(1ère partie)
Une tribune internationale de Franklin Nyamsi Wa Kamerun
Professeur agrégé de philosophie, Washington-USA
Le lundi 17 décembre 2018 à Daoukro, par un temps ensoleillé et sous les flashes de tous les médias du pays, le Président de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire, S.E. Guillaume Kigbafori Soro a été reçu avec joie, solennité et magnificence par l’ancien président de la République de Côte d’Ivoire et actuel Président du PDCI-RDA, S.E. Henri Konan Bédié. Tambours battants et choeurs en allégresse, le Président Bédié a mis la place de Daoukro et tout le Grand Centre de la Côte d’Ivoire à l’unissons de l’accueil qu’il tenait à réserver à un homme d’Etat qu’il appelle son « protégé », son « fils brillant », son fils « valeureux et courageux ». Les deux hommes, emportés par le pouvoir des émouvantes retrouvailles qui les rassemblaient après près d’une année d’indisponibilité, se sont laissés aller à quelques pas de danse traditionnelle, rythmés par une fanfare alerte et envoûtante.
Mais, tandis qu’à Daoukro la fraternité et la convivialité ivoiriennes battaient leur plein, d’autres chaumières politiques de Côte d’Ivoire se tordaient de douleur devant le bonheur des deux hommes d’Etat rassemblés en pays baoulé. Sur les réseaux sociaux, les militants radicaux et radicalisés du Clan au pouvoir sonnaient avec virulence la charge contre le rapprochement politique que les deux hommes affichaient enfin au grand jour. Que n’a-t-on pas entendu? Pour les uns, tels un Venance Konan manifestement trop pressé d’en découdre dans un éditorial trempé d’acrimonie, Bédié et Soro joueraient à un jeu de dupes, car si leur refus d’adhérer au RHDP Unifié les rapprocherait, leurs ambitions présidentielles respectives devraient les diviser. Pour d’autres, Bédié et Soro auraient trahi la confiance placée en eux par le Président Alassane Ouattara, à la fois Président de la République et Président du RHDP dit Unifié, lequel Chef de l’Etat leur avait pourtant réservé une place de choix dans la hiérarchie de son supposé inamovible pouvoir. Et enfin, d’aucuns n’hésitent pas à y voir un attelage de circonstances, parce qu’ils voient difficilement comment Henri Konan Bédié réussirait à concilier le FPI de Laurent Gbagbo avec le tombeur du régime du FPI, Guillaume Kigbafori Soro, que le désir de vengeance des frontières poursuivrait ad vitam aeternam. La présente tribune est consacrée à montrer la vacuité de ces trois interprétations mal intentionnées, afin de mettre en perspective trois axes essentiels de compréhension de la relation politique entre HKB et GKS. Pour cela, nous procèderons en trois moments: 1) Une brève histoire de la relation Bédié-Soro; 2) Une mise restitution du contexte qui explique et justifie la tonalité et le triomphal accueil du Très Honorable Guillaume Soro par le Président Bédié à Daoukro; 3) Une mise en perspective de la coopération politique confirmée par la rencontre de Daoukro entre les deux hommes. Par ce triple geste de remémoration, d’analyse et de prospective, nous espérons victorieusement pulvériser les rumeurs de la politique politicienne en branle autour de l’événement majeur du 17 décembre 2018, afin de le restituer à sa vocation essentielle: conduire la Côte d’Ivoire à travers le Pardon et la Réconciliation vers un Etat de droit réellement digne de ce nom.
I
Brève histoire de la relation HKB-GKS: contre l’amnésie instrumentale des aigris de l’heure
Ce n’est en réalité pas d’aujourd’hui que date la relation entre le Président Bédié et celui qu’il nomme affectueusement son « fils brillant ». Ceux qui pérorent vainement sur la rencontre du 17 décembre 2018 devraient se pencher sérieusement sur 23 années d’histoire politique. Car, en réalité, Henri Konan Bédié et Guillaume Kigbafori Soro se connaissent et s’apprécient depuis 1995. Leur relation n’est pas tombée d’un arbre avant-hier.
