La hausse des tarifs des transactions mobile money, désormais effective, suscite une vive polémique renforcée par les divergences entre l’administration fiscale et les entreprises concernées (Orange money, MTN money et Moov money), toutes filiales des sociétés de téléphonie mobile. Pour une meilleure compréhension, Minutes Eco a rencontré le directeur exécutif de l’Union des entreprises de téléphonie de Côte d’Ivoire (UNETEL), Gertrude Koné Kouassi, qui clarifie dans cet entretien les positions de la corporation. Elle dénonce la transposition des taxes du secteur de la téléphonie sur des Entreprises émettrices de monnaie électronique (EME), reversées dans le secteur financier par une disposition de la BCEAO. Exclusif.
Minutes-eco. par Emmanuel Akani
L’UNETEL accuse l’administration fiscale d’être à la base de la hausse des tarifs
La hausse de 7,2% des tarifs des transferts d’argent par mobile monnaie suscite de l’indignation. Comment êtes-vous arrivés à ce chiffre alors qu’il est évoqué dans l’annexe fiscale une taxe de 3% ?
Avant de répondre à cette question, il convient de faire quelques précisions. D’abord l’administration fiscale a annoncé par voie de presse que la taxe de 3% avait été supprimée. Ensuite, ce ne sont pas les entreprises émettrices de monnaie électronique qui ont décidé subitement d’une hausse des tarifs des services de mobile money. C’est bien l’administration, à travers l’annexe fiscale, qui fait une extension de taxes aux entreprises de mobile money. Il s’agit, en l’occurrence, d’un ensemble de taxes spécifiques aux entreprises de télécoms et dont le montant cumulé fait 7,2%. A savoir la taxe des télécommunications (5% du chiffre d’affaire hors taxe), la taxe sur le développement des NTIC (2%) et la taxe sur le soutien à la création artistique (0,2%). Ce sont, notons-le bien, des taxes propres, comme l’a dit le législateur, aux entreprises qui interviennent dans le secteur télécoms, notamment celui de la téléphonie. L’entreprise émettrice de monnaie électronique (EME) n’est pas une entreprise de télécoms et n’utilise simplement que pour support le téléphone mobile. Il paraît donc étonnant que les taxes du secteur de la téléphonie soient reversées sur ce secteur qui, par une disposition de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), est dans le secteur financier.
Au début, c’est-à-dire avant 2015, l’activité de mobile monnaie a été développée avec le support technique des entreprises de téléphonie mobile. Elle était donc incluse dans le chiffre d’affaires des entreprises de télécoms et, de facto, subissait toutes ces taxes. Mais avec le développement du mobile money et son impact sur le secteur financier, la BCEAO a voulu mieux organiser ce secteur et a décidé que ces entreprises soient régies d’une manière particulière. Elles sont donc aujourd’hui dans le secteur financier, avec un statut juridique particulier, sous l’instruction BCEAO n°008-05-2015 du 21 mai 2015. C’est cette disposition qui régit les conditions et modalités d’exercice des activités des émetteurs de monnaie électronique dans tous les Etats membres de l’UMOA. Ce n’est donc pas une disposition propre à la Côte d’Ivoire. Alors, si l’activité de mobile money est passée dans le secteur financier, elle ne saurait continuer d’avoir la même taxation que les entreprises de télécoms. L’activité subissait cette taxation tout simplement parce qu’elle était amalgamée avec le chiffre d’affaires des opérateurs télécoms. Une fois que la BCEAO a pris cette disposition, il appartenait aux entreprises de téléphonie de s’y conformer en créant des EME. Il n’y a donc pas de confusion à faire entre les entreprises de télécoms et les EME.
L’Etat considère qu’il perd quelque chose avec la création des EME. Cela n’est-il pas vrai ?
