Théophile Kouamouo
Accusés de crimes contre l’humanité censés avoir été commis pendant la guerre post-électorale de 2010-2011, Laurent Gbagbo, l’ancien président de ce pays d’Afrique de l’Ouest et son lieutenant Charles Blé Goudé ont été acquittés par la Cour pénale internationale.
C’est une décision judiciaire d’importance pour la Côte d’Ivoire, et dont la résonance s’élargit au continent africain : Laurent Gbagbo, l’ancien président de ce pays d’Afrique de l’Ouest – place forte de l’influence géopolitique française – et son lieutenant Charles Blé Goudé ont été acquittés ce mardi par la Cour pénale internationale (CPI). Ils étaient jusque-là accusés de crimes contre l’humanité censés avoir été commis pendant la guerre post-électorale de 2010-2011, énième épisode du long conflit armé qui a déchiré leur pays à partir de 2002. « L’accusation ne s’est pas acquittée de la charge de la preuve conformément aux critères requis », a estimé le juge italien Cuno Tarfusser. Après l’acquittement de l’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba, et l’arrêt des poursuites contre le président et le vice-président kenyan Uhuru Kenyatta et William Ruto, c’est un revers de plus pour la juridiction basée à La Haye, qui incarnait lors de sa création l’espoir d’un monde sans impunité – du moins pour ce qui concerne les crimes les plus graves.
L’on peut, assez confortablement, gloser sur l’incompétence du bureau du procureur, actuellement dirigé par la Gambienne Fatou Bensouda. Cela permet de sous-entendre que d’autres magistrats auraient trouvé les éléments nécessaires pour condamner Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. Et c’est également le meilleur moyen d’éviter de regarder en face l’incroyable dévoiement d’une justice internationale instrumentalisée par les grandes puissances dans des logiques qui perpétuent indéfiniment les vieux impérialismes.
Une décision importante
De facto, si ces longs embastillements – plus de sept ans de détention préventive pour l’ancien chef de l’État ivoirien ! – et ce procès souvent loufoque ont eu lieu, c’est tout simplement parce que la France, dont l’hostilité à Laurent Gbagbo sous les mandats de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy ne s’est jamais démentie, l’a décidé et planifié. Et si la CPI souffre du discrédit de cet acquittement décidé avant même que la partie défenderesse présente ses preuves et ses témoins, c’est bien parce qu’elle s’est laissée utiliser comme instrument géopolitique au lieu de dire le droit, tout le droit et rien que le droit.
La guerre civile de Côte d’Ivoire s’est déroulée sous les regards du monde entier. Une mission onusienne de plusieurs milliers d’hommes, qui comptait en son sein une division des droits de l’Homme était en permanence sur le terrain – une de ses prérogatives était de collecter des preuves d’exactions au fil de l’eau. L’armée française aussi était présente sur toute l’étendue du territoire ivoirien. Médias étrangers et ONG internationales des droits de l’homme ont également contribué à un storytelling désignant – comme dans de nombreux conflits – des « gentils » et des « méchants ». C’est en se fondant en grande partie sur leurs articles et rapports que le bureau du procureur auprès de la CPI a construit son dossier d’accusation contre Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. La leçon de cet acquittement est que ce récit n’est pas parvenu à s’imposer face à la logique du contradictoire qui caractérise forcément les délibérations judiciaires. Bien entendu, il y a eu d’atroces crimes des deux côtés lors de ces années terribles. Mais vouloir en faire porter le chapeau uniquement à la partie qui n’a pas déclenché le conflit, vouloir prouver une volonté farouche de détruire une partie de la population de la part du sommet de l’Etat là où il y a pu avoir un amoncellement de crimes isolés et de dérapages de la chaîne de commandement, et vouloir faire abstraction du rôle de l’ancienne puissance coloniale tout en se refusant à juger les crimes de ses alliés ne pouvait conduire qu’à une impasse – et à une accumulation de haines et de rancunes !
Dans ce contexte, la France officielle – adversaire de Laurent Gbagbo et soutien d’Alassane Ouattara, son rival aujourd’hui au pouvoir – partage le discrédit de la CPI. D’autant plus que cet acquittement intervient alors que la logique « binaire » de Paris concernant le conflit ivoirien est arrivée à une impasse sur le terrain politique local. Lâché par ses alliés, l’ex-chef rebelle Guillaume Soro et l’ex-chef de l’État Henri Konan Bédié, le président Alassane Ouattara, ancien directeur général adjoint du Fonds monétaire international (FMI), l’homme de Paris et de Washington, est plus que jamais isolé à moins de deux ans de la fin de son second mandat. Tenté par le recours à un autoritarisme sanctifié ces huit dernières années par la « communauté internationale », il ne peut s’imposer par la force qu’au risque de rallumer les feux de la guerre. Et il devra se préparer à accueillir de bien encombrants acquittés, dépeints par leurs partisans comme ceux qui ont résisté au rouleau compresseur de l’ex-puissance coloniale et en sont sortis vainqueurs.
Légende : Portrait de Laurent Gbagbo
Crédits : AFP / Sia KAMBOU
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