1 – SUR L’APPEL DU BUREAU DU PROCUREUR
a) – Le droit irréfutable à une procédure de réexamen:
Ce moyen est nécessaire à l’équilibre, la régularité, l’équité et le droit d’un procès. Quelle que fut la décision de la première chambre d’instance de la CPI, celle-ci aurait été invariablement frappée d’appel. C’est le sort des décisions des juridictions de premier niveau. En effet, quelle que fut la partie déboutée, cette dernière aurait interjeté appel, qu’il s’agisse de la défense du Président Gbagbo ou de l’accusation comme c’est le cas en l’espèce. A supposer que la défense du Président Gbagbo eut été déboutée, elle aurait exercé, de la même manière comme par la passé d’ailleurs, du même moyen de droit pour faire reconnaître le bien fondé de sa demande. Pourquoi donc s’offusquer de l’Appel du Bureau du Procureur ? Il ne s’agit donc ni d’acharnement , ni de complot, ni de procès en sorcellerie, ni de manque de réalisme comme cela a été dit ici et là, mais du fonctionnement normal et ordinaire de la Justice à travers des voies de recours dont le but est de soustraire le procès de l’arbitraire et de l’erreur (abus d’autorité des juges, erreurs d’appréciation des faits ou d’interprétation de la Loi, irrégularité des procédures, etc.) et d’assurer par des procédures de contrôle adéquates une bonne administration de la justice (bonne application du droit, équilibre, équité et célérité du procès, garantie et protection des droits des parties, motivation suffisante et justifier des décisions prises). Quoi de plus normal que de recourir àa une juridiction de second degré en vue d’un réexamen de la cause, pour exprimer son désaccord avec une décision de justice prononcée en premier ressort ? On ne saurait créer l’obligation d’être d’accord avec elle, selon le principe que celle-ci serait réputée parfaite et infaillible. Au contraire, le système judiciaire admet la possibilité de l’erreur et de la défectuosité de ses décisions. C’est à son avantage. Par ailleurs, ll y a toujours dans un procès, une partie qui ne saura pas d’accord avec une décision ou qui se sentira lésée par celle-ci. Cette propension est inscrite dans la nature humaine qui juge que son cas n’a pas pu être bien examiné pour arriver à un résultat différent de sa propre appréciation. Cependant, celle-ci a besoin d’être conduite sous l’autorité de la raison, de la rationalité du droit et de la Loi, pour convaincre les parties et le public, afin d’acquérir autorité et légitimité.
b) – L’objet précis de l’appel dont il s’agit.
Il est manifeste que la décision de la première chambre est insuffisamment motivée, aussi bien sur le fonds du dossier ( décision d’acquittement pour insuffisance de preuve) que sur les conséquences de droit qui découlent de celle-ci (décision de remise en liberté immédiate). Il faut rappeler que la Chambre de Première Instance a demandé un délai de quelques mois pour rédiger de manière détaillée et complète les motivations de sa décision. Dès lors, l’appel éventuel contre cette décision non formalisée et non notifiée, donc réputée non rendue, ne peut s’exercer concrètement en l’état. En revanche, les effets qui lui sont attachés courent dès le prononcé de la décision orale. Aussi, sur le fonds le Bureau du Procureur a exprimé sa décision d’interjeter appel, dès qu’il sera en possession de ladite décision dûment motivée et notifiée. Ce n’est qu’à ce moment que couront les délais de recours pour lui. Dans l’attente, de cette deuxième phase du procès (réexamen de la cause et de la bonne application du droit aux éléments de fait) que faire du Président Gbagbo détenu dans les liens de la prévention. S’ouvre ici une nouvelle discussion. La première chambre a décidé de leur relaxe pure et simple (liberté immédiate). C’est cette dernière décision qui est attaquée en la forme d’une opposition et d’un contredit qui constitue une voie ordinaire d’appel.
