Par Lina Sankari
À l’horizon 2020, la Cedeao envisage de remplacer la devise coloniale par une monnaie unique dont le modèle est calqué sur l’euro. Faute de mécanisme de solidarité, « eco » privilégie l’austérité au développement et à l’investissement.
La gestion de la monnaie est une des garanties de la souveraineté. Samedi dernier, à Abuja (Nigeria), quinze pays d’Afrique de l’Ouest, dont huit utilisent le franc CFA, par lequel perdure la domination coloniale, ont décidé de se doter d’une monnaie unique du nom d’« eco », à l’horizon 2020. Une vieille antienne : la création d’une devise visant à s’affranchir de la tutelle de la Banque de France et de Bercy est discutée depuis trente ans.
« La principale critique formulée à l’encontre du franc CFA est d’ordre politique puisqu’il s’agit d’une monnaie créée en pleine période coloniale et qu’aujourd’hui il est temps de couper le cordon. Dans un élan souverainiste, les mots d’ordre autour de cette question rencontrent un écho favorable au sein des populations et d’une partie de la classe politique française », estime Félix Atchadé, du collectif Afrique du PCF.
De plus, les pays qui utilisent toujours le franc CFA disposent d’indicateurs socio-économiques moins bons que ceux du reste de l’Afrique. Selon le responsable communiste, il s’agit également d’une « monnaie surévaluée et qui ne correspond pas au positionnement que devraient avoir ces pays sur le marché international ». Arrimés à l’euro, ces pays à l’économie faible, qui utilisent le franc CFA, subissent en quelque sorte une taxe sur leurs exportations et une subvention sur les importations.
Des critères de convergence qui ressemblent fort à ceux de l’euro
Seulement, dans son communiqué final, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) « réaffirme l’approche graduée (pour l’adoption) de la monnaie unique en commençant par les pays qui atteignent les critères de convergence ». Or, ces critères ressemblent fort à ceux de l’euro (maîtrise de l’inflation, du déficit budgétaire…) et risquent à terme de reproduire les défauts de l’architecture européenne.
«Les peuples concernés n’ont pas nécessairement besoin d’une monnaie unique car une telle devise nécessite de beaucoup commercer entre soi. Or, ce sont des pays à l’économie très spécialisée qui mettent sur le marché des biens primaires à faible plus-value», relève encore Félix Atchadé.
En 2017, le commerce entre les membres de la Cedeao s’élevait seulement à 9,4 %. « L’argument selon lequel l’intégration monétaire va changer la donne est sujet à caution.
Il suffit de se référer par exemple à l’expérience des pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale : le commerce intrarégional y est de l’ordre de 5 %, en dépit de plus de soixante-dix ans d’intégration monétaire », signale, de son côté, l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla.
Sans doute contraints de se conformer à la politique monétaire et de change du puissant Nigeria, les pays membres pourraient être obligés, comme c’est le cas au sein de la zone euro, de procéder à un ajustement nominal, c’est-à-dire de subir l’austérité et la baisse des salaires faute de mécanisme de solidarité. En clair, la même orthodoxie budgétaire s’appliquerait avec un strict contrôle des finances publiques en lieu et place d’investissements dans les secteurs clés de l’éducation ou de la santé. « Ce schéma néolibéral et ses critères de convergence produiront les mêmes inégalités qu’en Europe », déplore Félix Atchadé.
Pourtant, d’aucuns doutent aujourd’hui de la mise en place de la monnaie unique d’ici un an.
En premier lieu parce que deux piliers de la Françafrique, Alassane Ouattara et Macky Sall, respectivement président de la Côte d’Ivoire et du Sénégal, ont exprimé à plusieurs reprises leur hostilité au projet.
Reçu par Emmanuel Macron en février dernier, l’ancien conseiller spécial du directeur général du Fonds monétaire international a appelé à ce que « cesse le faux débat » sur le franc CFA, « une monnaie solide, bien gérée et appréciée ». Osant même : « Le franc CFA est la monnaie de pays qui l’ont librement choisie, depuis l’indépendance dans les années 1960. »
C’est ce que l’économiste Kako Nubukpo appelle « la servitude volontaire ». Ceux qui ont voulu s’en affranchir l’ont parfois payé de leur vie, comme c’est le cas de Sylvanus Olympio, l’ex-président du Togo.
L’histoire regorge d’exemples de sabotages économiques ou de conflits déclenchés pour empêcher les pays de sortir de ce coûteux pacte colonial.
Commentaires Facebook