En décembre 1993, le Président Henri Konan Bédié, alors Président de l’Assemblée Nationale et dauphin constitutionnel, succède au défunt Président Félix Houphouët-Boigny. IL hérite d’un champ politique fissuré par les revendications socioéconomiques, politiques et culturelles de l’opposition et des jeunes de toutes extractions. Dans la bataille que mène l’opposition ivoirienne contre le régime PDCI-RDA, la jeunesse universitaire rassemblée notamment dans la FESCI (Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire) constitue le fer de lance des mobilisations citoyennes. Or deux ans plus tard, Guillaume Soro est élu Secrétaire Général de la puissante fédération estudiantine. IL se retrouve alors en première ligne de la résistance militante contre le régime trentenaire du PDCI-RDA. Soro connaîtra six fois la prison, entre 1995 et 1997. IL fera la connaissance du Président Bédié, lors des différentes négociations qui lui permettront d’obtenir la reconnaissance du syndicat estudiantin alors banni, et d’être élu homme de l’année 1997 par la presse de Côte d’Ivoire. On peut donc dire que le Président Bédié découvre l’étudiant Guillaume Soro sur le terrain de la lutte politico-syndicale et apprend à l’estimer en raison de son intelligence tactique et de sa vision stratégique, tout comme Guillaume Soro se frotte aux réalités ardues du pouvoir, en entrant régulièrement dans le palais présidentiel de la République à moins de 25 ans.
On le sait, le 24 décembre 1999, une mutinerie rapidement transformée en un coup d’Etat porte le Général Robert Guéi au pouvoir. Le Président Bédié prend la route de l’exil et s’installe à Paris. Le RDR d’Alassane Ouattara, le FPI de Laurent Gbagbo, mais aussi Guillaume Soro et ses compagnons de lutte y voient tous une occasion de refondre de façon inclusive le pacte républicain ivoirien. Les péripéties de l’année 2000, avec une junte du CNSP ballotée entre l’inclusion et l’exclusion constitutionnelle s’achèvent dans la tragédie d’octobre 2000, lorsque Laurent Gbagbo parvient au pouvoir dans des conditions calamiteuses: le PDCI-RDA et le RDR ont été exclus de la présidentielle par la Cour Constitutionnelle du magistrat instrumentalisé Tia Koné; les militants du RDR et du PDCI-RDA qui osent revendiquer la reprise de l’élection sont brutalisés, et des dizaines d’entre eux sont assassinés, comme en témoignera le macabre charnier de Yopougon en octobre 2000.
Depuis son exil, Henri Konan Bédié constate que le régime de Laurent Gbagbo suscite une opposition encore plus acharnée que celle qu’il avait subie. IL opère donc un début de rapprochement du PDCI-RDA avec les autres forces de l’opposition au régime du FPI. C’est sur ses entrefaites que survient la révolution du 19 septembre 2002. Le Président Bédié n’est pas surpris d’apprendre qu’à la tête du MPCI (Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire) se trouve un certain Guillaume Kigbafori Soro, qu’il connaît alors depuis sept ans. Constant dans sa lutte contre l’idéologie de l’ivoirité, Guillaume Soro a engagé une bataille sacrificielle contre le régime Gbagbo pour obtenir un rééquilibrage du rapport de forces politiques en Côte d’Ivoire. Le Président Bédié, à Linas-Marcoussis ne s’étonnera guère de l’aptitude à négocier que Guillaume Soro montre lors des travaux de réorganisation du champ politique ivoirien. Rassemblés désormais sous le nom de Forces Nouvelles de Côte d’Ivoire, les mouvements militaro-politiques unis autour du leader Guillaume Soro font une entrée fracassante dans les institutions ivoiriennes à compter de janvier 2003, dans le premier gouvernement du Premier Ministre Seydou Elimane Diarra. Les négociations ivoiriennes d’Accra I et II en mars 2003, de Prétoria en 2005, et le puissant Accord de Paix de Ouagadougou (APO) en mars 2007, achèvent de convaincre le Président Henri Konan Bédié de l’épaisseur politique du ministre d’Etat Guillaume Soro: capacité d’écoute, sens de la répartie, visions tactique et stratégique, courage politique à toutes épreuves, amour profond pour la Côte d’Ivoire, telles sont entre autres qualités, les vertus que Bédié verra en Soro qu’il encourage par plusieurs fois à tenir bon le cap de la résistance contre la dictature frontiste.
