les faits et les infractions retenues par le juge d’instruction. Que le parquet se soit rendu compte de ses errements juridiques après les précisions faites par les avocats à la sortie de l’audience du 06 novembre, il faut avoir le courage de l’assumer, de retenir que le parquet s’est trompé et avoir l’humilité de dire que nous nous sommes trompés.
Le procureur avait aussi soutenu que les faits poursuivis en Côte d’Ivoire étaient différents de ceux devant la CPI, quelle est votre réaction ?
Qu’appelle t-on faits différents lorsque le procureur dit que les faits poursuivis à la CPI sont des faits différents de ceux qui poursuivis par les juridictions ivoiriennes. Je ne sais pas si nous avons exactement le même dossier. Sous le bénéfice de la différence de dossier, je peux l’accepter, mais si c’est le même dossier je suis fort étonné qu’on puisse dire devant la face des Ivoiriens qu’il ne s’agit pas des mêmes faits.
M. Blé Goudé est un citoyen comme tout autre, il a le droit d’être poursuivi si on estime que les faits pour lesquels on le poursuit sont fondés. Il est bel et bien poursuivi en Côte d’Ivoire pour les mêmes faits pour lesquels il est poursuivi à la CPI. Je le dis par rapport au dossier que j’ai compulsé. L’ordonnance du juge d’instruction reprend exactement à quelques mots prêts les mêmes faits qui sont reprochés à Blé Goudé à la CPI.
Nous avons plaidé devant la chambre d’accusation à l’époque, exactement le 21 mars 2014 pour que la justice ivoirienne juge M. Charles Blé Goudé, ils ont préféré l’envoyer devant la CPI. A l’époque, tout le monde disait : « il est préférable que M. Blé Goudé aille à la cour pénale internationale parce que si nous le jugeons, les gens vont dire que nous manquons d’impartialité. A La Cour pénale internationale, on ne dira pas qu’elle est une juridiction sous le contrôle d’un président, d’un ministre ». C’est ce qui s’est passé. Il est acquitté, pour l’instant en tout cas, tirons-en les conséquences. Pourquoi on veut revenir dans le jeu là où soi-même, on a délaissé son privilège, son pouvoir de juger son national, au profit d’une juridiction internationale ?
Ce n’est pas vrai de dire aux Ivoiriens que les faits pour lesquels M. Charles Blé Goudé est poursuivi sont différents. Dans le dossier que nous avons, c’est exactement les mêmes faits.
L’ordonnance qui a retenu l’infraction contre M. Charles Blé Goudé, nous l’avons en tant qu’avocats. Nous connaissons exactement la liste des témoins. Donc on ne peut pas changer les choses. Nous avons compulsé le dossier, la seule chose que nous avons demandée, c’est qu’on nous laisse le temps, je ne sais pas pourquoi on était pressé. On poursuit quel agenda ? je me pose la question. Ou on veut juger M. Charles Blé Goudé pendant qu’il est à la Cour pénale internationale ? Ça ne peut pas se faire. C’est une violation supplémentaire de ses droits. M. Charles Blé Goudé n’est pas en exil en Hollande, il a été remis aux autorités de la Cour pénale internationale par les autorités ivoiriennes, donc vous ne pouvez pas le juger en dehors de lui. D’ailleurs, le procureur général l’a dit, pour qu’on juge M. Blé Goudé, il est important qu’il soit là. Alors la semaine supplémentaire qu’on allait donner aux avocats et qu’on leur a refusée, répond à quoi ?
Nous avons un devoir de vérité vis-à-vis des Ivoiriens. Je ne comprends pas cet agenda qui fait courir subitement ce dossier. On nous a envoyé des avis d’audience qu’on a déposés dans notre casier au palais (de justice) le 22 octobre pour une audience le 23 octobre, comme si nous étions en référé. Pourtant, nous sommes en matière pénale où les délais doivent être respectés.
