Tout au long de la gouvernance des différents Présidents de la République qui se sont succédés à la tête de notre pays, s’est installée une corrélation non dissimulée entre le pouvoir politique et le pouvoir des médias, dans le but de renforcer la légitimation du premier, de bonifier son image, de contrôler l’information, de justifier son discours politique et d’accroître la visibilité de son action.
Certains ont été plus loin en caporalisant la jeunesse et en utilisant des célébrités du monde culturel pour servir leurs causes, mais surtout leurs intérêts.
La constance de cette attitude dans la gestion du pouvoir d’État démontre d’une part, l’importance de la bataille culturelle et de la guerre des images, d’autre part que les moyens de communication dans notre pays, ne constituent pas un contre-pouvoir, mais des instruments au service des forces et des ambitions politiques, au service de puissances financières pour influencer ou mystifier dans un sens ou un autre « l’opinion publique ». Au-delà de cette volonté de contrôle, il existe un enjeu majeur tant pour le pouvoir que pour l’opposition, celui de parvenir à asseoir sa domination sur les esprits et les émotions. Dès lors, les pratiques socio-politiques, les représentations, les discours, les images et les croyances collectives jouent un rôle important dans l’établissement des systèmes de domination.
Or, avec l’explosion des NTIC et la montée en puissance de la société civile un nouveau rapport s’établit entre le pouvoir politique et l’instance citoyenne. Aussi, la structure de l’espace public s’est considérablement modifiée, et compte désormais 4 composantes essentielles : le discours politique, la parole médiatique, la parole citoyenne et la circulation instantanée de l’image, on pourrait presque dire à ce propos, le témoignage de la technologie post-moderne. En observant et en analysant d’un point de vue discursif l’interaction de ces facteurs, il est possible de déceler pendant qu’il encore temps les ruptures structurelles et fonctionnelles dans la dynamique de légitimation ou de diabolisation du pouvoir. Les facteurs économiques, sociaux, idéologiques et politiques, parmi de nombreux autres certainement, ne permettent pas de gagner la bataille culturelle, si on ne prend pas en compte les liens entre le manifeste, l’apparent d’un côté et le latent, l’occulte de l’autre côté. Il y a des liens irrationnels, culturels, mémoriels et psychologiques qui interviennent dans la perception et l’expression de cette relation particulière entre le pouvoir et le peuple, qui produisent des échos du passé dans le présent ou qui actualisent des assocations et des alliances invisibles. Certaines images collent à la peau, certains clichés ont la vie longue, certaines légendes et reconstructions historiques finissent par avoir un fort impart sur le subconscient collectif à force de répétition. Le RHDP aurait tort de s’enfermer dans des certitudes et de compter entièrement sur son bilan et son rapport de force démocratique au niveau des grands électeurs et de son implantation territoriale. Il suffit d’observer les réactions populaires devant certains faits de société ou d’actualité, pour se rendre compte de certains dysfonctionnements dans les corrélations des différentes instances de l’espace public, depuis la parole citoyenne en tant qu’objet d’autorité de pression et juge de la pertinence jusqu’au rôle traditionnel du binôme politico-médiatique dans le traitement de l’information. 1 – Les filtres ne fonctionnent plus en raison de la pluralité des sources d’information. 2 – La globalisation du monde introduit de nouveaux éclairages et des éléments comparatifs 3- Les facteurs manifestes et apparents peuvent ne pas affecter la psychologie sociale dans le sens souhaité, ou briser des stéréotypes, des préjugés, des rumeurs et des résistances silencieuses, parce que l’irrationnel et l’émotion demeurent assez forts dans certaines ouches de population. 4 – Auparavant l’enrichissement personnel, la promotion sociale, les promesses et la peur suffisaient à maintenir la cohésion d’un système de gouvernance ou d’un régime, à lui assurer une réélection. Aujourd’hui, il faut compter avec le triomphe de la liberté individuelle un peu partout dans le monde, les ravages du populisme, la distance à l’égard du politique et l’indiscipline grandissante des militants qui remettent de plus en plus en cause les orientation de leur direction et certaines pratiques busives. 5- Le peuple a besoin d’être porté par une thématique qui le séduise, dans laquelle il peut se reconnaître et s’identifier, qui fasse écho à ses besoins et à ses aspirations ou à son background culturel.
