Performances économiques de la Côte-d’Ivoire entre mythe et réalité: Osons le débat (Justin Katinan Koné)

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Il ne se passe de jour sans que le gouvernement ivoirien ne relève, avec un certain triomphalisme, ses performances économiques. Le vendredi 15 février, sur le perron de l’Elysée, le Chef de l’Etat lui-même a célébré les performances de sa gouvernance économique ; comme toujours depuis 2012. Son Vice-Président et son Premier ministre ne se lassent pas d’affirmer que l’économie ivoirienne se classe parmi les meilleures du monde. Le dernier rapport de la Banque Mondiale (BM) salue la croissance économique ivoirienne, tout en apportant des données qui appellent à une grande prudence. Paradoxalement, le front social est en effervescence, traduisant ainsi un profond malaise social dans tout le pays. Personne, dans la société globale, ne perçoit les retombées des performances vantées ci et là. Les flux migratoires ouest-africains en direction de l’Europe comptent une très forte proportion d’Ivoiriens depuis 2012 ; ils témoignent de ce malaise social. Des observateurs étrangers doutent de l’efficacité de la gouvernance économique du gouvernement ivoirien ; et les critiques émises par les diplomates de l’UE, il y a moins d’un an, ne sont pas passées inaperçues, même si le Chef de l’Etat refuse de leur faire crédit de pertinence au profit de la Banque mondiale et du FMI. Pourtant, l’exercice budgétaire 2017 s’est clos difficilement avec des retentions de trésoreries qui ont occasionné parfois des retards de paiement de salaires dans des services et institutions de l’Etat. Il y a manifestement une contradiction entre les performances économiques annoncées et la réalité économique et sociale. Cette contradiction à elle seule suffit pour ouvrir un débat sur les performances économiques ivoiriennes. Osons donc le débat, dans l’intérêt de la nation, afin de distinguer entre le mythe et la réalité. L’absence de ce genre de débat nous a conduit, dans le passé, dans l’impasse et les conséquences lointaines d’un mythe savamment entretenu ont été dramatiques pour le pays.

Pour ma part, j’affirme que :
le gouvernement ivoirien tire les avantages d’une bonne fortune qu’il n’a pas créée (I) ;
pire, il tire profit de la plus mauvaise des manières (II) ;
toute chose qui compromet gravement l’avenir du pays (III)

I/ Une économie de fortune

Pour juger l’économie d’une nation, les experts ont recours à certains outils universellement admis bien que fortement critiquables quant à leur efficacité. L’on a souvent recours à des notions économiques classiques comme le PIB ou son élargissement au PNB, le Revenu National, la Dépense nationale. Ces agrégats qui sont des ratios, fonctionnent comme le tableau de bord d’un véhicule qui permet au conducteur (les gouvernements) de faire des comparaisons et de prendre des décisions à moyen et long terme. L’expression est lâchée : le long terme. Des notions comme « le développement durable » sont venues donner plus d’importance à la notion de long terme. Il s’en suit qu’une économie performante est celle dont les résultats et les choix permettent de se projeter dans le futur. Cette recherche des résultats sur le long terme rend la science économique incompatible avec tout ce qui relève du hasard. Certes certains aléas peuvent corrompre une prévision même la plus prudente possible ; mais le succès des économies dites développées réside dans le fait qu’elles ont su se détacher de ces aléas au point d’en réduire plus ou moins fortement l’influence. Par exemple, la pluviométrie n’est plus un facteur déterminant dans ces économies alors qu’elle reste encore très influente dans les économies faibles. C’est pourquoi, ces dernières sont qualifiées d’économie de fortune à la différence des économies solides qui, elles, créent la fortune. Les performances actuelles de l’économie ivoirienne relèvent plus d’une bonne fortune, entendu ici au sens d’un concours de circonstances qui ne relève pas de l’action directe et actuelle du gouvernement. Il s’agit de la crise politico-militaire de 1999 à 2011 et surtout du PPTE.

