Selon l’histoire, Oreste est le meurtrier de sa mère Clytemnestre
Le week-end dernier se sont tenus des propos d’une extrême gravité en contradiction avec les fonctions républicaines incarnées par leurs auteurs. Nous voulons analyser ces propos au regard des sciences du langage pour relever la dangerosité de leur caractère pour la cohésion sociale, la stabilité politique et le renforcement de la gouvernance démocratique. A travers cette analyse, nous voudrions inviter les acteurs politiques de tous bords à la modestie et à la tempérance. La modestie et la tempérance sont, d’ailleurs, sagesse selon la Bible, le Coran et la kabbale, pour nous en tenir aux références spirituelles des uns et des autres.
Quelques principes de base en sciences du langage d’abord :
– L’argumentation est constitutive de tout discours et, particulièrement, du discours politique inscrit au cœur d’un enjeu d’influence et de positionnement dans l’espace social citoyen. L’énoncé politique affiche une ou des conclusions non formulées qui restent au niveau des sous-entendus ou inférences. Des procédures d’induction et d’abduction aident à reconstruire ce qui relève du non-dit.
– « Le discours politique donne à voir davantage sa mise en scène qu’à entendre son propos : les valeurs d’ethos et de pathos finissent par tenir lieu de valeurs de vérité » (Patrick Charaudeau). Il vaut plus par ce qu’il ne dit pas ouvertement que par ce qu’il dit.
– La pragmatique souligne que « dire, c’est faire » (John Austin). Cela veut dire que le discours a une dimension performative basée sur des présupposés et des sous-entendus. On considère les propos tenus comme des actes de langage. Un énoncé est dit performatif quand il permet d’accomplir, par le seul fait de son énonciation, l’action évoquée dans le discours. Il est un acte réalisé par le seul fait de son énonciation. Par exemple, « je te baptise » qui implique que la personne soit baptisée au moment où cette parole est prononcée.
Notre commentaire des propos tenus le week-end :
Ce week-end nous a livré un spectacle d’orgie de violences verbales sous le couvert d’énoncés constatifs (énoncé qui fait un constat sur la base de certaines prémisses), résultatifs (énoncé qui indique le résultat) et promissifs (énoncé qui présente une promesse). Ces énoncés inscrivent dans le factuel ce qui, en principe, devrait relever d’une projection. Ils donnent à voir un ethos (une image de soi) d’agressivité qui nous rappelle une certaine période qui a préfiguré la partition du pays entre le nord occupé par la rébellion et le sud occupé par les forces loyalistes. On comprend maintenant, après coup, pourquoi, en début d’année, le président de l’Assemblée nationale disait qu’il ne ferait plus « palabre de quelqu’un », certainement en prévision de ce ballet discursif violent qui a commencé le week-end. Le pathos que ces énoncés vise au niveau de l’auditoire et de ceux à qui ils sont adressés, c’est la peur afin qu’ils n’aillent pas au bout de leur logique de conquête du pouvoir d’Etat et rentrent dans les rangs.
Du point de vue de la stratégie politique, on cherche à fouetter l’orgueil de l’adversaire. On souhaite le voir s’émouvoir et perdre patience. On le titille donc pour le pousser à commettre un impaire qui pourrait justifier une réaction brutale. En disant avec effervescence que tout est déjà sous coupe réglée, on lui suggère une réaction antirépublicaine contre laquelle un antidote a déjà été mis en place. En tenant aussi ces propos, on tient à informer la communauté nationale et la communauté internationale d’une volonté de s’accrocher vaille que vaille. Ainsi, quand cela surviendrait, elles ne devraient pas en être surprises. Du point de vue de la stratégie politique vue dans le sens contraire, nous avons une surexposition (non consciente) d’un pathos craintif et d’une certaine fébrilité devant le caractère évanescent de certaines certitudes qui ont fondu comme du beurre au soleil. On essaie donc de rattraper les choses dans la conscience populaire en mettant en avant un caractère guerrier fondé sur la certitude qu’en fasse rien ne tient. A l’analyse, c’est une image bien fragile qui, sans qu’ils s’en rendent compte, disqualifie ceux qui la construisent au quotidien. Elle brouille le message qu’ils veulent faire passer et les met au rang des accusés dans la gouvernance démocratique qui est la norme internationale. En utilisant le terme d’enfants en conflit avec la loi, on peut dire que le conflit avec la démocratie n’est pas très loin avec de tels propos.