Possible, mais si c’est le cas, ce n’est pas du fait des opérateurs de télécoms, qui ne font que se conformer à la réglementation. On ne peut pas dire que les opérateurs ont voulu aller d’une manière ou d’une autre en contradiction avec les dispositions fiscales, et donc faire de l’incivisme fiscal. Si la décision de la BCEAO a eu pour effet une perte de revenus pour l’administration fiscale, il lui revient de s’adresser au véritable responsable de cette situation et non de s’en prendre aux opérateurs. Enfin, il faut savoir que l’activité de mobile money n’est pas du tout exonérée de taxes comme on donne à le croire. Elle est soumise à diverses taxes dont la TVA par exemple.
Doit-on penser qu’il y a un acharnement sur les entreprises de téléphonie mobile ?
Avancer en tout cas que les opérateurs télécoms ont voulu faire de l’optimisation fiscale en ne continuant pas d’appliquer ces taxes sur l’activité de mobile money, c’est faire fausse route. Il n’y a jamais eu de volonté de soustraire des revenus aux fiscs. La preuve, le secteur de la téléphonie est l’un des plus lourdement fiscalisé en Côte d’Ivoire. La pression fiscale est énorme sur ce secteur d’activité, qui est le seul en Côte d’Ivoire qui paie par exemple 30% de BIC et non 25% comme tout le monde. Il y a énormément de taxes sur ce secteur et les opérateurs s’en sont toujours acquittés.
Par ailleurs, il est difficilement compréhensible que ce soit les seules entreprises créées par les opérateurs télécoms qui semblent concernées par ces dispositions. Quand vous lisez l’exposé des motifs de l’article 14 de l’annexe fiscal, il est clairement spécifié que c’est pour corriger « cette volonté d’optimisation fiscale des entreprises de téléphonie mobile. ». Et pourtant aujourd’hui, les services de transfert d’argent par téléphone mobile ne sont pas exercés par les seules EME créées par les opérateurs télécoms ; il y a également des institutions bancaires et d’autres entreprises de la place qui le font. Sont-elles concernées par cette disposition ? Il semblerait que non. Dans ce cas, il y a manifestement un problème d’équité fiscale. Est-ce une volonté de fausser le jeu de la concurrence ? On pourrait ainsi se poser de nombreuses autres questions mais nous ne doutons de la bonne volonté de l’administration fiscale.
La DGI juge pourtant illégale la répercussion des taxes sur les consommateurs et accuse les entreprises d’aller contre la politique de l’Etat qui est de faire du social. Que répondez-vous ?
On ne peut que se réjouir de la volonté de l’Etat de faire du social. D’ailleurs, les entreprises télécoms, pleinement conscientes de leur responsabilité sociétale, sont celles qui font le plus de social en Côte d’Ivoire en apportant un soutien financier important et régulier à la culture, à l’éducation, au sport, à la santé, etc.
Mais est-ce qu’on peut considérer comme pratique illégale pour une entreprise, celle qui consiste à faire la tarification de ses services en appliquant les normes comptables standards, c’est-à-dire en respectant une certaine orthodoxie financière légalement appliquée par tous ? Voici la question qu’il faut se poser. Vous êtes une entreprise, vous réalisez un chiffre d’affaires, vous avez des taxes à la consommation qui vous sont appliquées, que ferez-vous ? Dans le calcul du prix final de votre article ou de votre service, il est clair que vous prendrez en compte ces taxes. Alors, d’un côté vous devez payer plus de taxes et de l’autre, on vous demande de ne pas chercher à préserver votre équilibre financier, vos revenus ni même vos emplois ! Il est clair que si vos charges s’alourdissent, votre marge se réduit. Dans un cas pareil, qu’est-ce qu’une entreprise a comme possibilité pour s’en sortir ? Il faut bien que l’entreprise établisse son équilibre financier. Le faire, est-ce illégal ? C’est là tout le problème aujourd’hui.