I-1. La croissance trompeuse des années d’après-guerre

Dans nos deux derniers ouvrages, notamment dans, « Economie et Développement en Afrique : la contradiction principale » , nous avons exposé sur le phénomène des croissances trompeuses des années qui suivent une grave crise ou une guerre. Depuis le coup d’Etat de 1999, l’économie ivoirienne est entrée dans une période de forte contraction. En effet, pour des économies qui ne tiennent que par des investissements directs étrangers, la moindre crise politique, qui traduit une certaine instabilité, équivaut à une restriction automatique de la croissance. Les efforts entrepris par le gouvernement issu des élections de 2000 ont été stoppés net par le coup d’Etat de 2002 et la longue crise politico-militaire de 2002 à 2011. Faut-il rappeler qu’en 2002 la Côte d’Ivoire avait renoué avec la croissance économique et que les perspectives s’annonçaient très prometteuses en 2003. Autant dire que ceux qui ont fait le coup de 2002 ont agi en connaissance de cause. Donc, de 1999 à 2011, plus de 12 ans de crises à la fois militaires et politiques provoquées et entretenues par les dirigeants actuels du pays, l’économie ivoirienne a connu une période de destruction. La reconstruction de ce qui a été détruit crée mécaniquement une croissance. Cette croissance est trompeuse car elle demeure toujours relativement en deçà des attentes des populations qui se sont accrues entre-temps. Par exemple, pendant les opérations militaires à Abidjan, en 2011, des cités universitaires ont été détruites. Leur reconstruction ou réhabilitation ont participé à l’évaluation du PIB de l’année de leur reconstruction. Pendant ce temps, la population estudiantine s’est accrue de sorte que l’infrastructure réhabilitée ne correspond plus aux besoins réels de cette population. Même le dernier rapport de la Banque mondiale, pourtant très flatteur pour le gouvernement ivoirien, insiste sur l’insuffisance de cette croissance annihilée par les besoins accrus de la population en expansion. Selon ce rapport, malgré l’enrichissement du pays, la pauvreté ne s’est que faiblement réduite entre 2011 et 2015, le taux de pauvreté passant de 51% en 2011 à 46% en 2015 : le nombre de pauvres est resté le même de 2011 à 2018, soit environ 10 millions 400 mille personnes . C’est pourquoi, une croissance, même légère, qui s’étend de façon régulière sur plusieurs années, est nettement meilleure qu’une croissance mécaniquement créée par des contingences exceptionnelles. Il n’y aucune gloire particulière à tirer d’une telle croissance sauf à nourrir la propagande politique.

Il en va autant des avantages économiques tirés du PPTE.

I-2. L’instrumentalisation abusive des acquis du PPTE

L’annulation de la dette des Pays en voie de développement (PVD), ancienne appellation des pays émergeants d’aujourd’hui, est le fruit d’une longue lutte politique engagée depuis 1976, notamment au sommet des non-Alignés de Colombo. Ce processus s’est accéléré vers la fin des années 80 et le début des années 90 quand le système monétaire et financier a été secoué par les crises de la dette du Brésil, du Mexique et de l’Argentine. La Côte d’Ivoire a failli être forclose n’eût été le courage politique du Président Laurent GBAGBO qui, en 2009 à la veille d’une élection présidentielle cruciale pour lui, a décidé de soumettre le pays sous les conditions draconiennes d’un programme de désendettement. Il convient de rappeler que le programme PPTE, entamé en 1996, prenait fin en 2010. Si le gouvernement ivoirien ne s’y était pas engagé avant cette date, la Côte d’Ivoire aurait été frappée de forclusion. Or, en Afrique, la Côte d’Ivoire faisait partie des pays essentiels visés par ce programme. Elle était bien partie pour achever ce programme en 2000. Le coup d’Etat de 1999 a retardé l’échéance. Après sa victoire en 2000, le gouvernement du FPI a repris le programme qui devrait être bouclé en 2003. Le coup d’Etat de 2002 et la longue crise militaire qui a suivi ont retardé l’échéance. Si le Président Laurent GBAGBO n’avait pas osé en 2009, la Côte d’Ivoire aurait perdu le bénéfice de ce programme. En définitive, alors que la Côte d’Ivoire était la première visée en Afrique par ce programme, elle en sera la dernière, longtemps après des pays comme le Ghana qui a clos son programme avec le point d’achèvement en 2004. Grâce à ce programme, commencé en 2009 et conclu le 30 juin 2012, la Côte d’Ivoire a gagné sur au moins deux points importants :
Primo, en ramenant le stock de la dette au 30 juin 2012 à 30% de son PIB, la Côte d’Ivoire améliorait sa capacité de financement extérieur. Et le gouvernement Ivoirien va en abuser comme nous le verrons plus tard.

