Laurent Gbagbo est libre mais assigné à résidence en Europe
Par Fanny Pigeaud – Mediapart
Quinze jours après avoir été acquittés par la Cour pénale internationale (CPI), l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et son ministre de la jeunesse Charles Blé Goudé, ont été finalement libérés vendredi soir, mais avec des conditions équivalant à celles d’une assignation à résidence. Ils vont devoir, entre autres, demeurer dans un pays européen, en attendant une éventuelle procédure en appel. C’est la chambre d’appel de la CPI qui a pris cette décision, inédite dans l’histoire de la justice internationale. Elle avait suspendu, le 16 janvier au soir, leur remise en liberté, après une requête déposée par la procureure, Fatou Bensouda.
Sortis vendredi en fin d’après-midi de la prison de Scheveningen de La Haye, siège de la CPI, Laurent Gbagbo, 73 ans, et Charles Blé Goudé, 47 ans, ont été conduits séparément dans une résidence de transit sur le territoire hollandais. Ils doivent y rester en attendant l’accomplissement des formalités administratives avec les États qui doivent les accueillir.
Laurent Gbagbo, qui aura passé plus de sept ans en détention provisoire, devrait rejoindre la Belgique, où sa deuxième épouse réside depuis son incarcération. Charles Blé Goudé, qui a fait près de cinq ans en préventive, n’est pas encore fixé sur son futur pays d’accueil – la Belgique a refusé sa demande.
Samedi matin, des amis parisiens de Laurent Gbagbo avaient déjà pu lui parler par téléphone. « Je viens de passer ma première nuit d’homme libre », a dit l’ancien chef d’État à l’un d’eux, Guy Labertit, chez qui il a habité pendant plusieurs années lorsqu’il était en exil en France, entre 1982 et 1988. Guy Labertit était devenu par la suite délégué national à l’Afrique du Parti socialiste.
Parmi les autres conditions imposées par la chambre d’appel figure l’obligation pour les deux acquittés de rendre leurs passeports et autres documents d’identité au greffe de la CPI. Ils ne pourront par ailleurs pas « voyager au-delà des limites territoriales de la municipalité de l’État d’accueil sans une autorisation préalable et explicite » de la CPI, ne pourront pas s’exprimer publiquement sur leur « affaire », devront se signaler chaque semaine auprès des autorités judiciaires et policières de leur pays d’accueil.
On peine à trouver dans l’histoire des juridictions nationales et internationales d’autres cas de personnes acquittées, dont la libération immédiate a été ordonnée à deux reprises en 48 heures, qui ont été malgré tout maintenues en détention dans des conditions légales douteuses, avant de se voir finalement accorder une liberté de mouvements restreinte.
Les deux hommes étaient poursuivis pour « crimes contre l’humanité », présumés avoir été commis pendant la crise post-électorale de 2010-2011 en Côte d’Ivoire, au cours de laquelle 3 000 personnes ont été tuées, selon un chiffre officiel.
Invoquant la « faiblesse exceptionnelle » de la preuve de la procureure, les juges de la chambre de première instance ont décidé de les acquitter après avoir entendu les 82 témoins de l’accusation et renoncé à auditionner ceux de la défense. Fatou Bensouda n’a pas prouvé l’existence d’un « plan commun » visant à maintenir à tout prix Laurent Gbagbo au pouvoir en 2011. Mediapart avait pour sa part démontré que la procédure engagée, en 2011, contre Laurent Gbagbo était le résultat d’un montage politique conçu par la diplomatie française, l’actuel président de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, et le procureur de la CPI de l’époque, Luis Moreno Ocampo.
C’est en vertu de l’article 83.3.c du Statut de Rome, texte fondateur de la CPI, que Fatou Bensouda a saisi, après avoir annoncé son intention de faire appel de la décision d’acquittement, la chambre d’appel pour s’opposer à la libération immédiate des deux Ivoiriens. Selon cet article, une personne acquittée doit être remise immédiatement en liberté, mais « dans des circonstances exceptionnelles, et en fonction, notamment, du risque d’évasion, de la gravité de l’infraction et des chances de voir l’appel aboutir, la chambre de première instance peut, à la demande du procureur, ordonner le maintien en détention de l’accusé pendant la procédure d’appel. »
« Il est impossible de limiter la liberté d’une personne reconnue innocente », a entre autres fait valoir l’avocat principal de l’ex-président, Emmanuel Altit, lors de l’audience convoquée par la chambre d’appel, ce 1er février. Celui de Charles Blé Goudé, Geert-Jan Alexander Knoops, a indiqué qu’il n’y avait jamais eu de cas de libération sous conditions après un acquittement devant des juridictions internationales. Il a souligné que non seulement la notion de « circonstances exceptionnelles » avancée par Fatou Bensouda était floue, mais que la procureure n’en avait donné aucune interprétation précise. « Lorsqu’il y a ambiguïté dans les statuts, toute interprétation doit se faire en faveur de la personne qui a été acquittée », a-t-il plaidé.
Les juges ont donc choisi une libération sous forme d’assignation à résidence, aussitôt interprétée par de nombreux observateurs et Ivoiriens comme étant une décision politique visant à empêcher Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé de rentrer en Côte d’Ivoire.
Selon plusieurs sources, il y a eu, entre le 15 janvier et le 1er février, de fortes pressions pour pousser la CPI à aller dans ce sens, venues notamment de Côte d’Ivoire et du Maroc – le roi du Maroc est proche de l’actuel pouvoir ivoirien et possède de nombreux intérêts en Côte-d’Ivoire.
Dans ce laps de temps, des représentants de l’Etat ivoirien ont par ailleurs été informés de décisions concernant, entre autres, Charles Blé Goudé, bien avant que son équipe de défense soit mise à son tour au courant, selon une source proche de cette dernière.
Il n’est même pas certain qu’il y aura une procédure d’appel de la décision d’acquittement. Vendredi soir, Fatou Bensouda a publié un communiqué indiquant qu’elle attendait que les juges de la chambre de première instance communiquent par écrit leurs motivations juridiques pour la mesure d’acquittement – ils ne sont pour l’instant exprimés que de manière orale. « Ce n’est qu’après un examen et une analyse approfondis de ces motifs que mon bureau va décider ou non d’interjeter appel », a-t-elle ajouté.
Des ONG internationales de défense des droits de l’homme – dont les rapports ont été utilisés par Fatou Bensouda pour constituer son dossier d’accusation – ont affirmé que la décision d’acquittement de Laurent Gbagbo consacrait « une impunité totale » pour les crimes perpétrés en Côte d’Ivoire. Mais comme l’a relevé dans un entretien récent une juge de la CPI, Chris Van den Wyngaert, personne n’a nié que des faits très graves aient été commis de part et d’autre dans le contexte de guerre qui a prévalu en Côte d’Ivoire. Simplement, Fatou Bensouda n’a pas apporté la preuve que ces violations graves des droits de l’homme constituaient également des crimes contre l’humanité et que Laurent Gbagbo en était responsable.
Rappelons que pour prouver la commission de crimes contre l’humanité, il faut établir qu’une politique a été mise en place pour attaquer une population civile, de manière systématique et généralisée.
Trop nulle cette femme! Pendant 7 ans vous n’avez pas pu apporter de preuves!