Marlène Panara
La fragilité du secteur financier et le manque de concurrence sur le marché des envois de fonds pèsent sur le coût des transferts d’argent vers l’Afrique, et même entre pays voisins. Revue de détail.
Les transferts d’argent vers l’Afrique sont parfois superieurs au montant de l’aide au developpement.
Le montant des transferts d’argent dans le monde n’a jamais été aussi élevé. En 2019, les sommes envoyées par les habitants d’un pays riche vers leur pays d’origine, plus pauvre, devraient même atteindre 550 milliards de dollars, d’après le dernier rapport de la Banque mondiale publié par le Knomad, un consortium d’experts de la migration. Ce chiffre pourrait faire du transfert d’argent la principale source de financement extérieur des pays en développement, un an après le record de 2018, à 529 milliards de dollars. Les principaux destinataires de ces fonds ? L’Inde, avec 79 milliards de dollars reçus cette année-là, la Chine à 67 milliards, et le Mexique avec 36 milliards de dollars perçus. Même si les chiffres sont moindres, le constat se vérifie aussi largement en Afrique.
Cette année, la Banque mondiale estime à 48 milliards de dollars les envois de fonds à destination du continent, soit deux milliards de plus que l’année précédente, et trois de moins qu’en 2020. Le secteur est également en pleine croissance dans la région Afrique du Nord-Moyen-Orient, emmené par l’Égypte. En 2018, les transferts d’argent vers la région ont grimpé de 9 %, à 62 milliards de dollars. Le chiffre devrait augmenter de 3 % en 2019 d’après les auteurs du rapport.
L’explication de cette augmentation : « La vigueur de l’économie, la situation de l’emploi aux États-Unis, et la reprise des flux sortants en provenance des pays du Golfe et de Russie », explique Dilip Ratha, principal auteur du rapport et économiste spécialiste de la migration au sein de l’institution. « Pour la période 2015-2017, dans la plupart des pays de l’OCDE à revenu élevé, le taux d’emploi des travailleurs nés à l’étranger a davantage augmenté que celui des travailleurs nés dans le pays », ajoute-t-il.
Des inégalités de frais
Si l’augmentation des transferts d’argent est une réalité commune à de nombreux pays du monde, les frais relatifs aux envois sont, eux, bien différents selon les régions. Ainsi, pour un envoi de 200 dollars, ceux-ci sont de 7 % en moyenne dans le monde, et à 5 %, par exemple, à destination de l’Asie du Sud. En Afrique subsaharienne, ils s’élèvent à 9,3 %. Et pour des transferts entre pays d’Afrique australe, les tarifs explosent. Pour 200 dollars envoyés de l’Angola vers la Namibie, les frais grimpent à 22,4 %. De la Tanzanie à l’Ouganda, ils atteignent 16 %, alors que pour un envoi de la Côte d’Ivoire au Mali, il n’en coûtera au client que 5 % de la somme. Un coût tout de même supérieur à l’objectif de 3 % fixé par l’ONU.
« Les marges de change élevées » décidées par les opérateurs du secteur font partie des raisons qui expliquent une telle hétérogénéité, affirme Dilip Ratha. Une situation dénoncée par les enquêteurs de l’UFC-Que choisir en décembre dernier. Dans un rapport intitulé « Transferts d’argent internationaux : une zone de non-droit aux tarifs d’une cherté immorale », l’organisation affirme que le montant des frais de change cachés des sociétés de transfert d’argent atteint en 2017 plus de 110 millions d’euros. Sur un transfert de 170 euros de la France vers le Maroc, par exemple, les frais de change représentent 28 % du total des frais.
Autre facteur en cause : « la fermeture pure et simple de nombreux comptes bancaires d’opérateurs de transferts d’argent (MTO), décidée dans le cadre des politiques de lutte contre le blanchiment d’argent et le terrorisme ». Enfin, « situation totalement incohérente » pour Dilip Ratha, la majoration des coûts de transfert est aussi due aux partenariats entre les bureaux de poste nationaux et les MTO dominants, qui se répercutent sur les tarifs.
Ces frais « réduisent le profit que l’on peut tirer des migrations, déplore l’économiste. Avec des taux à plus de 10 %, les migrants hésitent davantage à envoyer de l’argent. Résultat : les ressources dont disposent leurs familles pour faire face aux dépenses de santé, d’éducation et de nourriture diminuent. À plus grande échelle, c’est le développement de toute une ville, d’une région, qui en pâtit. » Un manque à gagner important pour les pays récipiendaires des fonds, où « les montants des transferts de fonds dépassent souvent ceux de l’aide au développement », affirme Dilip Ratha dans une tribune publiée dans Les Échos.
La technologie pour réduire les taxes ?
Pour parer à ces inégalités, plusieurs pistes de solution sont détaillées par la Banque mondiale. La première : une « réglementation harmonisée » et « l’ouverture des bureaux de poste nationaux, des banques nationales et des entreprises de télécommunications à des partenariats avec des MTO plus confidentiels », une initiative qui augmenterait la concurrence et ferait donc baisser les coûts. Dilip Ratha compte également sur « l’adoption de technologies innovantes, qui pourraient réduire les coûts des envois de fonds en réduisant le nombre d’intermédiaires, en permettant des transactions normalisées et vérifiables et en allégeant les processus de réglementation relatifs à la lutte contre le blanchiment d’argent et le terrorisme ». Ces normes devraient justement être « sérieusement révisées » pour le spécialiste, qui propose que « les envois de fonds à faible montant ne soient pas taxés par les règles qui régissent le blanchiment d’argent ».
Et les délais ?
Multipliez les intermédiaires obligatoires techniquement ou imposés entre les envoyeurs et les bénéficiaires en leur faisant supporter des responsabilités et les coûts explosent. Des bénéficiaires non bancarisés, des réseaux bancaires quasi inexistants pour aller au plus prés des bénéficiaires, des banques internationales locales à risques privées de comptes en devises a l’étranger, des monnaies inconvertibles avec intervention de la banque centrale, des règlementations des changes, des intermédiaires conservant leurs ressources en devises étrangères et en plus les contraintes de connaissance des clients et de la nature des opérations des banques des pays développés qui doivent souvent passer par des devises tierces et un réseau bancaire international et vous avez un coût par opération élevé qui s’avère confiscatoire pour les petits montants……. Sans parler des délais !
Lepoint.fr
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