Déclaration
Pour la paix sociale, arrêtons les amalgames
Les faits
Le mercredi 05 juin 2019, recevant une délégation de son parti politique, en sa résidence de Daoukro, le Président Henri Konan Bédié, Président du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), a tenu les propos suivants : « Très prochainement, je parlerai de faits troublants. D’abord, les conflits inter-communautaires, ensuite ce que recouvre le phénomène de l’orpaillage en Côte d’Ivoire. On fait venir des étrangers armés qui sont stationnés maintenant dans beaucoup de villages. S’ils sont armés, c’est pour servir à quoi ? Il faut simplement que nous soyons conscients, car le moment venus, nous agirons pour empêcher ce hold-up sur la Côte d’Ivoire sous le couvert de l’orpaillage. Nous dénoncerons aussi d’autres qu’on fait venir clandestinement. Cela se passe surtout dans la commune d’Abobo. Les gens rentrent, on leur fait faire des papiers et ils ressortent. Certains repartent et d’autres restent. Tout cela pour quel but ? Si c’est pour venir fausser les élections de 2020, nous voulons le savoir. Mais, nous traiterons de tout cela un jour, car les précédents doivent nous servir. Nous avons fait venir des étrangers dans nos plantations de cacao et de café, et ensuite les gens se sont installés à leur propre compte. Aujourd’hui, ils agressent les planteurs ivoiriens et se disputent même la propriété des terres. Cela devrait nous servir. Il faut que nous réagissions pour que les Ivoiriens ne soient pas étrangers chez eux. Car, actuellement, on fait en sorte que l’Ivoirien soit étranger chez lui. Mais, les Ivoiriens n’accepteront jamais cela »
Le samedi 08 juin 2019, le gouvernement, réagissant, a fait lire à la télévision nationale une déclaration condamnant des propos « d’une extrême gravité, appelant à la haine de l’étranger, (qui) sont de nature à mettre en péril, au-delà de la paix et de la cohésion sociale, l’unité nationale et la stabilité du pays ».
Depuis, comme il fallait s’y attendre, le sujet est au cœur de tous les débats. Depuis, au regard des nombreuses réactions que nous avions estimées déjà suffisantes et vu le caractère très sensible du sujet, nous nous sommes abstenus de toute déclaration supplémentaire, nous contentant de brefs posts sur notre page. Mais les formes à la limite de l’obscurantisme et de la terreur que prennent les développements depuis hier nous imposent le devoir de réagir.
Notre analyse
Des propos du Président Bédié / cadre et contexte
• Du Cadre
Les propos mis en cause sont tenus dans le cadre d’une réunion entre militants d’un parti politique. Dans ce cadre, le leader donne des informations qu’il tient pour des ‘’faits troublants’’ à ses militants et leur indique par la même occasion la nécessité de ‘’réagir’’ pour faire cesser cet état de fait.
• du contexte
Les propos sont tenus à 16 petits mois de la date constitutionnelle de l’élection présidentielle de 2020 que les tenants actuels du pouvoir déclarent déjà ‘’gérée, bouclée et scellée’’ et dans un contexte d’affrontements meurtriers récurrents entre populations et notamment consécutifs à l’orpaillage clandestin.
De la déclaration du gouvernement / thèmes et moyens
• des thèmes
La déclaration condamne des propos « d’une extrême gravité, appelant à la haine de l’étranger, (qui) sont de nature à mettre en péril, au-delà de la paix et de la cohésion sociale, l’unité nationale et la stabilité du pays »
• Des moyens
La déclaration a été lue sur les media d’Etat (télévision et radio nationales) abondamment relayée aux heures de grande écoute.
Notre position
Au regard de la sensibilité du sujet, j’endosserai ma position aux réponses de quelques interrogations :
• Sur les propos du Président Bédié
Au-delà du chiffon rouge de la xénophobie, la problématique des orpailleurs armés et du bradage des CNI soulevée par Bédié est-elle une réalité, oui ou non ?
Bédié avait-il le droit, entant que Président de parti politique de donner à ces militants des informations qu’il dit tenir pour des faits avérés ? Oui.
Dès lors que ces faits graves mettent en cause des non nationaux et au regard du contexte sensible, le Président Bédié devait il s’abstenir de dénoncer ? Non c’est le rôle du leader politique de tirer avec courage, la sonnette d’alarme.
A-t-il le droit entant que Président de parti politique et dans le cadre de ses activités d’envisager des actions pour faire cesser une situation jugée menaçante pour la paix sociale ? Oui c’est la responsabilité même d’un leader politique.