Le fond des propos tenus rend la Côte d’Ivoire et les ivoiriens captifs d’un camp, fût-il le plus fort du moment. « Prince, ne l’oubliez pas », dit Yves de Chartres à Henri 1er d’Angleterre au XI siècle, « vous êtes le serviteur des serviteurs de Dieu et non leur maître ; vous êtes le protecteur et non le propriétaire de votre peuple ». Sur la base de cette citation pleine de sagesse, l’évidence veut que la Côte d’Ivoire ne soit la propriété d’aucun camp. Même si l’on est l’organisateur des élections, même si l’on détient les leviers et les moyens de l’état, il y a une vérité que tout politique prend en compte et qui justifie la vertu de la modestie adoptée par certains : aucune élection n’est jouée ni gagnée d’avance, en tout cas pas en démocratie réelle. Malgré toutes les prévisions qu’on peut faire, nul n’est maître du temps et des circonstances qui relèvent du seul ressort du Créateur Tout-Puissant.
La Côte d’Ivoire a beaucoup souffert des propos incendiaires. Les récentes plaies ouvertes à coups de balles meurtrières ne se sont pas encore cicatrisées et, déjà, on veut y planter à nouveau le bistouri. Il n’y pas meilleure manière de faire de ce peuple ivoirien, jadis si digne et respecté, la risée de tous en Afrique et dans le monde. Pour une affaire d’élection ! Houphouët-Boigny avait ses méthodes qu’on peut décrier ou acclamer mais n’avait pas le glaive dans la bouche pour triturer la nation qu’il s’est battu pour mettre en place. Peut-être est-ce dû à son appartenance à une culture qui recherche le compromis à tous les prix. Que le modèle et l’idéal houphouëtien du langage apaisé inspirent tous nos politiques. La paix et la stabilité de ce pays sont à ce prix. Nous n’en avons pas d’autre. La majorité des ivoiriens n’a pas de garde rapprochée pour les exfiltrer en cas d’événement exceptionnel. D’ailleurs, elle a du mal à s’offrir un repas par jour. Comment pourrait-elle entretenir une garde rapprochée ?
Si ça brûle, c’est nous tous qui allons être rôtis par le feu. L’occidental aime critiquer ou proposer une alternative en se maintenant à un certain niveau éthique parce que l’homme blanc, à la différence de l’homme africain, est rentré dans l’histoire par la grande porte. Son modèle de résolution des contradictions pourrait nous inspirer. Ne tenons pas de propos qui sont de nature à nous dresser les uns contre les autres. Tous sont fils de la même mère patrie et la dynamique politique veut que chacun ait son tour. L’éternité n’appartient qu’au seul Créateur et non à sa forme circonstancielle, l’homme. Après le poste de président, il y a une vie. Avant le poste de président, il y a une vie. Heureusement que le cadre de concertation mis en place le lundi 21 janvier 2019 remet en cause la valeur de vérité des propos tenus le samedi 19 janvier 2019. On peut considérer que cela relève de la rhétorique politique ; ce qui est rassurant dans la mesure où « la politique est un champ de bataille où se livre une guerre symbolique pour aboutir à des rapports de domination ou à des pactes d’entente » (Patrick Charaudeau).
FOBAH Eblin Pascal
Docteur en Langue française de l’Université de la Sorbonne
Analyste politique
Commentaires Facebook