Intervenant : Dr Arsène Désiré NENE BI, Président APDH
Excellence Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs les membres du Gouvernement,
Chers collègues de la Société Civile,
Distingués invités,
I. CIVILITES ET GRATITUDE
Permettez-moi, à l’entame de mon intervention de dire merci au Président de la République d’avoir pris la décision non seulement de réformer la Commission Electorale Indépendante de Côte d’Ivoire mais de la réformer suivant la décision de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples en date du 18 novembre 2016.
Nous lui sommes également reconnaissant de nous avoir convié à ces discussions sur la réforme qui a cristallisé ces derniers temps le débat politique.
II- REPONSES A QUELQUES INSINUATIONS
Excellence Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs,
La question de la réforme de la Commission Electorale Indépendante a été constamment portée depuis 2014 par l’APDH.
Cela a suscité quelques questions voir des insinuations, qui méritent que j’y apporte quelques clarifications avant de poursuivre mon propos.
Au sortir de la crise post-électorale qui a fait officiellement 3000 morts et dans la conduite de la justice transitionnelle ouverte en Côte d’Ivoire, les défenseurs des droits humains attendaient que soient menées une série de réformes législatives et institutionnelles pour assurer le droit à la garantie de non-répétition des violations des droits de l’homme générées par la crise post-électorale. Ce droit à la garantie de non répétition qui est un droit reconnu aux victimes, implique entre autres, l’adoption de réformes juridiques et institutionnelles majeures au niveau du Conseil Constitutionnel et de la Commission Electorale Indépendante au regard de leur rôle respectif dans le processus électoral.
Malheureusement et c’est notre avis, le gouvernement, en accord avec la classe politique a reconduit de façon consensuelle la nomenclature de la CEI avec la loi de 2014. C’est cette loi que nous avons déférée devant la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples car pour nous ce consensus était contraire aux prévisions de l’article 17 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.
Nous l’avons fait à cette date et pas avant pour les raisons suivantes :
– Premièrement, l’Etat de Côte d’Ivoire a ratifié en 2013 la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance dont l’article 17 impose aux Etats Parties de mettre en place des organes électoraux indépendants et impartiaux.
Cela signifie que cet instrument pertinent n’aurait pas pu être invoqué contre l’Etat de Côte d’Ivoire avant 2013 ;
– Deuxièmement, l’Etat de Côte d’Ivoire a déposé le 26 juillet 2013 sa déclaration de reconnaissance de la compétence de la Cour émanant des individus et des ONG ayant le statut d’observateur ;
– Troisièmement et enfin, l’APDH a obtenu le statut d’observateur auprès de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples en Avril 2013.
Toutes ces conditions réunies, ont permis à l’APDH de saisir la Cour et d’obtenir, heureusement, l’arrêt qui selon le chef de l’Etat devra servir de boussole à la réforme.
C’est le lieu pour moi d’affirmer ici que l’action de l’APDH n’est pas dirigée contre le Gouvernement.
L’APDH est une organisation citoyenne dont la vocation est de porter des causes pouvant aider à améliorer la situation des droits de l’homme en Côte d’Ivoire.
Les élections en Côte d’Ivoire sont toujours un moment de tensions, de confrontations, de violences et de morts qui ne peut laisser indifférent les organisations de défenses des droits de l’homme en raison des graves violations des droits de l’homme qu’elles induisent.
III- POURQUOI DEVONS-NOUS EXECUTER CET ARRET ?
Excellence Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs,
J’ai commencé mon propos en félicitant le Chef de l’Etat d’avoir fait référence à l’arrêt de la CADHP, la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
Pourquoi, l’Etat de Côte d’Ivoire doit-il exécuter cet arrêt ?
– La première raison est que la Côte d’Ivoire se veut un Etat de droit, ce qui suppose qu’il est soumis volontairement aux droits qu’il s’est librement donnés et aux traités internationaux qu’elle a régulièrement ratifiés.
En consultant quelques sites, nous pouvons noter que d’autres pays font l’objet de condamnation par les Cours de droits de l’homme des différents continents et les arrêts sont exécutés sans difficultés.
En décidant donc d’exécuter l’arrêt du 18 novembre 2016, notre pays se hisse au rang des Etats modernes.
– La deuxième raison et la plus importante est que les observateurs s’accordent à dire que notre Commission a une part de responsabilité dans les évènements de 2010.