C ) – Problématique du débat devant la Cour d’Appel :
Il ne s’agit nullement de se prononcer sur l’innocence ou la culpabilité du Président GBAGBO, autrement dit de confirmer ou d’infirmer la décision de la Première Cour d’Instnce. La question ici est de savoir si cette dernière a préjugé de la décision à venir des Juges de la Cour d’Appel, en anticipant sur celle-ci pour prononcer la liberté immédiate des prévenus, comme s’agissant d’une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée ? La mise en liberté du prévenu fait-elle obstacle à la poursuite du procès ? Les garanties dont est entourée cette décision de mise en liberté immédiate, sont-elles suffisantes pour assurer la présence effective des prévenus dans la deuxième phase du procès (réexamen de la cause) et leur éventuel placement en détention, si la décision d’acquittement venait à être reformée (culpabilité) pour donner lieu à la place, à une condamnation ? L’équité du Procès n’est-elle pas entachée par la longueur excessive du procès (8 ans), mais surtout par la détention prolongée des prévenus, au détriment de leurs droits fondamentaux dont la présomption d’innocence ? La prévention étant une mesure exceptionnelle, qui déroge au droit fondamental de tout citoyen à la liberté, les critères qui en justifient la nécessité doivent être pertinents et suffisants. Or, au cas qui nous occupe la présomption de culpabilité est sévèrement affaiblie par la décision de première instance, qui écarte du coup non seulement les critères de la dangerosité des prévenus et de la gravité des charges qui pèsent sur eux, mais rend également invraisemblable la poursuite des troubles dont ils sont présumés être les auteurs ou le renouvellement des crimes dont ils sont accusés. Les nécessités de l’enquête (éviter la destruction des preuves et des indices matériels de compromission, pression et subornation des témoins, corruption des victime et trafic d’influence de toutes sortes) ne se justifient plus, puisque l’instruction est achevée depuis fort longtemps. Dès lors, il ne restent que deux critères à discuter et à évaluer : la garantie de leur retour à la CPI pour la poursuite du Procès, que la Côte d’Ivoire n’est pas en mesure de lui offrir (Refus du Gouvernement d’exécuter le Mandat d’Arrêt de Mme GBAGBO, donc de coopérer avec la CPI et Décision de ne plus remettre aucun Ivoirien à la CPI dans le futur) et la garantie que leur libération ne crée pas des troubles à l’ordre public voire une crise politique et une guerre civile en Côte d’Ivoire. Un seul de ces critères suffit pour maintenir le Président Gbagbo en détention. Si la défaillance de la garantie de la Côte d’Ivoire peut être substituée par celle d’un autre pays volontaire (Belgique par exemple, dont le consentement a été acquis pour le Président GAGBO et refusé pour M. BLE GOUDE, selon la presse), le dernier risque est évalué par rapport au comportement de leurs supporter et partisans. Il convient d’ajouter à ces critères traditionnels, la protection des prévenus eux-mêmes contre des actes isolés de représailles ou de vengeance (La Côte d’Ivoire s’est montré capable d’assurer la sécurité des principaux acteurs de sa crise (personnalités de l’opposition comme de la majorité. On pourrait dire que la criminalité politique a presque totalement disparue). En tout état de cause, la décision à venir doit expliquer de manière précise en quoi cette circonstance exceptionnelle existe réellement et en quoi elle consiste.