Le code parle de nous donner des convocations huit jours avant. On nous a donné les convocations exactement la veille de l’audience. Qu’est-ce qui fait courir dans cette affaire ? C’est lorsque nous sommes arrivés le 23 octobre, le juge de la chambre d’instruction a renvoyé cette affaire d’office, sans que les avocats de M. Charles Blé Goudé ne demandent quoi que ce soit. Le dossier a été mis à notre disposition dans la semaine du 23 au 30. C’est en compulsant le dossier le 30 octobre, que nous nous sommes rendus compte qu’il y avait une pièce importante qui devait en principe se trouver dans le dossier qui ne s’y trouvait pas. C’est comme ça que le 30 nous avons demandé que cette pièce soit donnée et cette pièce nous a été donné le 05, soit la veille de l’audience du 06, c’est pourquoi nous avons dit à la chambre qu’on a demandé une pièce qui nous a été rendu la veille. Or, si nous tenons compte des textes, nous devons déposer nos écritures le même jour à 15h. Franchement, si ce n’est pas parce qu’on veut violer de façon délibérée les droits de la défense, on ne peut pas demander cela à des avocats.
On a dit que ce n’était pas possible (…) respectueusement. Alors qu’on ne vienne pas dire devant des journalistes, que les avocats de M. Blé Goudé ont demandé le renvoi, le 23 et le 30, faisant croire que nous sommes dans le dilatoire, nous ne sommes pas dans le dilatoire. S’ils étaient si bien pressés M. Blé Goudé aurait été jugé depuis 2014. Donc ce n’est pas maintenant qu’on va nous faire croire qu’ils sont diligents.
Le procureur Lébry a dit que ce sont justement vos tergiversations qui ont créé le retard de la procédure, que répondez-vous ?
Nos tergiversations ? Je ne sais pas de quoi le procureur général parle. D’ailleurs, je m’étonne que le procureur général ne se soit pas étonné même que la pièce ne se soit pas trouvée dans le dossier depuis longtemps. Ça, c’est quand même étonnant. Vous rendez une décision depuis le 21 mars 2014 concernant un dossier de M. Charles Blé Goudé, les avocats viennent compulser le dossier, la pièce en question ne s’y trouve pas. Je pense que le procureur général devait d’abord s’interroger sur cette explication-là. Ce ne sont pas les avocats qui sont en train de faire des tergiversations. Je pense qu’il connaît les auteurs… Ce n’est pas à nous qu’il s’adresse.
Vous avez dit que la pièce vous a été remise 24 heures avant l’audience. Comment expliquez-vous le fait qu’on vous remette un document aussi important la veille ?
C’est cette précipitation justement que nous ne comprenons pas, franchement. Aujourd’hui, on veut nous parler de célérité, mais il y a des personnes en prison depuis des années qui ne sont pas jugées. C’est ça la célérité ? Les droits de la défense sont sacrés. C’est M. Blé Goudé qui risque la peine, alors ses avocats viennent demander une semaine, si on ne veut pas mépriser les droits de la défense, je ne sais pas pourquoi on nous a privé de cette semaine, surtout que M. Blé Goudé n’est pas jugé aujourd’hui en Côte d’Ivoire. Je crois que le problème doit se poser certainement ailleurs.
Quelle sera la suite de l’affaire?
Je note simplement que les avocats sont sortis. Nous nous sommes déportés et cela n’a pas empêché la justice de se poursuivre. C’est dommage et c’est une violation des droits de la défense. Lorsque vous poursuivez quelqu’un, vous devez mettre cette personne en mesure de se défendre, vous devez lui donner un temps de préparation, c’est important. Nous ne comprenons pas ce qui fait courir la justice ivoirienne dans cette affaire. M.Blé Goudé est à la CPI du fait des autorités ivoiriennes, on ne peut pas continuer de marcher sur les droits de la défense. Les droits de la défense sont sacrés. Le procès est un jeu rigoureux parce que les dispositions doivent être respectées. Je souhaite que les acteurs du corps judiciaire ne soient pas hors-jeu.
Alerte info/Connectionivoirienne.net
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