C’est un récit fort intéressant, innovant même, pour un élu ivoirien, que le patron de l’Éléphant déchaîné, nous donne à lire, quelques mois après avoir mis ses habits de maire de la petite bourgade de Tiassalé, située au nord d’Abidjan. « On peut voler leur argent [les Africains], leur jeter quelques billets et, dormir tranquille. Ils se contenteront de cela et ne demanderont jamais des comptes. », indique-t-il dans cette missive adressée aux populations ivoiriennes/africaines.
« Les peuples méritent vraiment leurs dirigeants. C’est en août 2010, au cours d’un échange entre des jeunes leaders africains dont moi, avec le président Barack Obama, à la Maison Blanche, que, pour la première fois, j’ai entendu l’expression “responsabilisation des dirigeants”.
L’expression, on nous l’a expliqué plus tard, signifie que dans une démocratie, les citoyens doivent contrôler les actes de gouvernance de leurs dirigeants, vérifier qu’ils ne détournent pas les ressources publiques à leurs propres et seules fins.
Ces échanges avec le président Obama sont un peu à la base de l’orientation éditoriale de mon journal “L’Éléphant Déchainé”.
Combien de scandales, depuis octobre 2011, les journalistes de ce journal, au risque de leur vie, n’ont n’ont-ils pas révélé ?
Et qu’elles ont été les conséquences judiciaires de ces révélations adossées sur des preuves indiscutables ? Pas grand-chose pour ne pas dire rien.
Qu’elle a été, à chaque fois, la réaction de la société civile ivoirienne devant ces scandales économiques ? Nulle part nous n’avons vu une prise de parole publique pour demander des comptes.
En mars-avril 2018, nous avons révélé le terrible scandale des véhicules non dédouanés. Ailleurs, dans des pays où les dirigeants sont responsabilisés, l’opinion publique aurait exercé une telle pression que de nombreuses démissions auraient eu lieu au sommet de l’État.
Mais non, c’est plutôt quelques seconds couteaux qui ont été inquiétés et, d’ailleurs, une certaine opinion s’est retournée contre l’éléphant déchaîné, accusé de s’en prendre à des hommes religieux et politiques pour le compte de certains intérêts. Et l’affaire, après quelque émotion sur les réseaux sociaux, s’est éteinte.
Les peuples méritent vraiment leurs dirigeants.
Depuis le 7 janvier 2019, j’ai pris fonction en qualité de maire de la commune de Tiassalé. Premier constat: les maires qui sont des élus de proximité, sont livrés par des lois caduques, pieds et mains liés, aux populations qui les sollicitent financièrement au quotidien pour diverses raisons. Alors que le maire dont la fonction est encore au 21e siècle, considérée comme une fonction bénévole, n’a qu’une indemnité d’à peine 300 mille francs par mois et que les adjoints doivent se contenter de moins de 50 mille francs par mois.
Les sollicitations des populations (funérailles, maladies, scolarité…), les sollicitations des confessions religieuses, des associations de femmes, de jeunes, peuvent atteindre mensuellement un à deux millions de Fcfa, voire plus. Le maire ne peut s’y dérober et doit faire face. Où doit il prendre cet argent alors qu’il n’a pas de “budget de souveraineté” ? Soit il utilise ses propres ressources tirées de son travail en dehors de la mairie, soit il s’arrange avec des fournisseurs moyennant des intérêts usuraires, d’où l’endettement de nombreuses communes sans qu’on ne puisse vérifier l’impact de cet endettement sur le développement de la commune.
En réalité, le système est fait pour que les maires, livrés à eux-mêmes et n’ayant aucun contrôle sur les ressources de leur commune, s’installent dans des pratiques de corruption et de surfacturations, afin de sauver la face devant leurs populations. Lesquelles ne se préoccupent guère de la façon dont leurs ressources sont dépensées, pour peu que le maire entretienne le folklore communal. Et cette attitude qui s’observe aussi au niveau national, est une aubaine pour tout dirigeant qui arrive pour se servir et non servir.
Les peuples méritent leurs dirigeants.
Le 30 mars dernier, j’ai célébré un mariage en portant un ensemble composé d’un blazer, d’un Polo et d’un Jeans. Cela a créé un tollé national, les photos avec les commentaires indignés ont fait le tour du pays. Pendant deux semaines, j’ai été l’objet d’un véritable massacre. Tous m’ont reproché de n’avoir pas porté un complet pantalon costume, cravate. Les plus courageux ont même réclamé ma démission.
Ailleurs, les peuples qui ont dépassé le stade de l’émotion, en sont aujourd’hui à demander des audits sur les costumes de leurs dirigeants. Ici, on veut obliger un dirigeant à s’habiller en costume pour toutes ses sorties officielles, sans se demander d’où il tirera l’argent pour acheter ces costumes.
Le 8 juin, après 21 ans de vie à Cocody, je me suis marié à la mairie de cette commune, au milieu de mes parents, de mes amis, de mes relations diverses. Ce fût un beau mariage. Mais alors même que nous étions encore dans la salle de mariage, une violente polémique est née sur les réseaux sociaux. “Pourquoi il se marie à Cocody, au lieu de le faire dans sa commune” ? ” Comment on peut être maire d’une commune et se marier dans une autre commune” ? Des gens lucides qui ont tenté de demander la loi qui interdit cela, ont été agonis.
Des centaines de publications ont été faites avec ma photo et celle de mon épouse. Nous avons été traités de tous les noms. Tout ça, simplement parce que je me suis marié dans la cité où j’ai passé la moitié de ma vie, de même que mon épouse qui y vit depuis 11 ans.
Pendant des jours, de nouveau, de nombreux Ivoiriens se sont déchaînés, sans s’émouvoir d’autre chose que du lieu du mariage. Personne ne s’est interrogé sur l’origine de l’argent qui a servi à organisé un tel mariage. Que cet argent provienne des caisses de la mairie où ait une origine douteuse, qu’il provienne de fournisseurs ou d’opérateurs économiques à qui des marchés seront accordés de gré à gré, personne ne s’est préoccupé de cela. Beaucoup, submergés par l’émotion, se sont contentés, du folklore et n’ont posé aucune bonne question.
Les peuples méritent vraiment leurs dirigeants.
Ce samedi 15 juin, j’ai célébré, tiré, exprès, à quatre épingles (un beau costume bleu, une belle chemise en dessous, une belle cravate, une belle paire de souliers),le mariage d’un autre ami. Tout le monde s’est extasié sur mon habillement. “Oh, mais qu’est-ce qu’il est beau, le maire de Tiassalé”. “Non, il est trop sapé, le maire de Tiassale, je suis fier”, “les gars, venez féliciter le maire de Tiassale, ils nous a écoutés”, etc.
Personne ne s’est interrogé sur l’origine de l’argent qui a servi à payer tout ça.
Les peuples méritent vraiment leurs dirigeants.
Gouverner les Africains semble être la chose la plus facile au monde. On peut voler leur argent, leur jeter quelques billets et, dormir tranquille. Ils se contenteront de cela et ne demanderont jamais des comptes.
Je suis très inquiet…pour mon pays.
Source : page facebook de Tiémoko Antoine ASSALE
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