• Sur la déclaration du gouvernement
J’ai lu et relu l’élément vidéo du message de HKB à ses hôtes, j’en suis encore à chercher la partie qui appelle à la ‘’haine de l’étranger’’ Pourquoi l’évocation du mot étranger devrait-elle ramener en Côte d’Ivoire à la haine de l’étranger et à la xénophobie ? Pourquoi dénoncer des pratiques illégales et dangereuses pour les populations, dès lors qu’elles impliquent des non nationaux, doit vouer aux gémonies, à la damnation et aux pires formes de l’obscurantisme et de la terreur son auteur ? Et pourquoi la dénonciation d’un forfait commis par un étranger devrait-elle être de nature à mettre en péril la stabilité du pays ? La Côte d’Ivoire est-elle à ce point sous l’épée de Damoclès ? Les gouvernants ont le devoir d’éclairer le peuple, il comprendra alors mieux certaine position du gouvernement. Quid de ‘’l’unité nationale’’ qui pourrait être, elle aussi en péril ? Je croyais jusque-là que l’unité nationale était une affaire de citoyens d’une même nation. La déclaration m’apprend que non, là aussi, tout dépend de l’étranger, à moins que le gouvernement fasse là un subtil mais très dangereux amalgame du thème étranger. Il est évident en effet que quand le Président Bédié parle d’étranger, il parle bien entendu de non nationaux et non de citoyens ivoiriens qui ne sauraient être étrangers nulle part sur le territoire ivoirien. Les propos de Bédié ne visant pas les nationaux, l’unité nationale ne saurait en souffrir. Ce curieux amalgame ajouté aux moyens massifs de communication déployés pour la diffusion de la déclaration gouvernementale interroge sur le but recherché. Qu’elle était le projet en réalité ? Admettons comme l’affirme la déclaration que, par ses propos, Bédié ait voulu mettre le feu en appelant à la haine de l’étranger, en fin de compte, qui de Bédié et du gouvernement qui a utilisé les puissants moyens de communication et de propagande de l’Etat pour relayé l’appel et ainsi activer le feu aura été le pyromane ? Il est urgent de mettre un terme aux amalgames et autres manipulations politiciennes. Le pays en a déjà trop souffert comme ça. Ça suffit !
Nos recommandations
Quelles que soient les analyses et positions différentes que nous pouvons avoir sur le bien-fondé, l’opportunité ou la sagesse des propos du Président Henri Konan Bédié, les nombreuses réactions et le débat quasi national qu’ils suscitent depuis, dénotent du vif intérêt des ivoiriens et de leur attachement indécrottable à la souveraineté nationale. Moralité : avec une balle, l’on peut se débarrasser d’une personne mais avec tous les canons et toutes les armes nucléaires du monde l’on ne peut se débarrasser de l’aspiration profonde d’un peuple. La question de la nationalité qui resurgit est la preuve que l’option des armes pour imposer le statut de ‘’no man’s land’’ à la Côte d’Ivoire a échoué. La Côte d’Ivoire, ce pays si ouvert, si hospitalier et si accueillant qui doit et va continuer de le demeurer a bel et bien des propriétaires. Ce sont les ivoiriens, ce sont les : Abé, Abidji, Abouré, Abron, Adioukrou, Agni, Alladian, Anufo, Attié, Avikam, Malinké, Baoulé, Bété, Cebaara, Dan, Degha, Dida, Dioula, Djimini, Gban, Godié, Gouro, Guéré, Koulango, Lobi, Monan, Nafaanra, Néyo, Niarafolo, , Nyabwa, Nzema, Sénoufo, Soninké, Syenara, Tchaman, Tagouana, Djimini, Wan, wobé, etc etc ils sont plus d’une soixantaine d’ethnies. Ils chérissent la nationalité de cette patrie que Dieu leur a donnée en partage et où ils sont tous condamnés à vivre ensemble. Ils souhaitent même partager cette chère nationalité avec tous les frères et sœurs d’autres nations qui le souhaitent comme ils offrent à tous leur hospitalité mais à la condition simple d’en observer la procédure légale. C’est pourquoi aucun amalgame et aucune manipulation politicienne sur le sujet de la nationalité ne saura plus jamais les prendre à défaut pour les opposer. L’heure est désormais à l’union des filles et des fils de la nation pour faire avancer le pays. Cela passe par la clarification et le règlement définitifs de tous les sujets qui nous divisent et qui ont pour nom : la nationalité, le foncier, l’allocation équitable des ressources nationales, la laïcité de l’Etat etc., etc. Un débat national s’impose sur ces questions qui ne doivent pas être des sujets tabous. La concertation nationale inclusive que j’appelle de tous mes vœux depuis un an maintenant en sera le parfait cadre.
Dieu bénit la Côte d’Ivoire !
Fait à Abidjan, le 12 juin 2019
Konan Kouadio Siméon (KKS
Président d’Initiatives Pour la Paix
Porte-parole des sans voix et des sans écritures
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