Si l’opposition a choisi le registre thématique de son action et défini sa stratégie, en tentant de faire le procès de l’histoire à son profit, de surfer sur l’actualité pour dénigrer le pouvoir, de nourrir le mouvement social et en vue d’obtenir par tous les moyens un mécontentement populaire. Elle utilise pour parvenir à ses fins une alliance de fait avec de nombreux médias acquis à sa cause, de puissants relais de déconstruction et des entreprises de mystification et de falsification. Exemple, l’utilisation du thème mobilisateur et œcuménique comme la réconciliation nationale pour maquiller des alliances politiques, une démarche de conquête du pouvoir et donner un espace d’expression plus porteur à des ambitions, des revendications, des prétentions et une idéologie. Il convient de souligner que les partis de gauche qui constituent le noyau dur de cette opposition ont derrière eux une longue tradition de lutte. Depuis Houphouet-Boigny la gauche a pris la direction intellectuelle et morale du mouvement révolutionnaire en Côte d’Ivoire pour forger une nouvelle conscience sociale, citoyenne et nationale. Elle est très familière des schémas révolutionnaires de conquête du pouvoir. Elle sait qu’elle doit être très présente dans les médias, les organisions syndicales, les mouvements de masse, l’école et les institutions éducatives en vue de propager son discours, ses théories, son idéologie et surtout de pousser à l’engagement militant et à la révolte populaire. Elle a toujours eu l’intelligence de s’allier à certaines forces sociales, appartenant à la bourgeoisie libérale, à la classe dirigeante et au capital financier et mêmes aux forces armées. Si cette technique lui a réussi par le passé dans sa conquête du pouvoir, elle n’a pas réussi à installer pour autant sa révolution qu’elle a appelée refondation. Celle-ci ayant échoué pour diverses raisons, aujourd’hui elle peine à s’imposer aux consciences marquées par l’expérience de cet échec et une absence de projet dépassant les intérêts d’un groupe de personnes, d’un clan, mais aussi par l’œuvre du temps qui mis à nu de nombreuses impostures qui ont permis d’abuser de la crédulité des populations qui se sont laissées séduire un temps, par des mythes, l’ethno-nationalisme, le rejet de l’autre qui nie le panafricanisme prôné, tandis que de nouvelles fortunes et une nouvelle bourgeoisie d’arrivistes faisaient leur apparition.
Le pouvoir qui ne s’est pas investi dans les médias privés et qui a une pédagogie de l’action très insuffisante n’a pas encore osé choisir le thème porteur de sa future campagne, si l’on excepte la paix publique, la stabilité institutionnelle et le développement. Dernièrement, il s’est mis davantage à l’écoute des besoins et des aspirations des populations, espérant corriger ce dysfonctionnement avant fin 2020. Il a compris également qu’il doit inventer un modèle affectif de persuasion en privilégiant une approche personnelle et de proximité. En plus de ses élus qu’il a sur le terrain, il a mis en place une équipe gouvernementale avec pour mission d’être au plus près des populations dans leurs régions respectives, pour s’assure de l’impact de l’action gouvernementale sur la vie des populations. Toutes ces actions de rattrapage, de séduction, de correction, de communication, peuvent-elles suffire à combler le déficit qu’il a accusé dans la bataille culturelle pendant trop longtemps. Pourquoi des pouvoirs forts, bien installés, confiants en eux-mêmes, travailleurs et bien intentionnés arrivent-ils à perdre une élection ou à se faire renverser par un mécontentement populaire ? En raison de ces dysfonctionnements et surtout du fait d’avoir perdu la bataille culturelle. Dans le climat de défiance et de la politique d’isolement dans laquel l’opposition veut l’enfermer, la voix du pouvoir devient de moins en moins audible, à cause de ces dysfonctionnements et du fait d’avoir négligé la bataille culturelle au départ, confiant et optimiste qu’il était au regard de son poids électoral avec le PDCI et le RDR réunis. Pourtant, la bataille culturelle précède la bataille électorale. Aujourd’hui sa volonté optimiste de convaincre uniquement par l’économie, peut être questionnée, car si il parvenu à maintenir l’ordre social et public, c’est parce qu’il a réussi reformer et maîtriser son appareil sécuritaire tout en évitant de répondre la provocation. Il sait qu’il doit désormais exercer une emprise sur les représentations culturelles et les désirs collectifs de la société dont celui de la paix. Le RDR qui constitue l’ossature du RHDP a derrière lui également une longue tradition de lutte. Il sait qu’il ne doit pas se faire prendre au piège de l’auto-satisfaction ou de la résignation faute d’offensive, de pédagogie et de communication. Il doit continuer à faire rêver comme par le passé, malgré l’expérience du pouvoir et l’épreuve de la réalité. Il doit légitimer la conservation du pouvoir par son bilan, ses chantiers en cours, et le progrès social qu’il est capable d’apporter, mais surtout par la promotion de valeurs qui soient partagées par tous. La révolution pour lui à ce changement, et dans une société démocratique cette bataille prend place dans la société civile. Cette dernière doit faire preuve de résistance aux illusions, au populisme, aux émotions et aux discours de haine et d’exclusion. Elle doit favoriser une révolution pacifique, un changement des pratiques et la restauration des valeurs fondamentales d’une société éprise de paix, moderne, ouverte, inventive laborieuse, disciplinée et progressiste.
SOUMAREY Pierre
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