2 – SUR LES DÉCISIONS DE LA PREMIÈRE CHAMBRE
La Mise mise en œuvre diligente des procédures pertinentes de la CPI dans la conduite du Procès (procédure accusatoire, procédure du cross-examination, règles de conduite et de procédure) a permis d’aboutir au constat de l’insuffisance criante de preuves décisives pour soutenir la présomption de culpabilité . Dès lors, il n’était plus nécessaire de poursuivre le procès, et de fait, de maintenir en détention préventive les mis en examen. La Cour de Première Instance s’est prononcé uniquement sur les charges qui lui ont été présentées par l’Accusation (existence d’un plan commun, responsabilité directe et indirecte dans la commission de certains crimes de droit commun réputés exercés contre toute l’humanité entière en raison, de leur caractère ignoble et des motifs abjects qui les inspirent en violation des droits fondamentaux de la personne humaine, lorsqu’ils sont perpétrés « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile » déterminée. Les charges dont il s’agit posent en amont le problème de la qualification juridiques des faits. Ainsi, on a pu voir évoluer cette qualification au regard de la responsabilité à retenir (auteur directs, co-auteurs, auteurs indirects, complices actifs). On s’aperçoit immédiatement que les statuts de Rome ne prévoient pas la responsabilité politique, pourtant essentielle à ce niveau de responsabilité au regard des mécanismes de décision, des obligations de la fonctions et du pouvoir prépondérant dont on dispose pour empêcher la commission de ces atrocités (crimes contre l’humanité, expéditions punitives et exécutions sommaires et extra-judiciaires, ect). Des faits d’une gravité exceptionnelle ont été commis en Côte d’Ivoire, pour des motifs politiques, idéologiques, ethniques et religieux contre des populations ciblées et catégorisées d’avance. La CPI ne nie ni leur existence, ni leur réalité. La Cour de première instance dit tout simplement qu’il ne lui a pas été démontré l’existence d’un plan commun ayant prévu, organisé et coordonné ces attaques ( réalité, insuffisance de preuve ou instruction bâclée ?) et qu’il ne lui a pas été démontré non plus, l’implication du Président GBAGBO dans la commission de ces faits, en tant qu’auteur direct ou indirect, autrement dit en tant qu’exécutant ou donneur d’ordre. Ceci ne veut pas dire d’une part, qu’il est absout de sa responsabilité politique, et d’autre part, qu’il ne possédait pas le pouvoir prépondérant de mettre fin aux massacres ( obligations de la charge de la fonction présidentielle, moyens d’état, mots d’ordre politique de son parti et de ses structures satellites) . Cela ne veut pas dire qu’il est coupable ou innocent, cela veut dire tout simplement que la preuve n’a pas pu être apportée pour établir sa responsabilité directe ou indirecte, en tant qu’auteur ou co-auteur. Dès lors, sa mise en liberté devenait nécessaire à une bonne administration de la justice, et c’est ce qu’a ordonné la Cour de première Instance
3 – LE PROCÈS EN LUI-MÊME ANALYSE SOUS LE RAPPORT A LA VÉRITÉ
A l’issu du débat contradictoire relative à la procédure accusatoire (évaluation des preuves, crédibilité des témoins, cohérence et contestation des faits, confrontation des témoignages, des preuves écrites et orales), la vérité a été approchée de manière très relative, car tout le procès repose sur l’aptitude de la défense à prouver non pas réellement son innocence, déjà acquise par la présomption d’innocence, mais de rendre sa présomption de culpabilité, établie par l’enquête et les actes d’instruction, non vraisemblables. La culpabilité et l’innocence ne s’établissent pas dans un rapport de vérité, mais de plausibilité. Nul ne saura jamais (juges et public) la vérité qui se cache derrière de faux aveux (subordination, pressions, menaces, inexactitudes volontaires) ou de vrais silences (omissions, complicité, parti pris, peurs,). C’est une procédure d’évaluation qui conduit à choisir entre plusieurs mensonges et quelques vérités de part et d’autre. La vérité du dossier repose (enquête, témoignages, débats contradictoires) sur la cohérence des faits allégués, par la force de persuasion des arguments présentés par les uns et les autres, et la force probante des faits incriminant ou