Félix Tshisekedi a été provisoirement déclaré vainqueur de l’élection présidentielle en République démocratique du Congo, une victoire historique pour l’opposition congolaise.
Mais son élection suscite des interrogations sur l’exactitude des résultats, avec des accusations de connivence avec Joseph Kabila, le président sortant, sur un partage du pouvoir.
La Commission électorale nationale congolaise (Céni) déclare que M. Tshisekedi a obtenu 38,5 % des voix, contre 34,7 % pour Martin Fayulu, un autre candidat de l’opposition. Emmanuel Shadary, le candidat de la coalition au pouvoir, a obtenu 23,8 %.
Parmi ceux qui doutent des résultats, on peut citer les gouvernements français et belge, mais aussi l’influente Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), qui représente l’Eglise catholique romaine en RDC.
Quelles sont leurs preuves ?
La Cenco déclare que les résultats annoncés aux premières heures du jeudi 10 janvier ne correspondaient pas à ses conclusions. Mais la Cenco, qui affirme avoir déployé 40.000 observateurs électoraux dans les 75.000 bureaux de vote, n’a pas publié ses résultats.
Trois diplomates ont déclaré à l’agence de presse Reuters, sous couvert de l’anonymat, que les statistiques de la Cenco donnaient Martin Fayulu vainqueur.
Les sondages d’opinion doivent toujours être traités avec prudence, surtout dans un pays où le climat politique est instable. Mais l’expert en politique africaine Pierre Englebert affirme que les sondages d’opinion réalisés en prélude aux élections du 30 décembre en RDC montrent que les résultats officiels étaient « très peu crédibles ».
« La probabilité que Tshisekedi aurait pu obtenir 38 % lors d’une élection libre est inférieure à 0,000000 », écrit-il dans un article publié sur le site Internet du magazine « African Arguments », citant les résultats d’un sondage réalisé par Berci-Ipsos pour le Congo Research Group.
Selon lui, les données étaient le suivantes:
95% de chances que M. Tshisekedi obtienne entre 21,3% et 25% des voix
M. Fayulu devrait obtenir entre 39% et 43% des voix
M. Shadary serait entre 14% et 17,4 %.
M. Englebert reconnaît qu’il est possible de se tromper avec les sondages d’opinion, affirmant que les résultats officiels pourraient être corrects si le taux de participation avait atteint 90 % dans les bastions de M. Tshisekedi et était vraiment bas, autour de 30%, dans ceux de M. Fayulu. Mais il a fait valoir que cela était extrêmement improbable.
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Alors, comment une fraude serait-elle possible ?
Il y a plusieurs façons de truquer une élection.
L’universitaire Nic Cheeseman, qui a écrit un livre sur le sujet, a dit à la BBC que si l’élection est truquée, cela a probablement eu lieu lors de la collecte des résultats.
Selon lui, très peu de gens seraient impliqués dans cette opération.
« C’est très facile. Vous pouvez avoir un petit nombre de personnes qui se chargent de la publication des résultats dans un bureau central. Vous pouvez demander à une personne d’ajouter 1.000 votes à un candidat et d’en soustraire 1.000 à un autre, sur une feuille de calcul Excel », affirme Nic Cheeseman.
Il a dit que le risque de fraude pouvait normalement être évité avec une tabulation des résultats… C’est ce qui s’est produit, mais nous n’avons pas les données.
Tout au long de la campagne électorale, l’utilisation des machines de vote électroniques a été une source majeure de conflits. Les électeurs ont utilisé des appareils ressemblant à des tablettes pour choisir leur candidat. Les machines devaient également servir à faire un décompte électronique, pour aider à vérifier les résultats.
Mais M. Englebert dit que dans les jours qui ont suivi le vote, des observateurs électoraux ont signalé la disparition de certaines machines.
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Pourquoi l’Église catholique n’annonce-t-elle pas le nom de celui qu’elle considère comme étant le vainqueur ?
En RDC, la loi interdit aux observateurs électoraux de publier leurs conclusions avant que la commission électorale n’ait annoncé les résultats officiels. Il n’est pas clair que cette loi ait été appliquée après l’annonce officielle des résultats.
Mais l’Eglise catholique sait, à la lumière des mesures de répression prises par le passé, que les manifestations de rue peuvent avoir des conséquences tragiques – et la coalition au pouvoir a mis en garde contre les appels à « l’insurrection ».
Séverine Autesserre, auteur du livre « The Trouble with the Congo », affirme que la police congolaise a été brutale dans ses rapports avec les manifestants, par le passé.
Elle a dit à la BBC que si l’Eglise, dont les fidèles représentent environ 40 % des 80 millions d’habitants du pays, annonçait que M. Fayulu avait gagné, les conséquences pourraient être terribles.
« Il y aurait eu de grandes et violentes protestations. Il y aurait eu des émeutes. La police allait réprimer les manifestants, ce qui ferait beaucoup de morts », soutient-elle.
Vendredi, les membres de la Cenco ont exhorté le Conseil de sécurité de l’ONU à faire pression sur la Céni pour qu’elle publie tous les résultats, bureau de vote par bureau de vote.
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Le « million manquant » fera-t-il la différence ?
Oui, répond M. Englebert.
L’élection a été reportée au mois de mars dans trois localités: Beni et Butembo, dans la province du Nord-Kivu (nord-est), et Yumbi (ouest). L’épidémie d’Ebola et l’insécurité ont été invoquées pour justifier ce report.
Ces trois localités concentrent plus de 1,7 million d’électeurs, plus que l’écart qu’il y a entre les principaux candidats en termes de voix.
Certains des électeurs privés de leurs droits de vote se trouveraient dans les fiefs de M. Fayulu, selon Englebert.
M. Fayulu jure qu’il va contester les résultats devant la Cour constitutionnelle.
Les candidats doivent déposer les recours dans les 48 heures suivant l’annonce des résultats provisoires. Les juges ont alors sept jours pour délibérer.
L’expert en droit constitutionnel Jacques Ndjoli a dit à la BBC qu’il y a trois issues possibles:
La Cour constitutionnelle peut confirmer la victoire de M. Tshisekedi
Elle peut ordonner un nouveau décompte des voix
Elle peut annuler complètement les résultats et appeler à l’organisation d’un nouveau scrutin.
La pression internationale peut aider à résoudre le différend, mais les membres du Conseil de sécurité de l’ONU sont divisés sur la question. Des pays comme la Belgique et la France pensent qu’il y a eu fraude, mais les diplomates chinois et russes estiment que la souveraineté de la RDC et l’autorité de la commission électorale doivent être respectées.
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Corneille Nangaa, le président de la commission électorale, défend les résultats proclamés et accuse la Cenco de partialité.
Il a fait part au Conseil de sécurité des difficultés rencontrées par la Céni pour inscrire 40 millions d’électeurs sur les listes électorales… et il a souligné « l’énorme succès » de ceux qui résistent aux tentatives visant à permettre à M. Kabila de se présenter pour un troisième mandat.
Il a exhorté la communauté internationale à soutenir le nouveau dirigeant du pays. Il a dit à l’ONU qu’il y aura maintenant, pour la première fois en près de 60 ans, un transfert du pouvoir par les urnes en RDC.
Un bilan exhaustif des votes sera publié si la Cour constitutionnelle le demande, dit-il.
La Cour n’a jamais rejeté les résultats d’une élection, et certains pensent que la plupart de ses juges sont proches du parti au pouvoir.
M. Tshisekedi, le chef du plus grand parti d’opposition, nie les accusations de fraude.
Si sa victoire est confirmée, il devrait prêter serment dans une dizaine de jours.
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