L’Editorial du Professeur Franklin Nyamsi Wa Kamerun
Le Peuple de Côte d’Ivoire regarde à l’horizon et scrute les signes d’une nouvelle espérance. Un temps tenté de croire au très flatteur discours de l’émergence, il est désormais tombé des nues des fameuses adosolutions. Ce n’était que du bluff. En effet, le RHDP d’Alassane Dramane Ouattara au pouvoir en Côte d’Ivoire vient, au bout de huit années de gouvernance, d’échouer lamentablement sur le plan socioéconomique et démocratique. Echec socioéconomique d’abord : une croissance économique en baisse continue depuis 2016, un taux de pauvreté qui plafonne vers les 50% de la population ivoirienne, une Côte d’Ivoire classée 170ème pays sur 208 à l’Indice du développement humain (IDH) élaboré par le PNUD, un PIB annuel dont les profits bénéficient davantage aux investisseurs internationaux qu’aux investisseurs nationaux, une espérance de vie coincée à 53 ans alors que celle d’un pays voisin comme le Sénégal est à 67 ans, un taux de chômage situé entre 70-90% selon la BAD (Banque Africaine de Développement) basée en Côte d’Ivoire, voilà autant de voyants économiques qui mettent la société ivoirienne réelle dans le rouge, tandis que les discours lénifiants des officiels du régime Ouattara se gargarisent de succès macroéconomiques invisibles dans le panier de la ménagère. Ebranlée par tant de promesses non-tenues, la société ivoirienne actuelle voit ses paysans au bord de la disette, notamment avec les méventes en cascade des produits de l’agriculture de rente. L’école, l’université, les laboratoires de recherche sont en grave difficulté sur tout le territoire, avec des crises de logement, des conflits fonciers, des campagnes abandonnées, qui défraient sans cesse l’actualité par les images de l’échec d’Alassane Ouattara qu’elles renvoient. Comme l’a dit Guillaume Soro, d’une phrase cinglante: « Je n’ai pas vu l’émergence ».
La mise du régime RHDP aurait pourtant pu être sauvée si la république, pour sa part, était saine et sauve malgré cet échec macroéconomique, microéconomique et social. Hélas, l’Etat de droit, dont les frêles fondements avaient été jetés après la chute du régime de la Refondation, s’est littéralement effondré sous les coups de boutoir du Président Alassane Ouattara et des principaux thuriféraires de son régime : libertés fondamentales bafouées ; violences pré et postélectorales, élections truquées, justice aux ordres, violations répétées de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs de l’Etat, atteintes graves au pluralisme politique, mépris officiel de la loi, démagogie diplomatique, ambiance de complotite permanente, surarmement de milices parallèles à l’armée nationale, blocage du processus du pardon et de la réconciliation inter-ivoiriens, menaces de trucages des élections de 2020, voilà autant d’actes de brutalité politique qui révèlent un projet de capture de l’Etat par le clan du Président Alassane Ouattara.
Dans ces conditions, sur qui compter ? Sur quoi compter ? Le Peuple de Côte d’Ivoire tourne la tête dans tous les sens et regarde l’offre politique qu’on lui fait miroiter de parts et d’autres. Comme un homme averti en vaut deux, les Ivoiriens demandent désormais à voir pour croire et refusent plus que jamais de croire sans voir. Face au Peuple de Côte d’Ivoire, l’échec du RHDP unifié ouvre le champ à trois offres : la Refondation de Laurent Gbagbo ; le PDCI-RDA du Président Henri Konan Bédié ; le Comité Politique du Leader Générationnel Guillaume Kigbafori Soro.
Examinons donc ces trois offres.
