Toute l’Algérie mobilisée contre Bouteflika: Une ambiance festive pour un vendredi historique

«Partez !»

Lu pour vous dans El Watan 

Dès 13h, quelques dizaines de manifestants ont commencé à arriver au niveau de la place du 1er Mai. Les policiers ont bloqué plusieurs axes menant à la placette. Pour tenter de disperser les premiers arrivants, ils ont fait usage de gaz lacrymogènes.

Ils étaient des dizaines de milliers de manifestants à marcher, hier, dans les rues de la capitale pour rejeter le 5e mandat de l’actuel chef d’Etat, Abdelaziz Bouteflika. Venus de plusieurs quartiers d’Alger et des localités limitrophes, les contestataires ont tenté une nouvelle fois de marcher jusqu’au palais d’El Mouradia. Les policiers antiémeute ont usé de grenades lacrymogènes au niveau des quartiers de Télemly et de la rue Didouche Mourad, les deux artères empruntées par les manifestants pour rejoindre le siège de la Présidence. Les échauffourées ont duré plusieurs quarts d’heure. Entre temps, au fur et à mesure que certains manifestants, notamment les plus âgés, les femmes et ceux venus accompagnés de leurs enfants, quittaient les lieux, d’autres arrivaient.

La police charge les manifestants dès leur arrivée

Dès 13h, quelques dizaines de manifestants ont commencé à arriver au niveau de la place du 1er Mai. Les policiers ont bloqué plusieurs axes menant à la placette. Pour tenter de disperser ces premiers arrivés, ils ont fait usage de gaz lacrymogène. Avec les cris «Pas de 5e mandat, Bouteflika», les manifestants résistent. Quelques-uns d’entre eux sont arrêtés. Evitant toute confrontation avec les policiers, les contestataires cherchent d’autres accès. L’objectif étant de rejoindre la rue Hassiba Ben Bouali.

A 14h, c’est-à-dire dès la fin de la prière du vendredi, des centaines de jeunes rejoignaient les lieux. Peu à peu, le flux devient énorme. Certains «barrages» sautent. La foule rejoint finalement ce boulevard. En une fraction de seconde, toute la rue Hassiba est occupée, depuis l’hôpital Mustapha jusqu’à la fin du boulevard Amirouche. Hier, de nouveaux slogans sont apparus. La «rue» a tenu à répondre au Premier ministre, Ahmed Ouyahia. «L’Algérie n’est pas la Syrie», scandaient les manifestants. Le chef du RND avait déclaré, la veille au siège de l’APN, que la «révolte en Syrie avait également commencé avec des roses».

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De temps à autre, des manifestants rendaient hommage aux harraga morts en mer. «Les harraga, Paix à leur âme. Démunis, l’Etat les a assassinés», criaient-ils. La marche était beaucoup plus compacte que celle de vendredi 22 février. Il était difficile d’avancer. «Pas de 5e mandat, enfants de la France», criaient aussi les manifestants. Des youyous étaient lancés par des femmes depuis leurs balcons. D’autres jetaient des bouteilles d’eau en direction des manifestants. La communion était totale.

«Doucement, doucement, El Mouradia»

Au niveau de la Grande Poste, des jeunes ont commencé à crier «Doucement, doucement, El Mouradia». Empruntant la rue Pasteur, les manifestants, qui, au passage se sont majoritairement tus devant la clinique des Grands Brûlés, n’ont pas voulu passer par la rue du Docteur Saadane pour aller vers le Palais du gouvernement. Ils l’ont fait la semaine passée. L’objectif hier était de rejoindre directement le palais d’El Mouradia. Ils ont emprunté le tunnel des facultés.

A la sortie, la foule s’est divisée en deux. Le boulevard Mohammed V et la rue Didouche Mourad étaient entièrement occupés. Beaucoup de manifestants filmaient la manifestation. «Jamais une marche n’a drainé autant de monde», disait un manifestant au téléphone. Quelques personnalités politiques apparaissent de temps à autre. Des militants de partis politiques sont également là. «Je suis un militant du FFS et je suis là en tant que citoyen», nous dira l’un d’eux. Personne ne veut être accusé de vouloir récupérer.

D’ailleurs, la mission paraît ardue. Les manifestants s’en tiennent aux slogans habituels rejetant le 5e mandat, même si de temps à autre il y a les attaques contre Ouyahia, le FLN ou le fameux slogan «Le peuple veut faire tomber le système». La marche avance difficilement au vu du nombre impressionnant de manifestants. Un peu plus haut que l’église du Sacré-Cœur, des manifestants, notamment des femmes et ceux qui étaient accompagnés de leurs enfants, rebroussaient chemin. L’odeur de lacrymogène commençait à arriver. La fumée de ce gaz était visible dans le ciel. Des jeunes ayant traversé le jardin de la Liberté depuis Télemly nous ont affirmé que la police les a «chargés» au niveau de la rue Krim Belkacem. Comme pour la semaine dernière, les autorités ne veulent pas laisser la foule arriver au palais d’El Mouradia.