Secundo, ce programme a fait bénéficier au gouvernement ivoirien le financement direct de certains travaux d’infrastructures que celui-ci présente comme étant le fruit de son génie managérial. Ces travaux ont effectivement participé à l’amélioration de la croissance économique pendant plus de 5 ans. Cependant, cette croissance n’a pas eu un impact probant sur la pauvreté de la population comme nous le verrons également en infra. Ainsi, grâce au PPTE, depuis 2012, la Côte d’Ivoire a profité de deux C2D d’un montant de 1,750 milliards d’euros (environ 1151 milliards de FCFA) reparti sur deux périodes.

Le premier C2D couvre la période 2012-2015 ; il était de 630 millions d’Euros (413 milliards CFA) et a assuré le financement direct des travaux ci-dessous regroupés en lots :

– Lot 1 : Abobo-pharmacie ; Matenin-carrefour ; Plaque II ; Cash Ivoire ; gare Sotra ; camp commando Abobo.
– Lot 2 : Adjamé avenue Reboul ; Adjamé avenue 13 ; E50 ; école franco-arabe.
– Lot 3 : Yopougon route Azito.
– Lot 4 : Yopougon, points critiques dans la commune de Yopougon quartier lièvre rouge, point critiques du CHU de Yopougon, point critique quartier Maroc.
A ces travaux, il faut ajouter la réhabilitation de certaines infrastructures comme l’université Félix Houphouët Boigny de Cocody.
Le second contrat de l’ordre de 1,125 milliards d’Euros (750 milliards de FCFA) est affecté surtout au prolongement de l’autoroute Yamoussoukro- Bouaké-Ferkessédougou. Comme on peut le constater, les travaux d’envergure qui ont boosté la croissance économique ivoirienne ont été financés, pour l’essentiel, par le produit de PPTE et par les nouvelles dettes contractées.
Dans ces conditions, il vaut mieux avoir le triomphe modeste, surtout que les résultats obtenus restent largement en deçà des attentes, privilégiant souvent le beau et le sensationnel à Abidjan, dans les critères de choix de développement : Entre une ligne de métro et l’autoroute principale du pays, le choix est vite fait par le régime ; 665 milliards de FCFA, (1 milliard d’Euros) sont empruntés juste pour ouvrir une ou deux lignes de métro à Abidjan, pour faire sensation.

II. Des acquis du PPTE trop tôt dilapidés : le retour du péril de la dette

Quel est le montant exact de la dette totale de la Côte d’Ivoire (dette intérieure et dette extérieure) ? Difficile de répondre tant les différentes sources officielles se contredisent sur la question. Le 16 janvier 2017, le directeur de la dette et des dons publics du ministère de l’économie et des finances a affirmé que l’encours de la dette, en fin 2016, était de 9023,2 milliards de FCFA (41,8% du PIB). Echangeant avec les parlementaires membres de la commission des affaires économiques et financières de l’Assemblée nationale, le ministre ivoirien en charge du budget a, quant à lui, informé ses interlocuteurs que l’encours de la dette ivoirienne passerait de 8156,6 milliards à fin 2016 à 8846,7 milliards à fin 2017 (13,5 milliards d’euros). Le premier ministre, quant à lui, reste très prudent. Le 28 janvier 2018, il rassurait les Ivoiriens sur la maitrise de la dette par son gouvernement. Il a, à cette occasion, affirmé que la dette ivoirienne ne représente que 43,2% du PIB sans dire la valeur nominale de ladite dette . Pour lui, ce taux étant largement inférieur au plafond de la zone UEMOA qui est de 70% du PIB, il n’y avait pas péril en la demeure. Or, le dernier rapport de la BM, qui célèbre la croissance économique de la Côte d’Ivoire, révèle que la dette représente 52,6% du PIB de 2018. Ce dernier est évalué, si l’on s’en tient aux statistiques contenues dans le projet de budget pour l’exercice 2019, à environs 27 300 milliards de FCFA. Ce qui donne une valeur nominale de la dette de l’ordre de 14 200 milliards de FCFA (52,6% de 27 300 milliards) contre un stock de 6373 milliards de F CFA en 2012. Il se dégage donc un écart d’environ 6000 milliards entre le montant de la dette selon les autorités ivoiriennes et les estimations faites par la BM. Même dans l’ossature du budget, le gouvernement essaie de jouer avec la réalité de la dette. Lorsque l’on lit le budget, il en ressort que le gouvernement loge parmi les recettes domestiques tous les emprunts obligataires qui sont de loin les plus importants. Le gouvernement opère ainsi, artificiellement, une distinction entre les dettes bilatérales et les emprunts obligataires. Il ne désigne comme dette, dans le budget, que les dettes bilatérales. Pourtant, du point de vue économique et juridique, les emprunts obligataires, comme l’indique leur appellation, constituent bien des dettes qui sont remboursables au même titre que les emprunts bilatéraux. De la dette intérieure, il est rarement question, sinon au détour de discours et lorsque, las d’attendre, le secteur national manifeste son impatience.