Les Refondateurs, une offre vague et aléatoire
Acquittés, mais pas définitivement libérés de leur procès à la CPI, le Président Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé semblent redonner du souffle, par-delà un Pascal Affi Nguessan en ballotage, à l’espérance d’un retour du FPI au pouvoir en 2020. Mais quel est le contenu réel de ce projet de retour qu’on peut lire en filigrane, autant dans la décision de Gbagbo de reprendre la tête du FPI que dans le Discours médiatisé de Charles Blé Goudé qui ressemblait à s’y méprendre à une entrée symbolique en pré-campagne présidentielle depuis sa résidence provisoire de La Haye ? On peine à croire que Laurent Gbagbo espère convaincre, après 10 années de pouvoir et 7 années de prison, les Ivoiriens d’être l’homme de l’avenir du pays en 2020. Une véritable gageure. D’une manière ou d’une autre, le Président Gbagbo demeure l’un des responsables irréversibles de l’effondrement de la démocratie ivoirienne notamment à partir de sa coalition avec la junte du Général Guéi en octobre 2000 pour prendre le pouvoir dans une élection réduite comme peau de chagrin par l’exclusion de ses principaux concurrents. On peine à croire que Laurent Gbagbo croit pouvoir convaincre avec un programme politique en deux points :
-1) Le sempiternel « Je n’ai rien fait ». L’acquittement du héros de Mama de la CPI ne saurait politiquement déresponsabiliser le FPI, ni son leader historique. Dans la descente aux enfers de la Côte d’Ivoire, de 1993 à 2011, le parti frontiste a incontestablement sa part de responsabilité, notamment pour sa contribution dommageable à la funeste politique de l’ivoirité.
-2) « Je vais enfin réaliser ce qu’ils m’ont empêché de faire de 2002 à 2011 ». Ce deuxième thème gbagboiste passe tout aussi difficilement. Le FPI a largement eu le temps, quand il était aux affaires, de montrer ses limites dans la gestion moderne de l’Etat, dans le respect de l’Etat de droit et dans la diversification pourtant vitale de l’économie ivoirienne.
Et pour l’échéance cruciale de 2020, qui niera que le FPI est davantage occupé à ses palabres internes qu’à vivre les souffrances quotidiennes des Ivoiriens et à penser hardiment l’avenir ? Le désert actuel d’idées programmatiques dans ce parti l’expose au risque du réchauffé insipide.
L’obsession régalienne du PDCI-RDA et son silence sur l’avenir réel…
Contraint d’avaler la copie de l’Appel de Daoukro du 17 septembre 2014 par un RDR plus roublard que jamais, le PDCI-RDA avait construit l’essentiel de sa tactique politique sur la rétrocession naturelle du pouvoir en 2020 par son allié du groupement politique RHDP. Mais échaudé comme un chat sorti de l’eau de la duplicité du régime Ouattara, le PDCI-RDA, avec à sa tête un Président Bédié blessé dans son honneur et déterminé à aller au bout du différend, a clairement annoncé sa ferme intention de reprendre le pouvoir comme tel en 2020. Mais quel est le contenu de cette ambition ? Tout observateur sérieux de l’évolution du discours du parti de l’indépendance ivoirienne aura bien noté que c’est courant 2018 que le PDCI-RDA a fait de l’Etat de droit, le pilier de son projet de reconquête du pouvoir. Or ce thème était déjà au cœur de la réflexion et des discours de Guillaume Soro, en même temps que le pardon et la réconciliation des Ivoiriens, depuis le départ de Guillaume Soro de la primature le 8 mars 2012. C’est aussi la même année 2018 que le PDCI-RDA a rejoint Guillaume Soro, justement, sur le thème du pardon et de la réconciliation inter-ivoiriens, et notamment l’Appel à la libération de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, ainsi que leur retour dans leur pays natal. En dehors de cet alignement en 2018 du PDCI-RDA sur les grands thèmes de la pensée de Guillaume Soro, nul aujourd’hui ne peut dire à quoi pourrait ressembler le projet de société du PDCI-RDA pour 2020, encore moins qui sera finalement le candidat de ce parti à la future élection présidentielle. Ainsi, l’obsession régalienne – le désir de reprendre tout le pouvoir- du PDCI-RDA se contredit malheureusement par son silence lourd sur l’avenir promis aux Ivoiriens et sur les femmes et les hommes qui incarneraient ledit avenir.
L’Offre du Comité Politique de Guillaume Soro, ou le développement endocentré et écologique en phase expérimentale…
A l’opposé du FPI et du PDCI-RDA, le Président du Comité Politique de Côte d’Ivoire s’est installé depuis de nombreuses années à l’avant-garde des idées d’avenir dans son pays.
