Sa vie et la maladie en prison, réforme de la CEI…Samba David parle sans détour « La Cei que nous voulons » (interview)

«La prison a plutôt ajouté à ma détermination à combattre…»

« Voici la Cei que nous voulons »

Connectionivoirienne.net a rencontré Samba David, un leader de la société civile qui aura passé plus de temps que prévu en détention entre 2015 et 2018. il revient ici sur sa vie de prisonnier et profite pour donner son point de vue sur la réforme de la Cei, un sujet qui remue l’actualité ivoirienne. Samba David avait même projeté un sit-in devant la Cei ce 23 juillet. Le meeting a été finalement reporté mais il fait ici ses propositions d’une mouture de l’organe électoral.

Vous êtes coordonnateur de la coalition des indignés de Côte d’Ivoire et à ce titre vous aviez été arrêté et conduit en prison où vous avez passé près de 3 ans. Que retenez-vous de cette phase de votre combat ?

Je voudrais tout d’abord dire merci aux journalistes qui ont souvent fait écho de mes conditions de détention. Grâce à vous l’opinion nationale et internationale a été informée de ma maladie. Aujourd’hui grâce à vous, je suis sur pieds et je m’adresse à nouveau aux ivoiriens. Le temps passé en prison ne m’a pas transformé, il ne m’a pas rendu peureux. Il ne m’a pas détourné de mes objectifs qui sont de me battre pour le mieux-être des ivoiriens. La prison a plutôt ajouté à ma détermination et en prison j’ai pu prendre le pouls de la misère, j’ai pu prendre le pouls de l’injustice que nous subissons au quotidien, j’ai pu prendre le pouls de la manipulation de la justice, j’ai pu prendre le pouls de la mainmise des plus riches sur nos institutions judiciaires. Tout ce que j’ai vu n’a fait qu’augmenter mon envie à me battre pour un état de droit, un état où il y a à manger pour tout le monde que pour très peu de personnes.

La prison, c’est pour vous couper de la vie quotidienne du dehors ! Comment derrière les barreaux vous découvrez l’Etat de Côte d’Ivoire dans la dimension que vous décrivez plus haut ?

L’Etat de Côte d’Ivoire a son reflet dans les prisons. Comment les prisons et les prisonniers sont gérés et quels sont ceux qui sont en prison ? Une prison, c’est le monde entier. A la Maca qui est la plus grande prison du pays, nous étions avec des asiatiques, des américains, des européens, des africains. Dans le bâtiment des Assimilés dont j’étais le porte-parole j’ai côtoyé ces gens de différentes nationalités et à partir de là on se fait une idée de ceux qui sont en prison. En prison nous avons découvert que beaucoup d’hommes d’affaires ivoiriens y venaient parce qu’ils avaient pour concurrents des non-nationaux qui avaient pour parrains des hommes politiques. Donc un dossier qui aurait pu se retrouver devant le tribunal du commerce, arrive en pénal et des hommes d’affaires sont ainsi emprisonnés. En prison aussi nous avons vu l’ex-maire par intérim de Yopougon Yao Yao Bertin qui a géré la commune au lendemain de la crise postélectorale. Il s’est retrouvé en prison à quelques mois des législatives de 2016. Il pleurait comme un enfant et je l’ai approché. Là il m’apprend qu’il a créé un parti politique pour concurrencer le parti au pouvoir. Cela a suffi pour que l’actuel maire Kafana du Rdr sorte un dossier de 30 millions d’un fournisseur de la mairie non payé quand M. Yao Yao était aux affaires. C’était une manigance politique pour que l’ex-maire ne soit pas candidat là où il voulait l’être. Il a été libéré deux jours après la proclamation des résultats des législatives. Ceci pour attester que nous avons vu comment la justice était manipulée. En prison aussi, nous avons vu des jeunes en fin de peine mais qui refusaient de partir parce que n’ayant nulle part où dormir, n’ayant nul espoir d’avoir de quoi à faire. Ils considéraient la liberté comme une autre prison et préféraient rester. Mais comme la loi pénale exige que tout prisonnier libéré doit rentrer, c’est manu militari qu’on venait les sortir de là. Voici la Côte d’Ivoire que nous avons pu appréhender derrière les barreaux.