Henri Konan Bédié sait depuis lors qu’il faudra compter avec Guillaume Soro et ses compagnons des Forces Nouvelles, dans l’histoire imminente de son pays. C’est d’ailleurs dans cette logique de coopération que rompant publiquement avec l’idéologie de l’ivoirité, Henri Konan Bédié reconnaît comme citoyen ivoirien de plein droit, son frère Alassane Ouattara, et signe avec lui un accord rassemblant le PDCI-RDA et le RDR dans une groupement politique nommé RHDP (Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix). Cet acte fort du Président Bédié en 2005 à Paris, en rupture totale avec les thèses identitaires de son brûlot publié en 1996, Les Chemins de ma vie, pose les bases de l’alternance démocratique qui se matérialisera en décembre 2010 en Côte d’Ivoire. En en effet, conformément aux accords passés entre lui le Président Ouattara, ce dernier bénéficiera du soutien du Président Bédié pour être élu au second tour en 2010, mais aussi pour être réélu pour son deuxième et dernier mandat en 2015, en qualité de Président de la République de Côte d’Ivoire.
Faut-il rappeler ici que dès 2007, Guillaume Soro, désigné Premier Ministre de Côte d’Ivoire, se forgera une réputation d’excellent Chef de Gouvernement auprès d’un Laurent Gbagbo qui avait toutes les bonnes raisons de se méfier de lui? Faut-il rappeler en outre que dans les gouvernements successifs de Guillaume Soro, de 2007 à 2012, soient Cinq années durant, il coordonnera avec compétence des ministres issus de toutes les formations politiques du pays? Henri Konan Bédié, à la tête du PDCI-RDA, aura amplement le temps d’apprécier ces talents de gouvernance. Et c’est en toute confiance qu’il participe aux élections présidentielles de 2010, organisées par le Premier Ministre Soro sous la supervision des Nations Unies.
Lorsque le Président sortant, Laurent Gbagbo, refuse de reconnaître sa défaite démocratique, le Président Henri Konan Bédié et le Premier Ministre Guillaume Soro prennent fait et cause pour le Président démocratiquement élu, Alassane Ouattara. Cette solidarité commune pour la reconnaissance de la souveraineté démocratique du peuple ivoirien va nouer entre ces trois hommes d’Etat, les liens forts de l’expérience de réclusion dans L’Hôtel du Golf à Abidjan. Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié rejoignent en effet les Forces Nouvelles de Guillaume Soro, installées de longue date dans cet hôtel. ILS y bénéficieront de la double protection de l’ONU et des Forces Nouvelles, pendant la tragique période de décembre 2010 à avril 2011. Vivre à l’Hôtel du Golf, alors sous le blocus militaire des forces fidèles à Laurent Gbagbo, c’était clairement prendre le risque d’être tué pour ses opinions dissidentes en Côte d’Ivoire. Le Président Bédié, immergé dans l’ambiance de lutte militaro-politique du Golf, découvre alors dans l’action, le chef militaire, le stratège et le visionnaire qui mène les combats et inspire la révolution citoyenne contre le régime ivoiritaire. Premier Ministre et Ministre de la Défense cumulativement, Guillaume Soro, agissant sous les instructions expresses du nouveau Chef de l’Etat en ses qualités de Chef Suprême des Forces Républicaines de Côte d’Ivoire, mène les batailles décisives de reconquête du territoire et obtient la reddition du régime Gbagbo le 11 avril 2011. Le Président Bédié sait donc, mieux que quiconque parmi les détracteurs de la rencontre du 17 décembre 2018, que le régime RHDP ne serait jamais parvenu au pouvoir sans l’apport décisif de Guillaume Soro et de ses compagnons des Forces Nouvelles. Bien sûr, une certaine vulgate attribue la défaite militaire du régime Gbagbo en avril 2011 à la seule puissance française. Mais, cet argument simpliste est vite balayé par une comparaison éclairante: qui oserait dire que le rebelle Charles de Gaulle n’a pas libéré la France de l’idéologie identitaire du régime du Maréchal Pétain, ou de l’emprise du nazisme, uniquement parce que les armées américaines, anglaises, africaines, auraient largement contribué au succès des résistants français pendant la guerre de 39-45? Qui oserait refuser au rebelle De Gaulle la responsabilité de la victoire de la résistance uniquement parce que des troupes étrangères l’auraient aidé? Si l’on ne saurait le faire pour la France, on ne pourrait, toutes proportions bien gardées, le faire de la résistance des Forces Nouvelles entre 2002 et 2011. Ce n’est pas parce que les forces internationales de l’ONU ont aussi contribué à la défaite de Laurent Gbagbo que les Forces Nouvelles de Guillaume Soro n’auront pas été au coeur de l’action décisive ayant porté l’estocade finale au régime discriminatoire de l’ivoirité. Le Président Bédié est donc bien placé pour savoir à qui le régime Ouattara doit son existence. Et ses mots élogieux à l’endroit de Guillaume Soro relèvent du plus sincère des témoignages de reconnaissance. Car enfin, ancien Président de l’Assemblée Nationale, le Président Henri Konan Bédié a aussi pu apprécier le Chef original du législatif qu’est Guillaume Soro depuis 2012. Depuis sept ans à la tête du Parlement, Guillaume Soro a rénové l’architecture des lieux, révolutionné la diplomatie parlementaire, ouvert l’Assemblée Nationale aux intellectuels du monde entier, aux artistes, aux grandes stars sportives, aux débats démocratiques les plus libres, et même à la critique courageuse des dérives du gouvernement.
