Hamsatou ANABO
En dépit d’une mesure interdisant la consommation de l’alcool frelaté communément appelé « Koutoukou » ou « gbêlê », par le préfet d’Abidjan, après le décès de six personnes entre le 30 juin et le 1er juillet à Abatta, village de la commune de Bingerville (banlieue), des bistrots de la capitale économique ivoirienne ne désemplissent pas.
Munis d’un calendrier de jeu de hasard de la loterie nationale, sous un hangar en paillote, assis sur des bancs et tables de fortunes, une dizaine hommes consomme tranquillement la boisson servie dans un verre tout en devisant.
« Affaire de ne plus boire du gbêlê, vraiment je ne me sens pas concerné, car ça me permet d’être en bonne santé », explique le jeune Charles Koffi, maçon à Anoumambo, dans la commune de Marcory (Abidjan-sud) sous les ovations de ses voisins, partageant la même table que lui.
Dans le « gbêlêdrome » (cabaret, lieu où est commercialisée la boisson frelatée), différents breuvages locaux et importées, notamment le « koutoukou », « petit colas », « 4H du matin » ainsi que des liqueurs en sachets sont exposées sur une petite table. Le prix fixé selon la boisson, varient entre 100 et 600 FCFA la tournée.
« On ne peut pas laisser notre gbêlê, parce que c’est moins cher et très efficace », soutient le voisin de Charles, les yeux rougis par l’effet de la boisson.
Le jeune homme, la trentaine qui affirme n’avoir « pas les moyens pour acheter les vins coûteux », attribue la mort des personnes décédées à Abatta au « destin. »
Consciente de la mesure d’interdiction, la propriétaire du bistrot, Augustine Dan, déclare poursuivre sa commercialisation afin de subvenir à ses besoins.
« C’est vrai qu’ils ont interdit la consommation du koutoukou dans la ville d’Abidjan, mais je ne peux pas rester sans activités, c’est grâce à cela que je gère ma famille », confie Mme Dan, en lavant les verres dans une petite cuvette.
« Les premiers jours, les consommateurs avaient un peu déserté les lieux », témoigne-t-elle avant de préciser qu’ »ils sont revenus, parce qu ‘habitués à la boisson locale ».
Dans la commune d’Abobo (Nord d’Abidjan), la décision du préfet semble être inconnue par certains consommateurs dans les bistrots.
« C’est la première fois que j’entends cela, et pourquoi interdire une boisson dans tout Abidjan si les six personnes sont mortes dans une seule commune ?S’interroge Abou Kouyaté, agent immobilier.
La boisson devrait être « interdite » de commercialisation uniquement dans la commune où a eu lieu le drame, selon Kouyaté, pour qui les autorités ivoiriennes « sont bien conscientes que cette mesure ne sera pas effective.
« On ne peut pas empêcher aux Abidjanais de ne pas consommer le koutoukou, ce n’est pas possible » insiste t-il, avant de demander à la propriétaire Solange de lui apporter un verre.
Dans le village d’Abatta, où six personnes sont décédées après la consommation de cette boisson, la psychose se fait sentir, presque tous les bistrots étaient fermés samedi le 20 juillet.
« Depuis cette tragédie, tous les gbêlêdromes ont fermé, ils ont respecté la mesure prise par le préfet interdisant la consommation de koutoukou, tout es fermé, nous attendons les résultats de l’enquête », confesse Brice Koutouan, habitant du village.
À quelques mètres, dame Kouamé assise devant son petit bistrot, le regard dans le vide affirme que son activité « tourne au ralenti » depuis les événements survenus.
« Ça fait plus de deux semaines que je ne vends plus, j’ouvre le gbêlêdrome, mais les clients se font rare, même s’ils ne peuvent plus consommer le koutoukou, il y a d’autres boissons mais ils ne viennent pas, tout le monde a peur », confie-t-elle d’une voix triste.
Pour contourner la décision, Brice, la vingtaine confesse qu’il se rend dans d’autres communes comme Yopougon (Ouest d’Abidjan) ou Abobo pour « consommer tranquillement (son) koutoukou, parce qu’ici tout le monde à peur, mais là-bas, on continue de boire ça malgré l’interdiction ».
En Côte d’Ivoire, cette boisson alcoolique traditionnelle avait été interdite en 1964, puis de nouveau autorisée en 1999, pour lutter contre la distillation clandestine, qui représente des dangers pour les consommateurs.
Alerte info/Connectionivoirienne.net
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