Au Burkina, face à l’impuissance des autorités à enrayer le cycle des violences, des citoyens s’engagent
Terrorisme et violences communautaires apportent leur lot de victimes. Dernier en date, un attentat contre un convoi qui a fait 37 morts.
Par Sophie Douce
Plus de 10 000 personnes se sont rassemblées, le 26 octobre 2019, au Stade municipal de Ouagadougou pour exprimer leur soutien aux forces de défense et de sécurité burkinabées. Sophie Douce pour « Le Monde »
La médiatisation est retombée. La ministre française des armées, Florence Parly, est repartie après une visite éclair, lundi, à Ouagadougou. L’opération militaire conjointe des forces françaises « Barkhane » avec celles du G5 Sahel dans la zone des trois frontières (Niger, Mali, Burkina Faso) a été lancée.
Au Burkina Faso, pourtant, une question taraude toujours la société civile : comment s’engager ? Une interrogation qui se fait une place entre les critiques sur la présence militaire française et la souffrance de voir la machine d’Etat burkinabée enrayée, impuissante. Les attaques terroristes et les violences communautaires ne cessent de se multiplier et apportent chaque semaine leur nouveau lot de victimes et de déplacés.
Mercredi 6 novembre, un assaut contre un convoi minier a tué au moins 37 personnes dans l’est du pays. En quatre ans, plus de 600 militaires et civils ont déjà été tués dans les exactions des groupes djihadistes et près d’un demi-million de personnes déplacées.
Las de voir « ses proches mourir »
Las de voir « ses proches mourir et souffrir », Aly Nana, originaire de la commune de Kongoussi, dans la région du Centre-Nord, où plusieurs dizaines de milliers de Burkinabés ont trouvé refuge ces derniers mois, a décidé de passer à l’action. De se « sacrifier », précise-t-il pompeusement. Ce juriste de 45 ans a lancé mardi 5 octobre son « mouvement de résistance populaire ». L’idée ? Former des « comités de surveillance et de défense » dans chaque province du pays pour « assurer la protection des populations en appui aux forces de l’ordre » et en collaboration avec les koglweogos, un groupe d’autodéfense local initialement créé pour lutter contre les voleurs de bétails et les bandits.
« On organise des patrouilles dans les villages pour repérer et dénoncer tout individu suspect auprès des autorités », détaille Aly Nana. Il dit s’inspirer « des CDR de Thomas Sankara », les Comités de défense de la révolution créés par l’ancien président « révolutionnaire » (1983-1987) pour gérer la sécurité et mettre au pas la population. Seules conditions pour s’engager comme volontaire : obtenir le feu vert de son chef de localité, présenter « un casier judiciaire vierge » et se doter de… « courage ! », énumère le coordinateur qui compte obtenir le soutien de l’état-major général des armées. « S’il y a des brebis galeuses, elles seront punies, nous veillerons au respect des droits humains », jure-t-il. Selon lui, l’initiative aurait déjà permis « l’arrestation de plusieurs terroristes » dans la province du Bam et mobiliserait « près de 8 000 membres » à travers le pays. Un chiffre invérifiable.
Mais l’initiative inquiète déjà au Burkina Faso, où les tensions communautaires se sont aggravées cette année. Dans la presse locale, certains partisans de ce « mouvement de résistance populaire » ont en effet demandé à être armés « pour se défendre ». « Non, nous n’armerons personne tant que nous n’aurons pas d’autorisation ! » rétorque Aly Nana, irrité par la question.
« Il faut s’attendre au pire »
L’idée de mobiliser la population face à l’insécurité grandissante n’est pas nouvelle. Elle est officiellement encadrée par une loi de 2016, qui intègre les « structures communautaires locales de sécurité » à la police de proximité. Ce dispositif a permis la montée en puissance des groupes d’autodéfense comme les koglweogos.
« Les populations se sentent de plus en plus abandonnées par l’Etat et tentent de s’organiser, mais la multiplication de ce genre de groupes pourrait conduire à de graves dérives, alerte le politologue Kassem Salam Sourwema. On risque d’en perdre le contrôle et d’assister à la constitution de milices communautaires, et alors, il faut s’attendre au pire. » Le massacre de Yirgou devrait inciter à la prudence. Le 1er janvier, 49 personnes ont péri, selon les chiffres officiels, lors de représailles imputées à des villageois mossis et à des miliciens koglweogos contre des membres de la communauté peule. « L’absence de sanctions après Yirgou a aggravé le sentiment d’impunité et cette idée que chacun peut se défendre comme il veut sans être inquiété », pointe le chercheur.
Dépassées sur le terrain militaire, les autorités le sont également sur le plan humanitaire face à l’aggravation rapide de la crise. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, 486 000 déplacés ont déjà fui leur foyer à cause des violences, dont la moitié au cours des trois derniers mois. « En dépit de nos efforts, la situation humanitaire est loin de s’améliorer. (…) Si la tendance se poursuit, nous pourrons atteindre 650 000 personnes déplacées d’ici à décembre », relève la ministre de la femme et de la solidarité nationale, Laurence Ilboubo Marchal. Or « seulement 32 % » des 187 millions de dollars (169 millions d’euros) requis par un plan d’urgence, lancé en février, ont été mobilisés.
« Plus de 30 tonnes de vivres »
Photo: Le 26 octobre 2019, dans le Stade municipal de Ouagadougou, rassemblement de soutien aux forces de sécurité burkinabées. OLYMPIA DE MAISMONT/AFP
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