Dialogue de sourds entre pouvoir et opposition sur la réforme de la CEI
Par André Silver Konan – à Abidjan – Jeune-Afrique
Les discussions autour de l’importante réforme de la Commission électorale indépendante (CEI), en vue de la présidentielle de 2020 en Côte d’Ivoire, sont au point mort. En cause : une interprétation différente entre le pouvoir et l’opposition de l’arrêt de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), qui avait exigé une refonte de la loi électorale jugée déséquilibrée.
C’était le 21 janvier 2019. Dans l’auditorium de la primature, les responsables de partis d’opposition affichaient leur plus beau sourire. Ce jour-là, le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly ouvrait les discussions autour de la réforme de la Commission électorale indépendante (CEI), une vieille doléance de l’opposition et un vœu de nombreux diplomates accrédités en Côte d’Ivoire. Sept semaines plus tard, changement de décor, d’expression, de visage aussi.
Nous sommes au siège du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI d’Henri Konan Bédié), où les principaux responsables de l’opposition, en dehors de la dissidence du Front populaire ivoirien (FPI de Laurent Gbagbo, amenée par l’ex-ministre Assoa Adou) sont réunis. Maurice Kakou Guikahué, secrétaire exécutif en chef du PDCI, entouré de la secrétaire générale de Pascal Affi N’Guessan, président du FPI et d’autres opposants, dont des proches de Guillaume Soro, ex-président de l’Assemblée nationale ; présentent des mines graves.
« Les partis politiques de l’opposition ivoirienne ont décidé de produire une contribution unique, qui a été signée le 1er mars 2019 et indiquée au gouvernement, à travers une correspondance restée sans suite depuis le 30 janvier 2019, l’impérieuse nécessité d’organiser une concertation inclusive. À ce jour, nous n’avons reçu aucune suite du gouvernement à notre requête », a dénoncé le 11 mars Maurice Kakou Guikahué.
Profonde réforme ou simple recomposition ?
Ici commence le dialogue de sourds. Alors que les partis d’opposition souhaitent un recadrage de la discussion, afin qu’elle soit ouverte à toute l’opposition, le gouvernement clame qu’il attend toujours leurs propositions. « Je n’ai pas connaissance que le ministre de l’Intérieur a reçu les propositions des partis de l’opposition. Je note que nous avons entendu une déclaration de presse de partis sur le sujet », a rétorqué Sidi Tiémoko Touré, porte-parole du gouvernement.
Autre point de discorde, la nécessité d’une réforme profonde de la CEI ou d’une simple recomposition de celle-ci. Pour Sidi Tiémoko Touré, les opposants gagneraient à s’aligner sur les orientations du président Alassane Ouattara, relatives à la recomposition de la CEI. « Le gouvernement travaille exclusivement à la mise en œuvre des instructions (présidentielles), en l’occurrence, la recomposition de la CEI qui est l’unique et principale observation de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Donc nous ne ferons pas plus que ça », a tranché le porte-parole du gouvernement.
« L’ARRÊT DEMANDE QUE L’ÉTAT DE CÔTE D’IVOIRE CRÉE UN ORGANE ÉLECTORAL IMPARTIAL »
De fait, l’opposition ne fait pas la même lecture de l’arrêt de la CADPH. « Si le gouvernement ne procède pas à la réforme de la CEI, c’est qu’il ne répond pas à l’arrêt de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, a objecté Maurice Kakou Guikahué. Cet arrêt dit qu’il faut une CEI impartiale et indépendante des pouvoirs politiques et administratifs et il demande que l’État de Côte d’Ivoire crée un organe électoral impartial ».
Le 18 novembre 2016, la CADHP, saisie d’une plainte par l’Action pour la promotion et la défense des droits de l’homme (APDH, organisation non gouvernementale ivoirienne, agissant dans le domaine des droits de l’homme), avait jugé partiale la CEI dirigée par Youssouf Bakayoko.
Elle avait alors ordonné à l’État ivoirien de « modifier la loi 2014-335 du 18 juin 2014 relative à la CEI », en ce sens qu’elle viole l’obligation de « créer un organe électoral indépendant et impartial ». Le gouvernement du président Alassane Ouattara avait donc été enjoint de « protéger le droit des citoyens de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays ».
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