innocentant. Celle-ci n’établit qu’une plausibilité formelle et rationnelle, qui paradoxalement sera reconnue par tous, et plus particulièrement par les partisans, comme une évidence, sans qu’elle ne représente pour autant nécessairement la vérité vraie comme disent les philosophes, à l’exception de la matérialité des preuves, dont la nature ne se prête à aucun besoin d’élucidation postérieure, à aucune boite noire comme disent les sociologues, permettant des questions additionnelles ou des doutes non dissipés. Or, des boites noires existent dans ce procès, qui appellent des questions additionnelles, comme le fait que le Haut Commandement militaire ait unanimement affirmé que la Garde Républicaine n’obéissait pas à ses ordres et ne faisait pas partie de sa chaîne de commandement, mais dépendait directement du Palais. Cette unité était en dissidence voire en conflit avec l’État-major de l’armée. Elle était mieux dotée en armes que toute l’armée. Elle possédait les moyens matériels identifiés dans l’attaque des femmes d’Abobo et ne prenait pas ses ordres auprès du Haut Commandement. Auprès de qui les prenait-elle ? Qu’elle a été son rôle et ses actions dans la crise ? De quels moyens disposait-elle et dans quel but ? Pourquoi le Chef Suprême des Armées est resté silencieux durant toute la crise, alors qu’il était régulièrement informé de l’évolution des opérations sur le terrain ? Pourquoi pour se tenir simplement informé avait-il besoin de réunir tout le Haut-Commandement ? Autrement dit, tout un questionnement reste ouvert quant à la manifestation de la vérité et quant à la possibilité d’un réexamen de la cause, d’autant plus que plus de 50 % des témoins de l’Accusation étaient des analphabètes ou des illettrés, donc en état de faiblesse intellectuelle pour comprendre les subtilités du procès, les pièges des avocats et les implications des propos qu’ils tenaient. Des témoins essentiels, acteurs dans les processus de décision, n’ont pas témoigné (acte volontaire) pour permettre la connaissance de la vérité. En Côte d’Ivoire ceux qui savent se taisent.
CONCLUSION
Nous devons restés attachés à une justice professionnelle, équitable et éclairée, et non à un justiciable, quel qu’il soit. La CPI est majoritairement Africaine. Elle nous appartient en quelque sorte, puisque nous participons à la définition de sa politique. Par ailleurs, nous n’avons pas son équivalent au plan national ou continental. Le Procès GBAGBO ouvre l’opportunité d’une réflexion sur cette question institutionnelle pour le continent. Ce qui intéresse les Africains et le peuple Ivoirien, en terme d’utilité pour la protection de leurs droits, est l’existence d’une Institution capable de dire le droit, qui aide à la manifestation de la vérité et protège les peuples contre leurs tyrans et dictateurs. Peu importe le verdict de ce procès et qui sont les justiciables concernés par celui-ci, la vérité et le droit doivent être dits, c’est la seule exigence qui soit valable et le seul motif de satisfaction qui se justifie. .Ensuite, il nous faut considérer l’impact positif que peut avoir la décision de la CPI sur le processus de réconciliation, la paix publique et la stabilité institutionnelle et politique de notre pays. Autrement dit, seul l’intérêt général du pays compte et l’utilité du Procès .Il ne peut avoir de véritable réconciliation sans pardon sincère, et ce dernier ne peut venir sans vérité préalable. Enfin, pour l’instant en Afrique (Kenya, Congo, Côte d’Ivoire), il y a eu des milliers de morts (plus de 50.000 dont 15.000 pour la CI) sans qu’il n’est de responsable et de coupable. Cette orientation préoccupe et interroge le rôle de la CPI. Cette situation soulève de nouvelles problématiques qu’il va falloir traiter pour éradiquer les phénomènes de violence massive qui accompagnent la construction de la démocratie sur le continent.
Merci M. Soumarey pour l’effort pédagogique que vous faites pour aider à la bonne compréhension de certaines situations relatives au droit et à la justice. Merci d’avoir présenté ce dont il est question à cet instant dans ce procès. Les émotions des partisans et adversaires des prévenus quoi que compréhensibles n’ont pas leur place car chaque partie a déjà son verdict prêt avant la tenue et la fin du procès.