Dès qu’il y a une hausse aussi minime soit-elle du prix du carburant à la pompe, les coûts du transport sont multipliés par deux, trois ou par quatre. Bien au-delà de la hausse qu’il y a eue. Est-on jamais intervenu pour dire que c’est illégal ? Je me pose la question. Comparaison n’est pas raison, mais toutes les entreprises sont à la recherche de leur équilibre financier. Elles cherchent à préserver leur équilibre financier et les emplois qu’elles génèrent. A ce niveau, il ne s’agit pas de voir le seul impact qu’il pourrait y avoir sur l’activité des EME, mais comprendre que tous les acteurs de la chaîne de valeur du mobile money, ceux qui vivent directement ou indirectement de l’activité du mobile money, seront également touchés de manière négative.
Quel peut être l’impact, en des termes chiffrés, de ces taxes sur ces entreprises ?
Je n’ai pas la réponse à cette question. Ce sont les directeurs généraux des maisons de mobile money qui pourront y répondre. Mais au-delà des chiffres, je souhaiterais qu’on ramène l’intérêt à ce qui est le plus réel : le développement humain et celui de toute la société dans laquelle nous évoluons. Aujourd’hui on sait ce que le mobile money a apporté à la société dans laquelle nous vivons. : facilitation des transactions, sécurisation, rapidité, etc. Mais ce qui a fait le succès du mobile money, ce sont surtout les coûts.
Pensez-vous que si les coûts augmentent ça va aller dans le sens de faciliter la vie des populations et de développer l’activité économique comme nous le voyons ?
Est-ce que le mobile money va continuer de faciliter nos transactions et permettre d’aller plus loin en termes d’économie numérique ? Nous voulons la transformation digitale de nos entreprises mais il faut savoir que le pendant de cette décision c’est, d’une part la dématérialisation de certains processus-métiers de l’entreprise, et d’autre part les transactions financières facilitées par la voie électronique.
Le renchérissement des coûts ne risque-t-il pas de décourager les consommateurs et les détourner du mobile money ?
Il y aura certainement un ralentissement des transactions. Toutefois, au-delà du découragement, il faut plutôt voir quel sera l’impact sur l’inclusion financière. Le mobile s’est imposé comme étant un des instruments clés pour faciliter la bancarisation des populations. Il est clair que cela aura un impact négatif sur la bancarisation et par conséquent l’inclusion financière des populations. Conscients de cet état de fait, l’UNETEL, sitôt informée des nouvelles mesures fiscales à l’encontre du mobile money, et avant le vote de l’annexe fiscale par l’assemblée nationale, a interpellé par courrier l’administration, l’Assemblée nationale, le Comité national de lutte contre la vie chère, certaines associations de consommateurs, etc. Même la BCEAO a été saisie. Mais nous n’avons eu aucune réponse. C’est lorsque le communiqué de l’UNETEL relatif à une hausse prévisionnelle des tarifs des transactions de mobile money a été diffusé dans la presse écrite qu’une fédération de consommateurs (Fédération des Consommateurs Le Réveil) nous a contactés et pour chercher à comprendre le problème.
La répercussion va donc se faire. Vous maintenez ?
Oui. La répercussion sera faite mais nous rassurons que ce ne sera pas une raison pour augmenter de manière excessive les tarifs. Il y aura une répercussion proportionnelle. Ce ne sera donc pas l’occasion de multiplier par trois les coûts des services de mobile money. Les EME ne s’inscrivent pas du tout dans cette dynamique.
Croyez-moi, ce n’est pas de gaieté de cour que ces entreprises procèdent à une hausse des tarifs des transactions mobile money. C’est une des conséquences logiques de la taxation de ces services. Les opérateurs Télécoms et les EME sont ouverts à la discussion, dans le cadre d’un dialogue constructif. Aussi ont-ils été très surpris de la réaction de la DGI à l’annonce faite par l’UNETEL en vue d’informer les consommateurs, dans un souci de transparence certes, mais également et surtout pour ne pas faire une augmentation inopinée des tarifs, du jour au lendemain.
