Note: Les faux abonnés seraient aussi abondamment présents sur Facebook, mais cet article ne traite que du cas de Twitter.
A un an de l’élection présidentielle, la scène politique ivoirienne est en ébullition. Selon une étude de la revue Diplomatie Internationale, plusieurs responsables politiques de premier plan auraient manipulé le nombre d’abonnés de leur compte Twitter. L’objectif ? Accroître artificiellement leur influence sur les réseaux sociaux en vue de la prochaine échéance électorale.
L’élection de Barack Obama en 2008 a fait basculer la communication politique dans une nouvelle ère, celle des réseaux sociaux et de l’influence. Les scrutins récents, du référendum sur le Brexit aux présidentielles américaine (2016) et française (2017), ont, quant à eux, démontré que ces nouveaux outils de communication avaient acquis la capacité de faire basculer une élection. Et tout porte à croire que la prochaine présidentielle en Côte d’Ivoire, programmée en 2020, n’échappera pas à la règle.
Hausse artificielle du nombre d’abonnés
Selon une étude de la revue Diplomatie Internationale, dont The Next Media a pu prendre connaissance, plusieurs leaders politiques ivoiriens s’affranchiraient des règles en vigueur sur Twitter. En se basant notamment sur une série d’outils incontestables tels que Twitter Audit, Sparktoro, Sprout Social ou encore Buzzsumo, l’analyse a permis de déterminer que plusieurs comptes Twitter appartenant à des responsables politiques se distinguaient par une hausse artificielle de leur nombre d’abonnés.
Avec plus de 788 000 followers à son actif, le compte Twitter de Guillaume Soro, principal opposant à l’actuel président de la République Alassane Ouattara, est en apparence l’un des plus influents de la scène politique ivoirienne. A titre de comparaison, avec 1,7 millions de followers et une notoriété qui dépasse largement les frontières de la Côte d’Ivoire, Didier Drogba ne possède qu’un peu plus du double d’abonnés.
Sauf que, selon l’étude de Diplomatie Internationale, la communauté de l’ancien Premier ministre est constituée à 72 % de faux followers, soit près de 561 000 comptes totalement fictifs. Ces abonnés fantômes, que n’importe quel internaute peut se procurer sur le Web, moyennant le versement de quelques centaines de dollars, permettent d’accroître (quantitativement) la communauté d’une personnalité ou d’une marque. Mais cette pratique, qui enfreint les règles d’utilisation de Twitter, est dans le viseur du réseau social à l’oiseau bleu. Depuis un an, Twitter a d’ailleurs érigé la chasse aux faux comptes au rang de priorité stratégique.
Capture d’écran d’une des plus importantes places de marché en ligne sur laquelle il est possible d’acheter 100 000 followers pour 322 euros environ.
Autre élément troublant : les étranges variations constatées sur le nombre total de followers du compte de Guillaume Soro lors des douze derniers mois. Selon le site Social Blade, le compte de l’ancien Premier ministre a subi une perte sèche de plus de 62 000 followers sur la seule journée du 13 juillet 2018… Ces baisses massives et soudaines sont généralement le signe d’une intervention de Twitter visant à supprimer les faux comptes qui pullulent sur la plateforme. Bis repetita le 9 novembre dernier : le compte s’est délesté de 18 000 abonnés. Mais malgré les coups de semonce de Twitter, la communauté de Guillaume Soro a continué à croître de manière régulière. Enfin, plus ou moins. Car à y regarder de plus près, les followers du compte de l’ancien président de l’Assemblée nationale présentent des caractéristiques troublantes. Parmi les nouveaux abonnés, nous avons pu constater la présence d’un très grand nombre de comptes créés en avril 2019 — selon l’outil Sparktoro, 54 % des followers de Guillaume Soro ont créé leur compte dans les trois derniers mois. Encore plus troublant : ces profils, dont les noms de compte associent souvent un prénom courant et une suite de chiffres, n’ont jamais posté le moindre tweet. « Ces profils sont incontestablement des faux, explique Ann Graham, analyste et spécialiste des réseaux sociaux au sein de l’agence britannique WPP, premier groupe mondial de communication. Ils sont très récents et présentent des caractéristiques typiques des comptes fictifs. Grâce à des logiciels en libre accès sur Internet, il est possible de créer des milliers de comptes de ce type de manière automatisée. Ensuite, d’autres logiciels prennent le relais et abonnent ces faux comptes au compte cible (le compte de la personnalité ou de la marque — ndlr), ce qui fait mécaniquement grandir sa communauté. C’est une mécanique bien huilée et très efficace. »
Vers une « trumpisation » de la scène politique ivoirienne
« Nous assistons à un phénomène de « trumpisation » de la communication politique ivoirienne, analyse Frédéric Martin, chargé d’études au sein du cabinet américain McKinsey & Company. Aussi bien au niveau des discours, qui prennent des accents de plus en plus populistes, que des pratiques, qui poussent certains responsables politiques ivoiriens à franchir la ligne rouge. » Traduction : à acheter des faux comptes par milliers. « Selon nos modèles, il est impossible pour un acteur local de bâtir des communautés de plusieurs centaines de milliers de followers dans un pays de la taille de la Côte d’Ivoire, où seuls 6 millions de personnes ont accès à Internet sur une population totale de 25 millions d’habitants », précise Frédéric Martin.
Mais Guillaume Soro n’est pas le seul à être soupçonné d’appliquer des méthodes douteuses sur Twitter. L’enquête de Diplomatie Internationale a également permis de constater que cette pratique consistant à acheter de faux abonnés était plus répandue qu’il n’y paraît. Autre personnalité politique ivoirienne épinglée par l’étude : l’ancien ministre du Commerce, Jean-Louis Billon. Ancien patron de la chambre de commerce et candidat potentiel à la prochaine élection présidentielle, l’entrepreneur peut s’enorgueillir de posséder plus de 67 300 followers sur Twitter. Mais comme chez Guillaume Soro, la grande majorité de ces abonnés sont fictifs. A en croire l’étude de Diplomatie Internationale, ces « fakes » représenteraient 61 % de la communauté de Jean-Louis Billon.
Amadou Gon Coulibaly et Hamed Bakayoko échappent aux critiques
Dans une moindre mesure, le compte de Simone Gbagbo, l’épouse de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, recèlerait 33 % d’abonnés douteux, sur un total de 5505 followers. Du côté des partis politiques, Diplomatie Internationale pointe du doigt les 59 % de faux abonnés du compte du parti politique Liberté et Démocratie pour la République (Lider), présidé par Mamadou Koulibaly, professeur d’économie et candidat déclaré à la présidentielle de 2020.
Finalement, l’enquête n’épargne que deux responsables politiques : l’actuel Premier ministre Amadou Gon Coulibaly (2 % de faux abonnés sur 7300) et le ministre de la Défense Hamed Bakayoko (17 % de faux sur 28 000 abonnés).
La présidentielle ivoirienne a beau n’avoir lieu que dans un an, elle a déjà commencé sur Twitter. Mais pas forcément de la meilleure manière…
La fin de l’article sur Thenextmedia.fr
L’article même « sniffe » de la manipulation…