Vous êtes sorti de là, malade. Vous avez même été interné dans un hôpital. Au moment où vous reprenez votre travail de remobilisation de la société civile, est-ce que vous êtes physiquement au point ?

Au plan physique je suis au top ! Sauf que je continue de prendre mes médicaments parce que je suis sous un traitement à long terme. Je suis tombé malade à l’hôpital, le diagnostic a révélé que mon cœur était en défaillance, donc insuffisant cardiaque. Il y a aussi que mes poumons contenaient de l’eau, le foie a pris du volume. Bref, il m’a été indiqué de prendre des médicaments sur un long terme jusqu’à ce que ce mal puisse disparaître. Donc bien que sous traitement, je puis affirmer que je suis physiquement au top.

Vous aviez projeté un sit-in devant la Cei qui est finalement reporté après des négociations avec les autorités. Vous êtes donc opposé à la Cei dans sa version sortie des discussions. Quelle Cei souhaitez-vous en tant qu’organisation de la société civile ?

Nous proposons deux cas. Mais ici, un seul cas nous intéresse. Nous apprenons que pour la désignation du principal dirigeant de la Cei, le président de la République va nommer quelqu’un. Or nous pensons que le premier responsable de cette commission doit être quelqu’un qui n’a jamais flirté avec un quelconque parti politique en Côte d’Ivoire. Dans son parcours, il doit être un citoyen honnête qui se met au service de la Côte d’Ivoire et non d’un clan. Pour avoir vu Honoré Guié en 2000, nous pensons qu’on peut trouver un homme d’un tel profil en Côte d’Ivoire. Un homme intègre. Nous voulons que les partis politiques soient présents comme simples observateurs, c’est-à-dire des membres sans voix délibérative. Nous voulons d’un organe financièrement indépendant et qu’on ne prenne plus de crédit à l’extérieur pour organiser nos élections. On peut faire des prélèvements d’impôts ou solliciter une contribution citoyenne pour organiser nos élections. Ainsi, on ne viendra plus nous imposer des sociétés qui vont confectionner nos pièces d’identité et autres documents électoraux. Il est vrai que nous contestons la Cei dans sa forme actuelle mais c’est tout un système que nous dénonçons. Nous ne voulons pas reproduire ici les exemples gabonais avec les tablettes programmées qui donnaient des résultats faux. Nous ne voulons pas de ça. Nous voulons être comme le Ghana, comme le Nigeria. Nous voulons être comme ces pays où le perdant appelle le vainqueur pour reconnaître sa défaite. Et nous disons aux ivoiriens que si nous ne faisons rien maintenant, nous compterons toujours des morts pendant nos élections. L’homme politique qui a pris goût de l’autorité, des honneurs et de la belle vie s’en défait difficilement. Si nous voulons que nos aspirations soient prises en compte, à nous de nous lever et de dire non de façon pacifique. N’ayons pas peur des menaces et intimidations car là où il y a faiblesse et intimidation, juste à côté il y a des faiblesses.

Mais le chef de l’Etat à propos des élections a dit dans un discours face aux sénateurs ivoiriens qu’aucun désordre ne serait toléré. Que répondez-vous au moment où vous lancez un appel à un sit-in ?

Le désordre dont il est question, c’est ne pas respecter les aspirations du peuple. Le désordre c’est ne pas mettre en place une Commission électorale telle que nous la voulons maintenant. Nous voulons que la Cei change. C’est pour aller à la paix. Or le président souhaite qu’il y ait la paix. Mais la paix n’est pas l’absence de manifestations ou l’absence de crépitement des armes. S’il y a absence de manifestations et qu’il y a en chacun de nous, la grogne, c’est la paix qui est menacée. Donc nous voulons tous de la paix, c’est pourquoi nous souhaitons qu’il y ait la vérité et la transparence.

SD à Abidjan

sdebailly@yahoo.fr

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