La même chose sur Didouche Mourad. Les manifestants, dont la majorité refusaient de s’«accrocher» avec les policiers antiémeute, pour confirmer le caractère pacifique de la marche, redescendent. «Le plus important c’est de marcher et d’exprimer notre position. Il ne sert à rien d’aller vers la Présidence», disait l’un d’eux en direction des jeunes qui voulaient poursuivre la marche. Si le plus gros des manifestants a commencé à quitter les lieux, d’autres sont restés pour tenter de forcer l’accès vers la Présidence. Des échauffourées ont par conséquent éclaté. Mais au-delà de cette fin de journée, il faut dire que la capitale, où les marches sont interdites depuis 2011, a vécu aujourd’hui l’une de ses plus importantes manifestations de rue.

– Des affrontements près de la présidence Les affrontements, qui ont éclaté sur les axes menant vers la présidence de la République, notamment près de l’Ecole des beaux-arts, ont duré quelques dizaines de minutes. Si la majorité des manifestants a commencé à quitter les lieux, à partir de 16h, certains , quelques dizaines, tentaient toujours de parvenir au palais d’El Mouradia. La police antiémeute a fait usage de plusieurs grenades lacrymogènes pour tenter de les disperser. Les gaz ont atteint tous les quartiers limitrophes. Plusieurs blessés sont apparemment à dénombrer. Des informations font même état de quelques cas graves, mais rien n’a pu être confirmé hier en début de soirée. «Ils ont lancé une grenade à bout portant. Elle m’a frôlé. Un jeune a été touché par une autre», nous a indiqué un manifestant. Entre-temps, d’autres affrontements ont éclaté au niveau de la place du 1er Mai où des manifestants voulaient entamer une autre marche. Là encore, des policiers ont lancé des grenades lacrymogènes auxquelles ont riposté des jeunes par des jets de pierres. Les affrontements ont duré quelques quarts d’heures avant que le calme revienne peu à peu. A. A.

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Marches contre le 5e mandat : Une ambiance festive pour une journée historique

Une marée humaine s’est déversée hier sur les rues d’Alger, criant d’une seule voix «Non au 5e mandat !», «L’Algérie est une République, pas un royaume !». Ils ont marché durant des heures sans se soucier du dispositif de sécurité déployé dès la matinée, ni du vrombissement des hélicoptères qui survolaient la capitale. Alger a vécu une journée historique.

Dès la mi-journée, des dizaines de jeunes hissaient l’emblème national et brandissaient des banderoles et des pancartes portant des slogans : «Non au 5e mandat», «Le peuple ne veut ni Bouteflika ni Said», «Libérez le pays de la bande», «Système dégage» «Ouyahia, l’Algérie n’est pas la Syrie». Les policiers dépêchés en très grand nombre dès la matinée tentent de les disperser pour libérer la chaussée, mais en vain. Les premiers tirs de lacrymogène se font entendre.

La foule recule. Pas pour longtemps. Quelques minutes après, elle revient avec les mêmes slogans. Les policiers s’énervent. Ils chargent une seconde fois, sous les applaudissements des manifestants qui scandent : «Le peuple et les policiers khawa khawa (des frères).»Le climat commence à être tendu. Il est 13h passées. Au fur et à mesure d’importants groupes de jeunes rejoignent la place du 1er Mai, sous les coups de sifflets. Ils chantent en chœur : «Ya Bouteflika pas de 5e mandat, ramenez les brigades d’intervention et les forces spéciales.» La foule devient imposante. Elle franchit subitement le cordon de policiers et rejoint une autre foule qui était amassée de l’autre côté de la Place. La marée humaine s’ébranle vers le boulevard Hassiba Ben Bouali.

Dépassés, les policiers se mettent des deux côtés dde la chaussée pour laisser les manifestants marcher. Femmes, enfants, jeunes et moins jeunes, côte à côte, criant haut et fort leur colère. A partir des balcons, des youyous se font entendre et des drapeaux sont étendus. Les habitants d’Alger ne sont pas restés en marge de cette grande manifestation. La troisième après celle du 22 février dernier, celle des étudiants le 26 février, et celle des citoyens le 24 février. «Je me sent concernée. C’est l’avenir de notre pays qui se joue aujourd’hui. Ces jeunes sont magnifiques. Je suis fière d’être algérienne», déclare Ourida, une quinquagénaire, médecin qui habite à Aïn Benian, à l’ouest de la capitale. Enveloppée d’un drapeau, qu’elle embrasse tout le temps, elle distribue aux manifestants des bouteilles de vinaigre qu’elle a ramenés dans son sac.

