Selon le dernier rapport sur la population mondiale publié en septembre par l’organisme américain PRB (Population Reference Bureau), une des références mondiales en matière de démographie, la population du Sénégal aurait atteint 16,3 millions d’habitants au 1er juillet 2019.
Mais en dépit de ce formidable dynamisme démographique, grâce auquel le Sénégal est passé d’environ 2,5 millions d’habitants en 1950 à plus de 16 millions aujourd’hui, le pays demeure sous-peuplé par rapport à de nombreux pays développés de taille comparable ou plus modeste.
Un pays faiblement peuplé, et plus vaste qu’on ne le croît
Avec ses 196 700 km2 environ, une superficie quasi intégralement habitable car située en dehors des zones arides du continent (le désert de Lompoul ne couvrant que 18 km2, soit moins de 0,01% du territoire), le Sénégal est non moins de 4,7 fois plus vaste que les Pays-Bas (41 500 km2), qui sont pourtant plus peuplés avec leurs 17,1 millions d’habitants (pour leur partie européenne, ou « métropolitaine », donc hors territoires insulaires des Caraïbes).
En d’autres termes, le Sénégal devrait compter aujourd’hui 81,1 millions d’habitants pour avoir la même densité de population que les Pays-Bas. Autre exemple, le pays de Léopold Sédar Senghor n’est même pas moitié plus peuplé que la Belgique (11,5 millions), alors qu’il est 6,4 fois plus étendu que cet autre pays européen (30 700 km2). Ainsi, il devrait abriter 73,9 millions d’habitants pour être aussi densément peuplé que la Belgique. Autre comparaison possible, la population du Sénégal n’est pas encore deux fois plus élevée que celle de la Suisse (8,6 millions), alors que son territoire est 4,8 fois plus important. En d’autres termes, le Sénégal devrait avoir 40,9 millions d’habitants pour être proportionnellement aussi populeux.
Ainsi, et même sans être un grand pays, le Sénégal est tout de même près de 26% plus vaste que l’ensemble formé par la Belgique, la Suisse, les Pays-Bas et le Danemark (métropolitains), quatre pays prospères d’Europe de l’Ouest, et totalisant 43,0 millions d’habitants. Par conséquent, il devrait compter non moins de 54,0 millions d’habitants pour être proportionnellement aussi peuplé que cet ensemble.
Enfin, et toujours sur le continent européen, il est également possible de citer, parmi d’autres, l’exemple du Royaume-Uni, dont la population est de 66,8 millions d’habitants pour un territoire légèrement plus étendu que celui du Sénégal (243 500 km2, Irlande du Nord incluse, soit + 24 % seulement). En d’autres termes, le Sénégal devrait compter, là aussi, 54,0 millions d’habitants pour être au même niveau de densité démographique.
Ceci est d’ailleurs l’occasion de rappeler que la plupart des cartes géographiques en circulation (en particulier celles basées sur la projection de Mercator), dressent une représentation largement déformée de la planète en réduisant considérablement la taille des pays du Sud. Ainsi, la Côte d’Ivoire est par exemple un tiers plus grande que le Royaume-Uni, et non deux à trois fois plus petite. Autre cas intéressant, l’Algérie n’est pas trois ou quatre fois moins étendue que le Groenland, mais 10 % plus vaste !
Mais le sous-peuplement du Sénégal est davantage mis en évidence lorsque l’on effectue des comparaisons avec des pays asiatiques. Ainsi, le Sénégal compte bien moins d’habitants que la Corée du Sud, grande puissance économique et sixième exportateur mondial de biens avec ses 51,8 millions d’habitants répartis sur un territoire pourtant presque deux fois plus petit (100 200 km2). Le Sénégal devrait ainsi compter non moins de 101,7 millions d’habitants pour être au même niveau de densité de population que le « pays du matin calme », qui, par ailleurs, est presque aux deux tiers recouverts de forêts (part en forte hausse par rapport aux années 1960). Autre exemple assez révélateur, le Sénégal a toujours moins d’habitants que la richissime Taiwan, seizième exportateur mondial de biens et dont les 23,6 millions d’habitants se répartissent sur un territoire 5,4 fois moins étendu (36 200 km2) ! En d’autres termes, le Sénégal abriterait aujourd’hui 128,2 millions d’habitants s’il était aussi densément peuplé que Taiwan, pays lui aussi à la nature luxuriante et recouvert à près de 55% de forêts.