Depuis la sortie du DG des impôts, avez-vous pris langue avec l’administration pour tenter de concilier les positions ?
Ecoutez, l’annexe fiscale a été votée au niveau de l’Assemblée nationale. Nul n’est censé ignorer la loi, dit-on. Vous êtes une entreprise concernée, qu’est-ce que vous faites ?
Vous appliquez la loi. C’est ce que nous faisons. Vous rendez-vous compte que l’annexe fiscale est entrée en vigueur depuis le 1er janvier ? Et pourtant, aucune hausse tarifaire n’a été appliquée jusque-là (NDLR : le 17 février). Cela parce que les EME essayent de voir dans quelle mesure faire payer le moins possible les montants aux consommateurs.
Une hausse en dessous du taux de 7,2% est-elle envisageable ?
Non. Ce n’est pas possible. C’est une question de calcul économique. Si vos charges augmentent du fait des taxes, c’est de manière proportionnelle que vous faites la répercussion sur les coûts de sorte à maintenir votre équilibre financier. C’est un calcul économique simple qui est appliqué par tous en pareille circonstance, quelle que soit l’entreprise, dans n’importe quel domaine. Nous sommes dans cette logique simple ; nous intervenons sur les tarifs selon des normes comptables admises par tous.
L’UNETEL fait partie du Patronat, à travers la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI). Vu qu’il y a eu des rencontres entre l’administration fiscale et le patronat qui avance que l’annexe fiscale 2019 est consensuelle, que s’est-il passé pour qu’en arrive à cette situation ?
Il est vrai que nous avons participé aux discussions que le Patronat a eues avec la DGI dans le cadre de l’élaboration de l’annexe fiscale 2019. Mais je peux vous assurer qu’il n’y a à aucun moment été question de la fiscalité des EME. Nous avons fait des propositions en tant que secteur des télécoms, la CGECI a appuyé nos positions mais ce point concernant l’extension des taxes du secteur des télécoms aux EME n’a jamais été abordé. La où nous attendions des mesures visant à réduire la pression fiscale sur le secteur des Télécoms, et nous avons été fort surpris de ces décisions sur les EME.
Une des hypothèses émises par le cabinet Deloitte lors d’une présentation de l’annexe fiscale, en janvier dernier, c’était que les entreprises décident de supporter entièrement ces taxes si celles-ci n’impactaient pas lourdement leurs chiffres d’affaires. Avez-vous examiné une telle option ?
Vous parlez bien d’une hypothèse ! L’équation est difficile. Vous préférez peut-être que les EME laissent leurs charges s’accroître et que cela se traduise par une compression des charges au niveau du personnel ou en fermant certains points de vente. Au regard des chiffres sur les transactions, « environ 6000 milliards pour le mobile money en 2017 », on se dit que les EME gagnent beaucoup d’argent. Mais ces chiffres concernent uniquement les transactions, les flux d’échanges entre les consommateurs. Ils ne correspondent pas du tout à ce que gagne l’entreprise. Celle-ci ne gagne que ses marges sur les commissions dont tout le monde connaît la modicité. Ce sont des sommes relativement faibles qui sont partagées entre l’EME et ses partenaires techniques et commerciaux. Il est opportun de rappeler que ce qui a fait le succès du mobile money, ce sont les commissions peu élevées qui sont appliquées. Alors vous demandez de réduire ces commissions des entreprises émettrices de monnaie électronique, la part qui revient aux distributeurs et par ricochet celle de celui qui est dans la cabine pour faire le rechargement de mobile money par exemple? Mais quel mieux-être voulez-vous pour ces petits opérateurs économiques et pour le consommateur en bout de chaîne ? Cela est important car quand on demande aux EME de supporter les charges, cela revient à leur intimer de réduire leurs marges et partant celles de tous leurs partenaires.
Interview réalisée par Emmanuel Akani
Commentaires Facebook