Dès 2012, dans une Côte d’Ivoire crispée par la terrible crise postélectorale de 2010-2011, Guillaume Soro affirmait dans son discours de démission de la primature que la réconciliation des Ivoiriens serait le cœur de la Nation à bâtir. Le 3 avril 2017, du perchoir de l’hémicycle, Guillaume Soro enfonçait le clou en appelant à la libération de l’ensemble des prisonniers de la dernière crise postélectorale et à l’ouverture de discussions consensuelles sur le futur cadre de concurrence politique. IL devait être rejoint sur ce thème, après tant de dénégations ou d’inhibitions, par le RDR-RHDP d’Alassane Ouattara, puis par le PDCI-RDA d’Henri Konan Bédié. Le premier cité, après avoir nié l’existence des prisonniers politiques en Côte d’Ivoire, libérait près de 800 prisonniers politiques le 6 août 2018. Quelque temps après, le PDCI-RDA, rejoignant le train de la décrispation, appelait à une loi d’amnistie votable par tous au Parlement, afin de couler dans le marbre du consensus, l’élargissement des derniers pensionnaires du Goulag local.
Dans la foulée, Guillaume Soro embranchait avec le thème de la nécessité de construire un Etat de droit équitable et juste pour tous les Ivoiriens, insistant sur le fait que c’est sur cet idéal de consensus politique fort que devait se reposer l’Appel au pardon. IL fallait que les Ivoiriens se promettent de ne plus jamais recommencer la folie identitaire qui avait failli tuer le pays ; il fallait que des institutions nouvelles protègent l’ivoirien de l’exclusion par l’ivoirien, il fallait que naisse la véritable nation ivoirienne, métissant et transcendant les clivages ethniques, religieux, régionaux et même idéologiques. Sur la terre abandonnée de la réflexion sur l’identité nationale en Côte d’Ivoire, on peut dire sans risque de se tromper que Guillaume Soro fait encore aujour’hui cavalier solitaire parmi les hommes d’Etat, et caracole cependant en tête des pas de géants vers la grandeur à retrouver de la nation. Pionnier du renouveau de la construction nationale ivoirienne, Guillaume Soro surprend du nord au sud, de l’est à l’ouest, et même dans le centre du pays, par sa forte volonté politique de brassage du Peuple Ivoirien en un seul Peuple de citoyens.
Mais s’il y a deux points sur lesquels l’avance du Président du Comité Politique sur tous ses concurrents potentiels est encore plus nette, ce sont les domaines de la doctrine économique et la communication politique.
Le Président du RHDP, Alassane Dramane Ouattara, peut-être conscient de ses échecs, a certes voulu enfermer Guillaume Soro, dans l’anathème vraiment imaginaire de « marxisme ». Jamais Guillaume Soro ne s’est situé politiquement dans l’extrême-gauche à travers l’Histoire. Démocrate de gauche, il a toujours pratiqué une politique conjuguant l’économie de marché avec la place centrale de l’humain-social au cœur de toute politique. En accusant imaginairement Guillaume Soro de marxisme, Alassane Dramane Ouattara voulait en réalité cacher maladroitement son propre parti pris pour le capitalisme le plus pur et dur, l’ultralibéralisme qui est en train de couler la société ivoirienne : privatisations, marchés de gré à gré, surendettement international de l’Etat, rétrocommissions, conflits d’intérêts, PIB profitant davantage aux multinationales qu’aux champions d’entreprises nationales, faible industrialisation du pays à 6% en 8 ans de pouvoir, désastre écologique en cours, la gouvernance économique du RHDP s’est littéralement fracassée au mur des réalités sociales ivoiriennes. Le tout saupoudré par une communication politique molle, inaudible, léthargique et même parfois tout simplement inexistante du régime du RHDP. Sur ces plans économiques et communicationnels, on ne saurait non plus faire valoir les succès antérieurs du PDCI-RDA ou du FPI, après l’ère Houphouët. Nous avons assisté, de 1993 à 2011 aux pratiques classiques de partis-Etats assis sur leurs aises et fortement attachés à conserver davantage le pouvoir qu’à innover au quotidien.
Or Guillaume Soro, innovant en matière de politique économique – sans s’enfermer dans l’ultralibéralisme ravageur du RHDP de Ouattara, ni dans un marxisme imaginé par ses adversaires pour le diaboliser à la face du monde – s’est rendu dans le nord de la Côte d’Ivoire dès début mars 2019, près d’un mois après sa démission du Parlement le 8 février 2019. IL a alors commencé à mettre en œuvre une autre manière de développer la Côte d’Ivoire, que je nomme « développement endocentré et écologique ». Enonçons-en les principes fondamentaux.