La question de la dette ivoirienne doit faire l’objet d’un débat citoyen parce qu’il s’agit d’un intérêt majeur pour le pays. Car la structuration des nouvelles dettes, notamment celles contractées sur le marché international des capitaux (Euro bonds et autres) n’incline pas à espérer leur annulation. En effet, le mécanisme du PPTE a mis du temps pour être accepté par les créanciers.

Dès de le début des années 80, la dette est apparue clairement comme l’obstacle majeur au développement du continent africain. Le service de la dette captait l’essentiel des recettes fiscales des PVD. Ces derniers étaient entrés dans un cycle infernal d’endettement, non pas pour financer leur développement, mais pour faire face au service de la dette. En 1982, au moment où sont imposés les P.A.S. à nos pays africains, le Mexique est entré en situation de cessation de paiement de sa dette. Le monde de la finance découvre que le contrôle du FMI n’est pas suffisant pour mettre un terme à la bulle de la dette. Les autres crises qui ont suivi obligent les créanciers et les institutions monétaires et financières du monde à adopter, en 1996, le programme PPTE. L’objectif visé par ce programme était de diminuer le poids de la dette des pays pauvres de sorte à diriger leurs efforts de financement vers leur développement. Malheureusement, comme en Côte d’Ivoire sous l’actuel régime, le manque d’ingéniosité et l’absence de vision à long terme ont fait consumer, tel un feu de paille, les gains de l’annulation de la dette. Comme dans le cadre de la crise mexicaine et argentine, le mécanisme de financement de la politique de désendettement politique risque de profiter finalement aux économies des pays créanciers.
Précisons le cas de la Côte d’Ivoire. Au 30 juin 2012, lorsque la Côte d’Ivoire concluait son programme PPTE au point d’achèvement, le stock de la dette représentait 48,6% du PIB. Après l’annulation partielle de cette dette, ce ratio est tombé à 30%. A la fin de l’exercice budgétaire 2012, le stock de la dette est monté à 33,38% du PIB et a explosé en 2015 à 52,51%. Le dernier rapport de la BM le situe à 52,6%. Non seulement, relativement au PIB, le niveau d’endettement actuel dépasse de très loin celui de 2011 (48,6% contre 52,6%), mais bien plus, compte tenu de l’augmentation du PIB, la valeur nominale de la dette a pris également l’ascenseur. Pour tout dire, la croissance économique ivoirienne vantée est portée exclusivement par la dette. Deux conséquences se rattachent à cette situation :

Primo, la Côte d’Ivoire est obligée de s’endetter pour soutenir cette croissance dans une logique de la dette qui rembourse la dette.

Secundo, les recettes fiscales, malgré les efforts des administrations fiscales, restent en décalage par rapport au PIB. Ce qui rend ardue maintenant et plus encore, dans un avenir proche, la lutte contre la pauvreté.

Comme l’on peut le relever, tous les acquis du PPTE ont été dilapidés en moins de 8 ans sans que la structure de la production interne n’ait véritablement changé. Toute chose qui compromet l’avenir du pays.

Avec un minimum d’objectivité, on constate que le crédit bancaire continue d’être presque inaccessible aux PME, entreprises majoritaires dans l’économie ivoirienne. Les importations de biens d’équipements se réduisent au fil des ans au profit des biens intermédiaires et biens de consommation ; selon l’agence Ecofin du 18 mars 2018, les importations de biens de consommation ont augmentées de +17,6% tandis que celles des biens intermédiaires et biens d’équipement ont baissé respectivement de 5,7% et 14,5%. La progression des biens de consommation est principalement le fait des biens de consommation non alimentaires (+23,7%) que des produits alimentaires (+8,7%). Sur un autre terrain, celui du déficit budgétaire, on note que celui-ci est supérieur aux 3 % de la norme UEMOA, passant de 2,9% en 2012 à 4,8% en 2017. Or qu’est-ce que le déficit budgétaire ? C’est la situation dans laquelle les recettes de l’Etat (hors emprunt) sont inférieures à ses dépenses (hors remboursement d’emprunt) au cours d’une année. Cela veut dire que l’Etat dépense plus qu’il n’engrange d’argent. C’est comme si la vendeuse d’alloco dépensait deux fois plus qu’elle ne gagnait de l’argent. Dans une telle configuration, elle a deux options : soit elle cesse de vendre (ce qui n’annule pas pour autant ses pertes), soit elle emprunte pour se relancer (ce qui augmente ses dettes). C’est la deuxième option qu’a choisie la Côte d’ivoire en allant sur le marché international pour émettre des euro bonds. Cependant, le montant recueilli constitue une dette en plus du déficit existant. Le futur n’est pas à envier à cause d’une mauvaise politique du régime actuel.