Ainsi, dans le rapport du projet de suivi de la Gouvernance en Afrique de l’Ouest mené par Open Society for West Africa sur la Côte d’Ivoire, les Experts ont conclu comme suit :
« L’identité politiquement affirmée de ses principaux animateurs laissait entrevoir des difficultés de fonctionnement et l’élection présidentielle de 2010 a fini par révéler l’absence d’indépendance de ses membres à l’égard des pouvoirs constitués. Les querelles intra- partisanes ont nourri, à l’occasion, le positionnement des principaux membres de la structure vis-à-vis de l’ensemble des différentes opérations du processus électoral. Cela a eu pour conséquences manifestes les blocages organisés dans le recensement des votes, l’opposition à la proclamation officielle et la contestation des résultats officiels par des membres de la CEI.» .
Que dire en définitive sur la question centrale qui nous réunit en ce lieu ?
IV- LE DEFI DE LA CONSTRUCTION D’UNE CEI INDEPENDANTE
Excellence Monsieur le Premier Ministre,
S’agissant du point particulier de la composition de la CEI, on a déjà tout essayé avec une CEI composée de représentants de partis politiques. Le concours pour devenir Président de la République est ainsi le seul concours public de la nation où les candidats sont en même temps arbitres. Les jeunes Ivoiriens qui se présentent aux concours de l’ENA, de la gendarmerie et autres n’ont pas ce loisir de choisir les membres du jury. L’ASEC et l’AFRICA n’ont pas cette chance de choisir l’arbitre qui officie leur derby. Pourquoi doit-il en être autrement pour le concours et le match suprême de la nation ? L’organisation que je dirige pense que le moment est venu de changer totalement de paradigme et de bâtir une CEI d’hommes et de femmes de la société civile ivoirienne, reconnus pour leur intégrité et leur stature morale. Le moment venu, l’APDH apportera sa modeste contribution au débat sur le type d’institution électorale qui nous semble être à même de créer la confiance autour des élections. Bien sûr, nos propositions seront adossées aux notions d’indépendance et d’impartialité contenus dans l’article 17 de la Charte Africaine de la Démocratie, des élections et de la Gouvernance qui a servi de fondement à l’arrêt de la Cour.
En effet, nous pensons qu’une bonne réforme de la CEI entrainera corrélativement la résolution de plusieurs questions notamment, la mise à jour de la liste électorale, le découpage électoral, la sécurisation de l’environnement électoral…
Excellence Monsieur le Premier ministre,
Dans le cadre de cette réforme, nous vous prions d’aller au-delà de la seule question de la composition de la CEI, pour laquelle nous vous transmettrons en temps utile, nos propositions dont l’un des points innovants est le recours aux experts internationaux ivoiriens ayant fait leurs preuves en matière électorale dans des pays comme la centrafrique, le cameroun, Haiti…
Nous proposons que le pouvoir politique, qui a en charge la direction de l’Etat intègre dans son agenda et au menu de ces différentes concertations, d’abord la nécessité d’avoir un découpage électoral juste et égal qui ne lèse aucune composante sociologique, démographique ou géographique de l’Etat.
Ensuite, nous plaidons également pour l’adoption d’une législation claire, juste et opérationnelle tant en ce qui concerne la campagne électorale, que le déroulement du scrutin jusqu’à la proclamation des résultats afin d’en mieux garantir la sincérité et la régularité.
Enfin et surtout, il nous semble opportun que soit assurées la formation et l’éducation des électeurs, des candidats, des agents électoraux, des autorités administratives et politiques en matière électorale, politique, juridique, de respect des droits de l’homme et du citoyen, afin que s’instaure et se pérennise dans la société ivoirienne la culture de la tolérance, du respect du droit, de la récompense et de la sanction objective et légitime.
Et cette dernière action pourrait se faire avec le concours des Ong ainsi que des partenaires.
Excellence Monsieur le Premier Ministre, je voudrais sur ces mots, et en attendant de vous livrer le détail de nos propositions, vous réaffirmer la disponibilité et la volonté de l’APDH à jouer toute sa partition dans le processus de réforme du cadre juridique et institutionnel de notre pays. C’est notre responsabilité commune et collective de participer à cette réflexion qui engage l’avenir de notre nation.
Je vous remercie.
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