-a) Le principe d’écoute et de dialogue sur les problèmes des populations est la pierre angulaire de la démocratie participative de Guillaume Soro : on ne peut résoudre les problèmes du peuple sans connaître le peuple, sans vivre avec lui, sans comprendre comment il comprend, sans se pénétrer de ce qui lui importe le plus. Voilà pourquoi, prenant son bâton du pèlerin, Guillaume Soro est allé voir de villes en villages, les Ivoiriens dans leur quotidien. IL opère ainsi, calepin en main, le diagnostic des attentes, des expériences, des problèmes, mais aussi des incompréhensions qui strient le pays.
-b) Le principe de conception concertée des solutions est la conséquence de cette démocratie économique participative : Guillaume Soro, partout où il est passé, s’attache à aboutir avec les gens du peuple, à des conclusions sur l’état de leur contrée et les solutions les plus durables à leurs problèmes. La discussion avec le Peuple n’aide pas qu’à comprendre les problèmes du peuple, mais aussi à faire comprendre au peuple les difficultés et mécanismes politiques que la solution de leurs problèmes requiert. Et notamment, l’intégration du facteur écologique dans les décisions quotidiennes des populations rurales et urbaines, à travers l’anticipation des effets de certaines pratiques collectives sur l’environnement si vital.
-c) Le principe de mise en pratique des solutions, avec ceux qui ont diagnostiqué les problèmes eux-mêmes, afin qu’ils participent eux-mêmes à leur émancipation citoyenne, sociale, économique et politique au quotidien : Guillaume Soro, partout, a tenu à faire travailler dans les chantiers de forages, d’école, de mosquée, d’église, de centre de santé, les hommes, femmes et enfants du lieu concerné. L’effet de cette implication humaine ? La responsabilité de soi, l’autonomie des personnes démultipliée à travers villes et campagnes de Côte d’Ivoire.
-d) Le principe de l’évaluation des réalisations, à la fois du point de vue de l’efficacité, de la rentabilité et de la viabilité écologique de leur mise en œuvre, sans oublier la solidité des ouvrages accomplis et leur entretien méticuleux par les communautés organisées. En effet, la culture de l’évaluation étant très faible dans les jeunes nations africaines, le mythe d’un développement qui se maintiendrait tout seul a fait de nombreux ravages. Endocentré, le développement du pays selon Guillaume Soro est une affaire de tous et de chacun. Il ne dépend plus essentiellement des crédits du FMI et de banque Mondiale, ou des investissements des seules multinationales. L’ivoirien doit maîtriser son quotidien pour préserver sa dignité. Le travail lui confère cette stature. IL est l’affaire d’une humanité réfléchie qui se prend en charge, devenant maîtresse de son agenda à court et long terme au cœur d’une nature toujours plus exigeante.
N’est-ce pas l’embryon de la Côte d’Ivoire imminente qui commence ainsi à croître pour le bonheur des populations convaincues autant par la méthode que par ses résultats concrets ? A-t-on vu en Côte d’Ivoire depuis la mort du Président Houphouët, plus hardi laboratoire d’idées innovantes en politique économique que celles du Comité Politique de Guillaume Soro ? J’en doute. Beaucoup de slogans creux ont précédé Guillaume Soro. Mais il est incontestablement celui qui fait progresser l’intelligence ivoirienne du développement en l’immergeant et en s’immergeant dans la réflexion avec le Peuple, et non au-delà de lui et par-delà lui. « Pas un pas sans le Peuple », tel semble être le maître-mot de l’espérance qu’esquisse donc GKS.
Et pour finir, ce n’est pas la révolution soroiste sur les réseaux sociaux de communication politique qui viendra démentir l’œuvre de pionnier du PCP, comme l’appellent désormais affectueusement des millions d’Ivoiriens. Longtemps avant la totalité des politiques de son pays, le geek GKS avait investi portables et téléphones, applications originales et communications en live. La concurrence installée, qui à la RTI, qui dans tel canard classique de la place, n’a pas vu décoller la fusée communicationnelle de Tienigbanani. Au moment où certains, lourdement, s’y mettent enfin, le satellite GKS vogue parmi les étoiles de l’information de ce temps. Sans la RTI, sans Frat-Mat, sans les classiques presses rouge-verte (RDR), bleue-blanche (FPI) et verte-blanche (PDCI) de la place ivoirienne, Guillaume Kigbafori Soro est incontestablement le plus suivi et le plus lu des politiciens ivoiriens de l’heure. Et les événements politiques forts qui se pressent à l’horizon sont loin de favoriser une inversion de tendance… ! A chacun, en tout cas, d’en juger.
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