Sans aller géographiquement aussi loin, de simples comparaisons avec un certain nombre de pays africains, situés principalement dans la partie anglophone du continent, permet là aussi de constater la faiblesse du peuplement du pays. Ainsi, le Sénégal compte, par exemple, moins d’habitants que le Malawi (18,6 millions), alors que son territoire est 66% plus vaste que ce pays d’Afrique australe (118 500 km2). S’il était proportionnellement aussi peuplé, il abriterait alors 30,9 millions d’habitants. Plus au nord, l’Ouganda a une population aujourd’hui estimée à 44,3 millions d’habitants, pour un territoire qui n’est que 22 % plus étendu (241 000 km2). Chose qui signifie que le Sénégal devrait avoir 36,1 millions d’habitants pour être aussi densément peuplé. Autre exemple, et pour revenir en Afrique de l’Ouest, le Sénégal devrait compter non moins de 42,8 millions d’habitants pour être au même niveau de densité démographique que le Nigeria. Pourtant, il est intéressant de noter que le Nigeria et l’Ouganda continuent à avoir un taux de fécondité supérieur à celui du Sénégal, avec respectivement des taux de 5,3 et de 5,1 enfants par femme pour les deux premiers pays, et de 4,6 pour le troisième (taux qui sont, par ailleurs, sur une pente baissière depuis les années 1980, lorsqu’ils se situaient à environ 7 enfants par femme).
Au passage, il convient également de rappeler que le fait de ne pas être l’un des pays les plus peuplés du continent n’est nullement de nature à empêcher le Sénégal, qui ne manque pas d’atouts, d’en devenir l’une des principales puissances économiques. À titre d’exemple, un pays comme Taïwan et ses 23,6 millions d’habitants seulement, avait, fin 2018, un PIB 48 % supérieur à celui du Nigeria, première économie du continent, dont il est également la première puissance démographique (198,4 millions d’habitants).
Après avoir connu une croissance annuelle de 5,8 % en moyenne sur la période septennale 2012-2018, l’une des meilleurs performances africaines, le Sénégal, qui est pourtant l’un des pays les plus riches d’Afrique subsaharienne (avec un PIB par habitant de 1522 dollars fin 2018, selon la Banque mondiale, soit, par exemple, 97% de plus que le Rwanda – 773 dollars, un pays bénéficiant d’une très forte et trompeuse propagande), devrait continuer à enregistrer une croissance soutenue, de l’ordre de 7 % par an pour les quelques années à venir, au moins. Dans le même temps, des pays comme le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Angola ont connu une progression annuelle de 2,8 %, de 1,4 % et de 2,2 %, seulement et respectivement sur cette même période septennale, et devraient encore afficher une croissance assez faible pour les quelques prochaines années, au moins.
Si la tendance se poursuit, le Sénégal, peuplé de 16 millions d’habitants, et du double d’ici 2050, peut donc parfaitement devenir, lui aussi, une des premières puissances économiques du continent, sinon la première (et après avoir dépassé, entre temps, un certain nombre de pays développés). Tout dépendra alors de la capacité des Sénégalais à faire émerger une société organisée, disciplinée et innovante.
Un pays au grand potentiel agricole, une nature généreuse et sous-exploitée
Par ailleurs, il convient de rappeler que le pays de Sédar Senghor a le grand avantage d’avoir un territoire quasi intégralement exploitable, et ce, contrairement à de nombreux pays dans le monde, comme la plupart des pays du Sahel ou encore comme la Suisse, la Corée du Sud et Taïwan, précédemment cités et dont le territoire est en bonne partie montagneux. Cet inconvénient est d’ailleurs particulièrement important pour la Suisse et Taïwan, pays aux deux tiers montagneux, dont une partie importante du territoire est située à plus de 1 000 mètres d’altitude (environ 50 % pour le premier et 40 % pour la second) et qui comptent plusieurs dizaines de sommets de plus de 3000 mètres. Un relief largement désavantageux, et qui rend inhabitable et difficilement accessible une partie non négligeable du pays.