III. Changer maintenant de cap pour éviter le chaos qui s’annonce
Selon le dernier rapport de la BM, sans faire de projection analytique de cette croissance, celle-ci devrait garder son rythme de 7% l’an jusqu’en 2021. Pour sûr, cette croissance restera tirée par la dette et, pour contourner la faiblesse des recettes fiscales, elle est aujourd’hui soutenue par un vaste programme de privatisation. Le gouvernement ivoirien escompte, dans son budget pour l’exercice en cours, des recettes de plus de 100 milliards issues de la vente des parts publiques encore détenues dans les entreprises privées ou parapubliques. Pour la seule société Orange, le gouvernement attend autour de 102 milliards de FCFA. Ainsi donc, l’Etat ivoirien se désengage totalement de la société Orange, acquéreuse, il y a quelques années, de la société d’Etat Côte d’Ivoire Telecom. Alors que l’Etat français continue de détenir encore 23% du capital d’Orange, l’Etat ivoirien lui se désengage totalement de cette société en Côte d’Ivoire, après lui avoir cédé son opérateur téléphonique national. Qui peut comprendre une telle logique surtout que l’entreprise se porte bien. Il en sera ainsi des parts de l’Etat détenues dans 82 entreprises. Pourquoi l’Etat s’attèle-t-il à vendre ses parts dans des sociétés qui sont prospères ? Pour des raisons évidentes de trésorerie. En effet, malgré les grands satisfécits décernés ci et là, l’économie ivoirienne a du mal à générer des recettes fiscales et à être fondée sur des bases propres. La pression fiscale souffre ainsi de deux entorses.

Elle est faible et est mal repartie

Elle est faible parce que les secteurs qui tirent l’économie ivoirienne sont à l’abri de l’impôt. Les LBTP, portés par les travaux de l’Etat, surtout les projets dits prioritaires sont exécutés en dispense de certains impôts et taxes dont, notamment la TVA. L’Etat, ne voulant pas enchérir lesdits travaux par une taxe indirecte, octroie des dispenses de TVA aux concessionnaires desdits travaux. Le mécanisme de la TVA est tel qu’une dispense accordée en amont a une incidence financière pour les fournisseurs de biens et de services en aval. Cette taxe devient une charge financière pour lesdits fournisseurs. Les PME ploient sous le poids de crédits de TVA qui ne leur sont pas remboursés. Tous ces crédits de TVA que l’Etat font partie du stock de la dette. Tous les travaux ci-dessus rappelés supra et ceux qui sont en cours (échangeur de Solibra, travaux d’aménagement du canal de Vridi, 4ème pont, prolongement de l’autoroute etc.) se réalisent suivant ce schéma.

Le mécanisme des C2D, tout en accélérant la reconstruction des infrastructures, ne permet pas de financer le changement de la structure de la production économique. Dans la réalité, le mécanisme de financement de C2D permet un financement extraterritorial de l’économie française. En effet, la dette remise sert à financer les entreprises françaises qui exécutent les travaux dans lesquels sont investies ces remises de dettes.

