Affrontements inter ethniques à Béoumi
Lettre ouverte à Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Président,
En réponse aux inquiétudes et craintes des ivoiriens quant à l’issue paisible de la présidentielle de 2020, vous avez toujours bien voulu rassurer en essayant de partager votre foi en une échéance sereine. Le 07 janvier 2019 devant les ambassadeurs, comme récemment devant la représentation nationale du peuple, vous avez affirmé, l’air visiblement agacé, «Je peux vous dire que 2020 se passera bien, même très bien (..) Je vous en donne l’assurance. Il n’y aura rien. Nul ne sera en mesure de troubler cette paix tant que je serai à la tête de la Côte d’Ivoire ». Bien sûr, en votre qualité de Président de la république et, à ce titre, capitaine du bateau Ivoire, personne ne vous imagine dans le rôle de l’oiseau de mauvais augure, alarmiste, pessimiste et tremblotant d’épouvante à la perspective de l’ouragan à l’horizon. Et croyez que l’homme spirituel qui vous écrit comprend bien le sens de cette attitude positive, même si en la matière, comme on le voit si bien, la foi sans les œuvres ne peut suffire.
Toutefois, Monsieur le Président, avec ce qui se déroule en ce moment à Béoumi, après les violences électorales récentes, après Bouna, Guiglo, Teapleu, Zouan hounien, Divo, Lakota, Yakassé, Adzopé, Agboville, etc. (je vous épargne le compte macabre à chaque fois), pouvez-vous comprendre maintenant le bien-fondé de la psychose des ivoiriens ?
Certainement que vous me répondrez, comme cet honorable député de votre parti, mon contradicteur d’un jour sur le plateau de radio ci qui me rétorqua, en réaction à ma préoccupation sur la récurrence des affrontements interethniques que cela était inhérent à la vie en société et que c’était normal.
Mais Mr le Président, comment expliquer cette réactivité à fleur de peau des populations jadis si pacifiques et cette récurrence des affrontements inter ethniques sous votre régime ?
Comment expliquer que dans un pays célébré et élevé par l’ONU au rang de model pour la réussite de son processus de désarmement, pays à l’indice de sécurité égal à celui de la grande Suisse, des populations puissent disposer si massivement d’armes automatiques de guerre pour commettre si sereinement des massacres ?
Comment ne pas redouter les élections dans un pays où des civiles peuvent s’armer à volonté et conséquemment pour faire reculer et même infliger des blessures et pertes aux forces régulières, de surcroit, dans un contexte où semble-t-il, toutes les forces de sécurité et l’armée se trouvent en alerte maximum sur l’ensemble du territoire national ?
Comment ne pas avoir peur devant la typologie et les constances de ces affrontements qui opposent presque toujours les autochtones de chaque région aux seuls allogènes malinkés ? N’y a t-il pas là matière à réflexion sérieuse ?
Comment nous contenter de vos seules assurances et professions de foi, quand chaque jour que Dieu fait l’objet de nos craintes se fait de plus en plus manifeste avec à la clef de nombreuses pertes en vies humaines ?
Monsieur le Président, de votre position, au contact de réalités que le commun des mortels peut parfaitement ignorer, vous pouvez avoir la juste appréciation qui peut nous paraître totalement incompréhensible voire choquante. C’est peut être à l’aune de cette dimension, que vous avez pu vous féliciter et vous réjouir de la tenue des élections locales que vous avez jugées ‘’satisfaisantes ‘’, alors même qu’elles ont suscité des violences inouïes et fait de nombreux morts et blessés à travers le pays. Vous voudriez bien pardonner notre ignorance mais souffrez que nous demeurions à croire que la vie humaine reste sacrée et que rien par conséquent ne saurait justifier sa perte. Une élection qui présente la certitude même d’une seule perte en vie humaine ne mérite pas d’être organisée.
Monsieur le Président, ce qui se déroule à Béoumi comme ce qui s’est passé précédemment nous dit au moins deux choses fondamentales :
1. les ivoiriens vivent ensemble, les hommes vont au travail ensemble, les femmes vont au marché ensemble, les enfants vont à l’école ensemble mais les cœurs restent remplis de haine, de peur, de frustration, de méchanceté et de toute sorte de ressentiments ; les ivoiriens ne sont pas réconciliés.
2. Le désarmement a été un échec patent. La Côte d’ivoire se révèle être une gigantesque cache d’armes à ciel ouvert où Les armes de guerre circulent librement et à profusion.
Monsieur le Président, je le dis depuis le 21 février 2001, aussi longtemps qu’il n’y aura pas de réconciliation véritable entre les ivoiriens, il n’y aura pas de paix sociale véritable en Côte d’Ivoire.
Hier j’ai pris la lourde responsabilité d’attirer l’attention de la nation sur la certitude que si nous allions aux élections (2010) sans réconciliation, nous ne ferions pas l’économie d’une guerre et ce, quel que soit le gagnant entre Bédié, Ouattara et Gbagbo.
Aujourd’hui encore, les évènements de Bassam, Divo, Lakota, Zouan hounien, Agboville, Azopé, Bouna, Guiglo et de Béoumi font écho de cet appel qui demeure plus que d’actualité et nous mettent en garde contre tout forcing dans le contexte actuel.
C’est pourquoi, fidèle et constant dans ma posture d’acteur neutre et dans ma mission de sentinelle spirituelle et de réconciliation nationale, je viens encore insister auprès de vous sur l’impératif et le préalable de la réconciliation nationale. Elle passe désormais par Le dialogue et la concertation nationale inclusive entre toutes les forces vives de la nation à l’effet de dégager le nécessaire consensus pour son avènement et la poursuite harmonieuse de la marche de notre chère Côte d’Ivoire.
Au moment où je m’apprête à conclure cette lettre, j’apprends que d’1 mort annoncé par le ministre de la communication, porte-parole du gouvernement au journal de la télévision nationale à 13h ce jour, nous sommes passés ce soir à 9. Je signale, Monsieur le Président, qu’au moment où vous rentriez en Conseil des Ministres ce mercredi 15 mai 2019 à 10h, Béoumi était déjà à feu et à sang. Curieusement, le communiqué du porte-parole, lui-même fils et maire de la ville n’en dit pas mot, pas plus que la télévision nationale qui attendra le lendemain pour annoncer que le calme était revenu. Visiblement c’était loin d’être le cas. Que s’est-il donc passé ? Où étaient donc les forces d’intervention pour que l’on enregistre tant de morts la journée du 16 ? Les populations étaient-elles abandonnées à leur triste sort ? Les réponses à ces interrogations pourraient nous aider à comprendre cette autre tragédie. C’est en m’associant à vous pour saluer la mémoire des victimes et souhaiter bon rétablissement aux nombreux blessés et sinistrés, (j’espère qu’Is auront droit à une adresse de votre part) que je veux terminer dans l’espoir que toutes les dispositions seront prises pour le retour effectif du calme à Béoumi, tout comme vous veillerez à ce que le gouvernement ne manque pas de tirer les conséquences et toutes les conséquences de la gestion désastreuse de cette crise.
Dieu bénit la Côte d’Ivoire !
Très haute considération
Fait à Abidjan, le 17 mai 2019
KONAN Kouadio Siméon
Président d’Initiatives Pour la Paix,
la voix des sans voix et sans écriture
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