Le diabète, bombe à retardement pour l’Afrique
ENQUÊTE
Selon les projections, 41 millions de personnes seront diabétiques en 2045 sur le continent….
Installé dans le fauteuil habituellement réservé au responsable du centre de soins de l’ONG Action santé, Issaka, la quarantaine, semble un peu intimidé. En retard à cause des sempiternels embouteillages d’Abidjan, il est venu à Anoumabo, un des quartiers les plus pauvres de la capitale économique ivoirienne, pour partager l’histoire de sa mère. Mais parler de la maladie qui l’a emportée il y a quelques mois est encore difficile, car d’habitude, ici, le diabète, on n’en parle pas. Encore mal connue de beaucoup d’Ivoiriens, la maladie reste un tabou. Issaka veut rompre le silence en espérant que cela aide à ce que les malades et leurs familles ne se sentent plus stigmatisés et, qui sait, que l’Etat s’empare du problème pour garantir aux patients un accès aux soins.
En Côte d’Ivoire, comme dans de nombreux pays d’Afrique, les maladies non transmissibles (MNT) sont en augmentation constante et constituent désormais une des causes majeures de décès. En 2018, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 37 % des décès dans le pays étaient liés aux MNT (cancers, pathologies cardio-vasculaires, respiratoires, métaboliques, etc.). En 2017, le diabète a tué plus de 300 000 Africains et, selon les projections, 41 millions de personnes seront diabétiques en 2045 sur le continent.
Avec une augmentation de 156 % des cas en moins de trente ans, l’Afrique sera alors la région du monde avec la plus forte progression de la maladie. Une véritable bombe à retardement que peu d’Etats africains semblent capables de désamorcer, et une menace pour la santé mondiale que les pays du Nord ont encore bien du mal à reconnaître.
Comme environ 70 % des personnes diabétiques en Côte d’Ivoire, la mère d’Issaka a découvert sa maladie lors d’une complication : « C’était en 2014, à cause d’une plaie qui ne guérissait pas malgré les remèdes du tradithérapeute. Elle a dû se rendre à l’hôpital. Les dommages à son pied étaient tels qu’elle a dû être amputée. » A partir de ce moment, c’est la vie de toute la famille qui a été bouleversée. Faute de couverture sociale, réservée pour l’heure aux salariés de certaines entreprises privées et aux fonctionnaires, insuline et antidiabétiques oraux restent à la charge du patient. Issaka déboursait ainsi environ 30 000 francs CFA (45,7 euros) chaque mois pour le traitement de sa mère, soit la moitié du salaire minimum en Côte d’Ivoire.
« En plus des changements d’alimentation,
c’est la sédentarité grandissante dans la population ivoirienne qui nourrit aussi l’épidémie de maladies métaboliques à laquelle nous faisons face », Pr Jacko Abodo, CHU de Yopougon
Mais le diabète génère aussi de nombreux coûts annexes (analyses, consultations de suivi, mesures de glycémie…) qui pèsent lourd sur le budget des patients et des familles, pour lesquelles acheter une nourriture adaptée est déjà souvent un problème. S’approvisionner en fruits et légumes n’est pas toujours facile à Abidjan, il faut parfois faire plusieurs kilomètres, et leur conservation reste problématique. Tout comme celle de l’insuline. « Ma mère n’avait pas de frigo, c’était trop cher. On a donc acheté une glacière qu’on rechargeait régulièrement en glace, raconte Issaka. On s’est réparti tous ces frais avec mes frères ; une personne toute seule ne peut pas payer, c’est trop ! »
Même dans les hôpitaux publics, les Ivoiriens doivent payer pour avoir accès à une prise en charge. Après quelques mois de gratuité des soins, décrétée lors de l’arrivée au pouvoir du président Ouatarra, la situation s’est rapidement compliquée. « Nous faisons les ordonnances aux patients hospitalisés et les familles vont acheter ce qu’il faut dans les pharmacies alentour, explique, dépitée, la docteure Adélaïde Hué, chef de clinique dans un des CHU d’Abidjan. Pour beaucoup, c’est impossible de se payer tout cela, alors quand il y a des tradithérapeutes qui leur font miroiter de les guérir pour quelques milliers de francs, il n’y a pas photo ! »
« S’il n’y a pas d’urgence, la plupart des gens ne voient pas de médecin, confirme un médecin du CHU de Cocody. Ils n’arrivent à l’hôpital que quand les tradithérapeutes ont échoué, et il est souvent trop tard. » Diagnostic tardif et manque de traitement sont responsables d’un nombre important de complications sévères (coma, insuffisance rénale, cécité, gangrène…) qui conduisent à des handicaps lourds, avec des répercutions économiques et sociales majeures. « Nous appuyons sur cet aspect pour faire comprendre qu’il ne faut pas négliger le diabète et se faire dépister quand c’est possible, explique Abdul Beité, fondateur de l’ONG abidjanaise Action santé. On explique que la prévention est importante car quand la maladie arrive, c’est souvent toutes les économies du foyer qui y passent .»
L’ONG, fondée il y a tout juste dix ans, tente tant bien que mal d’apporter du soutien aux patients diabétiques, à Abidjan mais aussi dans des zones rurales du pays. Avec quelques collaborateurs, Abdul Beité organise des journées de sensibilisation, avec des mesures de glycémie, mais l’ONG ne reçoit aucun soutien de l’Etat et les dons sont rares. « Ici les gens ont un proverbe : “Aide neuf pauvres et sois sûr d’être le dixième.” C’est très représentatif de la situation. La solidarité ne fonctionne plus car on n’a même plus les moyens de s’entraider », confie un des membres de l’ONG.
Pourtant la prévention devrait être un pilier de la lutte contre le diabète de type 2, qui représente plus de 90 % des cas de diabète en Côte d’Ivoire, comme dans la plupart des pays du monde. Liée aux changements des modes de vie qui touchent les populations africaines, cette pathologie est en partie évitable. « Mais il y a encore beaucoup d’a priori sur le diabète ici. Beaucoup de gens pensent qu’il s’agit uniquement d’une maladie “de vieux ou de riches” et se croient donc à l’abri. Pourtant, toutes les couches de la population sont désormais touchées, et de plus en plus de jeunes », souligne le docteur Béranger Kouamé, responsable d’une consultation diabète et hypertension à l’hôpital général de Bonoua, à une cinquantaine de kilomètres à l’est d’Abidjan.
Le poids de l’urbanisation galopante
(…)
Par Stéphany Gardier
Continuez votre lecture sur lemonde.fr
Commentaires Facebook