Les nouvelles dettes contractées servent également à financer les économies extérieures. C’est bien pour cette raison que le retard dans l’exécution des travaux dits « le métro d’Abidjan » peut inquiéter Emmanuel Macron au point de faire l’objet de l’ordre de jour de la dernière rencontre entre lui et le Chef de l’Etat ivoirien. Les grands travaux ont fait leur preuve dans la résolution de crises économiques sous d’autres cieux parce que, là-bas, ces travaux ont été entièrement réalisés par les entreprises locales. L’effet d’induction de ces travaux a été tel que les économies de ces pays, qui étaient en léthargie, se sont nettement améliorées grâce, entre autres, à la consommation consécutive à la résorption du chômage. La consommation a tiré les secteurs de production des biens et des services, ainsi de suite. Les recettes fiscales se sont améliorées et l’impôt a joué son rôle premier de péréquation de la richesse nationale. Dans le schéma ivoirien, les grands travaux sont réalisés par des entreprises étrangères ou par des entreprises qui appartiennent aux membres du clan qui gouverne en franchise de taxes et impôts. Dans ces conditions, il y a certes croissance, mais elle est inefficace pour bâtir une économie solide qui profite à tous. C’est pourquoi, malgré ses performances, l’indice de développement humain reste l’un des plus faibles du Continent, loin derrière des pays comme le Ghana.
Le mécanisme de financement des travaux publics ivoirien rend difficile la compétition. Le rapport 2019 de la BM l’indique clairement : « Malgré un rattrapage amorcé depuis 2012, la productivité des travailleurs ivoiriens plafonne à son niveau de 1995 et est inférieure d’environ 20 à 30% à celle observée dans les pays émergents. De tels gains de productivité permettraient d’accompagner le phénomène d’accumulation des facteurs de production ». Non seulement certains partenaires étrangers ou nationaux sont structurellement, familialement ou amicalement privilégiés, mais le régime actuel n’a pas dépassé le niveau de productivité atteint par notre pays en 1995, c’est-à-dire il y a 25 ans !!!. C’est pourquoi, malgré les satisfécits, la Côte d’Ivoire reste très loin des premières destinations des investissements directs étrangers. Selon plusieurs sources crédibles, la Côte d’Ivoire s’est classée dans l’avant dernière catégorie des pays qui reçoivent le plus d’IDE. Africa « Developping Economies », par exemple, place l’Egypte, le Nigéria, l’Ethiopie, et le Ghana en tête ; suivis du Mozambique et du Maroc. Les IDE de ce dernier se sont accrus d’environ 23% en 2017 . Au passage il convient de relever que les pays des zones CFA sont parmi les pires destinations. Il est ainsi difficile de soutenir la propagande d’un CFA qui rassure les investisseurs.

La faible pression fiscale, l’une des plus faibles de la zone CEDEAO, illustre parfaitement la faiblesse de l’économie ivoirienne qui n’offre pas une assiette large pour le prélèvement de l’impôt. Mais, plus grave, la désarticulation de la production économique est telle que, bien qu’en moyenne elle soit faible, la pression fiscale est lourdement ressentie par une partie des citoyens ou par certains secteurs d’activités. L’analyse de l’annexe fiscale de la loi de finances de 2019 permet de relever facilement les difficultés des administrations fiscales ivoiriennes. Elles ont des marges de manœuvre très minces. Il en sera ainsi, aussi longtemps que l’économie ivoirienne ne sera pas repensée. C’est ce que tout le monde attendait du gouvernement ivoirien qui a bénéficié de circonstances heureuses exceptionnelles ci-dessus relevées. Le gouvernement aurait dû en profiter pour entreprendre, par exemple, une réforme audacieuse du foncier, rompant ainsi avec le droit foncier colonial. Cette réforme est indispensable pour une modernisation de l’agriculture. Il aurait pu entreprendre une réforme du système bancaire pour le tourner vers le financement de l’économie et pas seulement certains secteurs comme c’est le cas aujourd’hui. Il urge de redéfinir la politique de l’endettement. Il est aussi important d’exercer une plus grande souveraineté sur la gestion de nos matières premières agricoles, énergétiques et minières dans le sens d’une transformation locale, la seule qui crée vraiment une richesse solide et bénéfique aux population etc. Comme démontrer dans mon dernier livre « Economie et Développement en Afrique : la contradiction principale », je reste convaincu que la Souveraineté conditionne le succès économique.

Malgré les satisfaction et auto satisfaction, l’économie ivoirienne ne rassure pas. L’avenir pourrait être très difficile si l’on ne corrige pas maintenant le tire. Dans 10 ans, certains acteurs ne seront pas là, mais le pays risque de souffrir pour longtemps de leurs choix, comme ce fut le cas après les chocs pétroliers des années 70. Une économie construite sur un endettement, en devise de surcroit, est une hypothèque énorme qui pèse sur le pays. En toile de fond, ce qui se passe en Côte d’Ivoire pose une autre problématique : Qu’est le développement ? c’est à cette question que les Africains doivent se répondre. La prochaine publication abordera cette question.

Ancien Ministre Justin Katinan KONE
Vice-Président du FPI chargé de l’économie et de la finance internationale
Premier Vice-Président de l’EDS chargé de la planification et de la politique générale.

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