C’était en avril 2005. J’avais été invité, par une amie du Congo-Brazzaville, à la conférence mensuelle de “ Confrontations ”, un groupe d’intellectuels catholiques de Paris. Dans une salle de l’Institut catholique (21, rue d’Assas), pendant que nous prenions une collation, le comité d’organisation, probablement informé de ma présence par Régine Oboa, vint me trouver là où j’étais assis. Le « chef » de ce comité me salua, puis s’adressa à moi en ces termes : « Ma collègue Régine m’a dit que vous avez écrit un ouvrage sur ce qui se passe en Côte d’Ivoire depuis septembre 2002. On aimerait vous inviter, le mois prochain, si vous êtes disponible. Notre public aurait ainsi l’occasion d’écouter un témoignage de première main. » Il ajouta : « Comme notre groupe s’appelle “ Confrontations ”, on souhaiterait que vous et une autre personne puissiez confronter vos points de vue sur la situation dans votre pays. Cela signifie que le second conférencier pourrait ne pas voir les choses comme vous. » Sans hésiter, je donnai mon accord au projet et je proposai de débattre avec Jean-Pierre Dozon [photo] quand on me demanda si j’avais un nom en tête.
Pourquoi Dozon ? Parce que j’avais entendu ce « spécialiste » de la Côte d’Ivoire (son ouvrage sur la société bété fut publié en 1985 par Karthala et Orstom) défendre des thèses fausses sur les Ivoiriens et Laurent Gbagbo. Il disait, par exemple, que les gens du Sud étaient devenus anti-français sous Gbagbo, que ce dernier était dictateur et tribaliste, qu’il avait été mal élu et qu’il n’en avait plus pour longtemps au pouvoir. Que Dozon préfère Ouattara à Gbagbo n’était pas ce qui me posait problème car chacun de nous a bien le droit d’être en désaccord avec X ou de ne pas aimer Y. Ce qui me désolait, c’étaient ses affirmations gratuites dans des médias à la remorque du gouvernement français, le fait que son discours n’était fondé sur aucun fait vérifiable alors qu’on attend d’un universitaire qu’il respecte les faits et fasse preuve de rigueur et de précision dans son argumentation.
Les organisateurs de la conférence sur la Côte d’Ivoire contactèrent Dozon, puis envoyèrent les invitations à droite et à gauche. Quant à Dozon et moi, nous avions 3 semaines pour nous préparer. Je lus alors son livre sur les Bété, je réécoutai ses interviews sur la crise franco-ivoirienne.
4 jours avant le débat contradictoire, nous fûmes convoqués par les organisateurs dans un petit restaurant du 6e arrondissement. Le but de cette réunion : voir ensemble comment la journée allait se passer. J’arrivai 30 mn avant l’heure. Dozon, lui, nous rejoignit avec 20 mn de retard. Avant de s’asseoir, et sans s’excuser d’être arrivé après l’heure de notre rencontre, il se mit à parler du charnier de Yopougon, accusant les « gendarmes de Gbagbo » d’avoir tué les partisans de Ouattara chez eux et d’avoir jeté leurs corps à côté de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan. « Monsieur Dozon, si les choses se sont passées ainsi, pouvez-vous nous expliquer le fait que de l’eau ait été trouvée dans les poumons de certains corps ? » Ma question provoqua l’ire de Dozon qui m’accusa d’être dans le déni et que cela était suffisant pour qu’il ne participe plus au débat contradictoire qui devait avoir lieu dans 3 jours. Je lui fis la suggestion suivante pour qu’il ne nous lâche pas : si la question du charnier le dérangeait tant, on pouvait l’exclure de nos échanges. Cela ne fit pas changer Dozon d’avis qui sortit un autre argument : « D’ailleurs, les pro-Gbagbo sont nombreux ici à Paris et je n’ai pas envie de me faire lyncher par eux. » Et moi de lui répondre : « Si quelqu’un devrait craindre pour sa sécurité dans cette ville, c’est bien moi. » Alors que nous croyions qu’il était revenu à de meilleurs sentiments, Dozon proposa de lire son texte et de s’en aller. Je lui fis remarquer que ça n’était pas acceptable car ce ne serait plus un dialogue mais un monologue.
C’est sur ce désaccord que Dozon nous abandonna dans le restaurant. Aussitôt, les organisateurs sortirent leurs téléphones portables pour informer les invités que la conférence était annulée. Ils s’excusèrent de m’avoir fait travailler et de m’avoir invité dans ce restaurant pour rien. Pour eux, Dozon avait simplement fui le débat parce que, pour la première fois, il allait se retrouver en face de quelqu’un qui a vécu les événements et donc maîtrisait le dossier ivoirien mieux que lui. Je ne bronchai pas mais je n’en pensais pas moins. Si les choses s’étaient passées aujourd’hui, j’aurais simplement dit : « C’est le caleçon de Dozon qui est gros, sinon y a rien dedans. » Traduction : Ce monsieur fait beaucoup de bruit pour rien ; il n’est spécialiste de rien car comment peut-on se dire universitaire, s’autoproclamer spécialiste de l’Afrique, et avoir peur de débattre avec un Africain ?
Dozon qui, à défaut de voir Laurent Gbagbo tué par les bombes françaises dans la résidence présidentielle, croyait qu’il mourrait à la Haye, que pense-t-il de son acquittement ? Comment se sent-il après que le juge italien Cuno Tarfusser eut déclaré que les preuves de Fatou Bensouda étaient d’une faiblesse exceptionnelle ? Les quatre Nègres de service (Achille Mbembe, Paulin Hountondji, Elikia M’Bokolo et Mamadou Diouf) qui cosignèrent avec Dozon et d’autres universitaires français une tribune publiée dans « Le Monde » du 19 janvier 2011 et traitant l’ancien président ivoirien de « chef ethnocentriste qui s’accroche au pouvoir » n’ont-ils jamais entendu parler du rattrapage ethnique ni des tueries de leur chouchou Dramane Ouattara ? Peuvent-ils affirmer que la Côte d’Ivoire se porte mieux aujourd’hui ? Oseront-ils parler encore de l’Afrique après avoir donné leur aval à ceux qui voulaient liquider un de ses valeureux défenseurs ?
Jean-Claude DJEREKE
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