L’acte XVIII des gilets jaunes marqué par des saccages, des heurts et 237 interpellations

« Il n’y a que quand ça casse qu’on est entendu » : récit d’une journée de violence parmi les « gilets jaunes » à Paris

Dès le matin, tout le monde a été embarqué dans le même piège. « La France à Paris », ont promis depuis plusieurs jours les figures des « gilets jaunes » et à partir de 9 heures, ce 16 mars, des cortèges partis de plusieurs gares parisiennes ont convergé vers les Champs-Elysées. Il est vite apparu, cependant, que ce dix-huitième samedi de manifestations serait violent.

Les sites internet les plus emblématiques des groupes d’autonomes et de la gauche radicale ont appelé, ces dernières semaines, à manifester leur colère « autrement que par les mots » et il n’est pas difficile de les reconnaître, ces manifestants masqués et gantés de noir, parfois revêtus de gilets jaunes, qui dès le milieu de la matinée ont remonté en courant l’avenue des Champs-Elysées, vers la place de l’Etoile et chargé directement les forces de l’ordre sur place.

Le piège, ce sont ces voitures en flamme et ces premières boutiques vandalisées qui aimantent les télévisions et les manifestants. Les pavés volent, les pilleurs pillent et la majorité des « gilets jaunes » regardent faire, sans s’opposer aux black blocs venus pour casser. « Je suis contre la violence, mais la violence d’Etat me donne la rage », raconte une manifestante. « Et puis, il n’y a que comme cela que les médias et Macron nous entendent », croit un autre.

Les plus pacifiques des « gilets jaunes » se sont rendus à la marche pour le climat, qui a rejoint la place de la République en fin d’après-midi. Les autres, décidés à faire nombre et à renouer avec l’esprit insurrectionnel des premières semaines de mobilisation, restent sur les Champs, équipés pour faire face aux nombreuses bombes lacrymogènes qui n’ont pas manqué de tomber sur eux.

Un bilan en début de soirée faisait état de 237 interpellations, 42 blessés parmi les manifestants, 17 chez les forces de l’ordre et un chez les pompiers. Une nouvelle flambée de violences qui a contraint Emmanuel Macron à écourter son séjour dans la station de ski de La Mongie (Hautes-Pyrénées) pour rejoindre la cellule de crise mise en place par le ministère de l’intérieur samedi soir, aux alentours de 22 h 30.

C’est une curieuse atmosphère qui s’est installée d’emblée sur l’avenue parisienne si emblématique. En tête de cortège, les plus radicaux ont lancé les hostilités. Après les manifestations plus calmes de ces dernières semaines, beaucoup des magasins qui s’étaient barricadés chaque samedi après les émeutes du 1er décembre ont baissé la garde et renoncé à protéger leurs vitrines. Du coup, des manifestants commencent à brûler les kiosques à journaux et incendient une banque. Au milieu de l’avenue, le Fouquet’s est pris d’assaut, comme un symbole de la bourgeoisie. Les tables dressées, avec leurs nappes blanches et leurs assiettes de porcelaine, sont noyées sous la fumée.

A l’arrière, les autres manifestants se chauffent au soleil, prennent des selfies devant les vitres brisées, se servent éventuellement dans les boutiques éventrées. Les premières semaines du mouvement, il y avait toujours des manifestants pour protester contre les pilleurs. Cette fois, rien. « Ca fait 18 semaines qu’ils nous écoutent pas !, explique John, un animateur de 28 ans qui a fait la route depuis Nancy. Les Blackblock avant ils faisaient peur à tout le monde, maintenant on trouve que c’est un plus. C’est eux qui font avancer les choses, nous on est trop pacifistes ».

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La boutique Hugo Boss des Champs-Elysées, avant d’être vandalisée, samedi 16 mars. Henri Seckel pour « Le Monde »

« Le Fouquet’s, ce symbole de l’oligarchie » [photo ]

Ils sont nombreux à dire la même chose. « On a pris conscience qu’il n’y a que quand ça casse qu’on est entendu… Et encore même quand on casse tout on nous entend pas », assure Johnny, 37 ans, directeur de centre de loisirs dans les Ardennes : « Il faut que Macron se rende compte que maintenant, il est cuit ». Isabelle 60 ans, venue de l’Essonne, se tient un peu en retrait, mais elle avoue : « Si j’étais plus jeune, j’irais à l’affrontement. C’est la violence d’Etat la première violence, celle qui donne la rage ».

Les vitrines de nombreux magasins ont volé en éclat : Boss, Etam, Al Jazeera Parfums, Nike, Swarosky, Bulgari, Longchamp, SFR, la boutique du PSG, mais personne ne bronche. « Jusqu’ici dans les manifestations, je m’interposais pour éviter la casse. Mais là maintenant je me dis ‘tant pis’, confie Jennifer, 39 ans, carriste venue de Rouen et mère de deux enfants. Quand j’ai vu casser le Fouquet’s, ce symbole de l’oligarchie, je dis pas que j’étais satisfaite mais je ne suis plus contre ».

Par Henri Seckel, Raphaëlle Bacqué et Aline Leclerc

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