Mais en plus de sa topographie très favorable, le Sénégal a également la chance de pouvoir compter sur d’assez importantes ressources hydrauliques, grâce aux nombreux cours d’eau qui le sillonnent et aux précipitations assez importantes qu’il reçoit sur la grande majorité de son territoire, y compris dans la moitié sud de la zone sahélienne du pays, contrairement à une idée assez largement répandue. À titre d’exemple, les villes de Linguère et d’Ourossogui, situées dans le nord du pays, bénéficient, respectivement, d’une pluviométrie annuelle moyenne d’environ 400 et 390 millimètres, soit bien davantage qu’un certain nombre de grandes régions agricoles situées dans la partie sud du pourtour méditerranéen. Comme, par exemple, celle de Sfax, deuxième ville de Tunisie, et qui, avec une moyenne de seulement 230 mm de précipitations par an, est réputée pour ses millions d’oliviers qui font d’elle la principale région productrice d’huile d’olive du pays (deuxième exportateur mondial en la matière, et premier producteur et exportateur mondial d’huile d’olive biologique). Avec une pluviométrie environ 70 % plus importante que cette région méditerranéenne mondialement connue, et grâce aux différentes techniques de récupération et de stockage de l’eau pouvant être mises en œuvre, ces deux régions sahéliennes du Sénégal pourraient alors, elles aussi, devenir de grandes zones agricoles exportant leurs produits dans le monde entier.
Comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Tunisie et bien d’autres pays encore, le Sénégal a donc bel et bien un important potentiel agricole. Un potentiel dont une infime partie est aujourd’hui exploitée, ce qui est d’autant plus regrettable qu’une plus grande utilisation des atouts agricoles du pays serait de nature à contribuer grandement à son industrialisation, à travers les industries agroalimentaires. Le développement de l’agriculture et des industries agroalimentaires contribuerait alors à pérenniser la forte croissance économique que connaît actuellement le pays. Il convient d’ailleurs de rappeler ici que la Sénégal fait partie de la plus vaste zone de forte croissance du continent qu’est l’UEMOA, un espace de huit pays dont le PIB global a connu une hausse annuelle de 6,3% en moyenne sur la période de sept années allant de 2012 à 2018. Une performance unique sur le continent pour une zone aussi vaste, et qui a contribué à faire de l’Afrique francophone subsaharienne le moteur de la croissance africaine, arrivant en tête pendant six des sept dernières années (et pour la cinquième fois consécutive en 2018) et affichant une croissance annuelle globale de 4,2 % en moyenne (4,9 % hors cas très particulier de la Guinée équatoriale), contre 2,9 % pour le reste de l’Afrique subsaharienne sur la période 2012-2018. Par ailleurs, il est intéressant de constater que la croissance économique enregistrée par l’espace UEMOA sur ces sept dernières années a ainsi été deux fois plus importante que sa croissance démographique annuelle, d’environ 3,0 %. Chose qui contredit clairement les affirmations de certains commentateurs, selon lesquelles une forte croissance démographique serait un frein à la croissance économique.
La Sénégal, et plus globalement les pays du Sud, doivent donc continuer à œuvrer à la défense de leurs intérêts, à l’accroissement de leur visibilité sur la scène internationale, et ce, sans se préoccuper des déclarations de certains commentateurs ou de certaines personnalités venant d’autres continents, et dont les intentions ne sont pas toujours les meilleures (ou dont l’attitude est motivée par la crainte des flux migratoires). La croissance démographique, et même la surpopulation (concept dont la définition est très difficile à établir, en plus d’être variable d’une génération à une autre, depuis l’antiquité…) n’ont jamais été de nature à empêcher un pays de se développer. Comme le démontre l’exemple de nombreux pays asiatiques et européens, fortement peuplés et faiblement dotés en ressources naturelles, le développement économique d’une nation repose d’abord et essentiellement sur le respect des trois conditions suivantes : l’organisation, le travail et la discipline.
Enfin, et pour ce qui est de la protection de l’environnement, il convient de rappeler que l’humanité, qui n’a d’ailleurs jusqu’ici utilisé que moins de 5% de l’ensemble des richesses naturelles de la planète (sur terre et en mer), malgré plusieurs siècles d’exploitation, utilise aujourd’hui moins de 1% du potentiel mondial en matière d’énergies renouvelables, considérées comme non polluantes et qui sont donc à privilégier (énergies solaire, éolienne et hydraulique, géothermie et biomasse).
Une très large sous-exploitation de ces énergies qui est également valable pour la Sénégal, même si celui-ci vient d’inaugurer d’assez importantes centrales solaires. Ainsi, et compte tenu des grands espaces encore disponibles, du potentiel considérable en énergies renouvelables, et des progrès permanents de la science (dans l’agriculture, les énergies renouvelables, le traitement des déchets, l’architecture…), la Terre pourrait aisément abriter bien davantage que sa population actuelle.
Et même, et n’en déplaise à certains, beaucoup plus que le niveau autour duquel devrait se stabiliser la population mondiale selon les projections les plus récentes (autour de 11 milliards d’habitants à la fin du siècle, avant de diminuer).
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