La foule longe le boulevard Hassiba Ben Bouali, sous les youyous et les chants patriotiques, puis arrive à la Grande Poste, où une masse compacte de personnes chante en chœur : «Le peuple veut faire tomber le régime de la bande», «Ouyahia regarde comment les jeunes sont civilisés», «Les Algérois ne mangent pas du cachir» (en référence aux sandwichs servis à la Coupole aux partisans du 5e mandat). La jonction entre les deux marées humaines se fait sur fond d’acclamations. Des dizaines de milliers de citoyens prennent le chemin de l’avenue Pasteur, alors qu’une foule immense remonte le boulevard Didouche Mourad. Parallèlement, la marée humaine continue sa marche. Des bouteilles d’eau sont lancées des balcons aux manifestants. Entre les habitants et les jeunes en colère, une magnifique synergie s’est opérée.

Mohamed est un non-voyant, l’emblème sur les épaules, la canne à la main, il se fraie un chemin. «Je suis venu de Zéralda. Je n’ai pas peur. Je voulais venir et être là pour mon pays. Je ne vois rien, mais ce que j’entends me donne la chair de poule», nous dit-il. Un peu plu loin, au milieu de la foule, Aïssa, sa femme et ses deux filles ne se soucient même pas de l’odeur suffocante du gaz lacrymogène. «N’aie pas peur», lance-t-il à sa fille adolescente. «Notre pays a été arrosé par le sang des martyrs, quoi qu’ils fassent, il retombera sur ses pieds. Il faut être au côté de notre peuple. C’est fini, la peur a été vaincue», dit-il tout haut, en mettant des grands mouchoirs imbibés de vinaigre sur le nez de ses deux filles.

La grande marche continue. Nous arrivons à la place Audin, où une imposante foule avait pris d’assaut les lieux. Impossible de faire un mouvement ou d’accélérer le pas. Les manifestants remontent vers le boulevard Mohammed V, avec les mêmes slogans et la même ambiance festive. Les sons des sifflets et des acclamations étouffent le vrombissement des hélicoptères qui survolent la ville. Les policiers se sont totalement effacés. Ils sont dépassés par la marée humaine. La marche se poursuit jusqu’au boulevard Télémly, où des milliers de personnes sont déjà sur place. Des citoyens distribuent de l’eau à tout le monde, d’autres ramassent les bouteilles vides des trottoirs. L’odeur des gaz lacrymogènes s’intensifie.

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Algerians march with protest sings reading « peaceful », and « leave means leave » in Arabic, during a rally against ailing President Abdelaziz Bouteflika’s bid for a fifth term in power, in the capital Algiers on March 1, 2019. The demonstrations came a week after tens of thousands of people rallied in the North African state against 81-year-old Bouteflika’s decision to stand in the April 18 election. / AFP / RYAD KRAMDI

Le premier groupe de manifestants atteint les Beaux- Arts, où un dispositif impressionnant de policiers les attend. L’objectif est d’atteindre le palais de la Présidence. Certains manifestants tentent une percée, mais les policiers tirent à coup de gaz lacrymogène. La foule recule, le temps de se remettre, puis revient. Elle reçoit d’autres charges. Le climat est tendu. Des voix demandent aux jeunes de rebrousser chemin. Certains répondent à l’appel, d’autres maintiennent la pression sur les policiers. Une heure après, les manifestants rebroussent chemin et reprennent le boulevard Didouche Mourad avec les mêmes slogans et les mêmes chants. Les épiceries sont assaillies par les jeunes à la recherche du vinaigre et de l’eau, devenus introuvables sur les grandes artères.

La foule revient vers la Grande Poste, puis vers Hassiba Ben Bouali, avant de s’agglutiner à la Place du 1er Mai. Certains ne veulent pas quitter les lieux, poussant les policiers à les disperser à coups de gaz lacrymogène. Il est 17h, les rues d’Alger sont assaillies par des milliers de personnes errant dans tous les sens, alors que la circulation automobile est totalement paralysée. 18h30, des groupes de jeunes étaient toujours à la place du 1er Mai. La deuxième marche du vendredi contre le 5e mandat a été une réussite grâce à ces dizaines de milliers de manifestants mais aussi au sang-froid des policier…

El Watan

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