Pris au coeur des complots, de la vendetta organisée, de la jalousie des prétendants au pouvoir ivoirien qui craignent comme la peste une concurrence politique loyale en 2020, Guillaume Soro a été sur de chaudes braises depuis 2014. On lui intente indirectement un faux procès de sous-emploi à Paris en septembre 2014? IL en sort blanchi. Une juge française veut l’enlever à l’affection des siens en décembre 2015 pour faire prospérer la plainte incongrue de Michel Gbagbo? Guillaume Soro s’en sort dignement. Le nouveau régime du Burkina Faso, manipulé par le renégat Isaac Zida, lance-t-il un mandat d’arrêt international contre Guillaume Soro en 2016 dans la sordide histoire de coup d’Etat du CND du général Diendéré ? Guillaume Soro fait face calmement à la tempête et le Burkina finit par revoir tout seul sa copie, avant d’accuser finalement un militaire des plus proches du Président de la République de Côte d’Ivoire, le Général Doumbia, d’avoir fourni armes et munitions au Général Diendéré… Le régime Ouattara jette-t-il Soul to Soul, le directeur de protocole de Guillaume Soro en prison le 9 octobre 2017 en proférant une accusation fantasmagorique de tentative de coup d’Etat? Guillaume Soro et ses compagnons assument stoïquement et dignement le martyre et l’humiliation mâtinée d’ingratitude cynique qu’on leur inflige. Mais, dans toutes ces tourmentes, quel homme d’Etat ivoirien prendra-t-il à chaque fois publiquement position pour soutenir Guillaume Soro? Disons-le tout net. Pendant que de nombreux hommes politiques ivoiriens – et non des moindres – auront soutenu Guillaume Soro comme la corde soutient le pendu, c’est incontestablement le patriarche Henri Konan Bédié qui se démarque par son soutien ouvert, sincère et motivé. Non seulement, il encouragera régulièrement Guillaume Soro à tenir bon face aux cabalistes, mais le Président Bédié se fendra aussi de nombreuses déclarations publiques et solennelles pour défendre son « protégé », comme il le désigne alors à juste titre.
Comment, dès lors, ne pas reconnaître que la relation Bédié-Soro, ainsi remémorée, est faite des acquis d’une longue expérience commune d’estime mutuelle, de franchise et de communion de vues pour la sauvegarde de ce pays?
La deuxième et prochaine partie de notre Tribune abordera justement « Le contexte et le sens de la rencontre GKS-HKB du 17 décembre 2018 ».
Affaire à suivre donc, chers lecteurs et lectrices!
Washington, ce 25 décembre 2018
Euh je veux bien que l eau sale éteigne le feu.
Mais c est pas une raison pour dire que l eau est propre.
Le rattrapage j en veux plus. L absence de décision difficile cette mais nécessaire à une réconciliation vraie j en veux plus. Un hyperpresident qui peut tout décider sans contre pouvoir réel j en veux plus même si sur ce chapitre c est plus l absence de courage des contre pouvoirs qui est en cause.
Mais présenter Mr bedie et Mr soro comme des démocrates…Mais bon l eau sale éteint le feu. C est l essentiel.
PROTESTATION CONTRE L’ACADÉMIE FRANÇAISE
J’ai ouïe dire le mot « ABUSEUR » venait d’être supprimé du dictionnaire !
Sans même savoir si des abuseurs existaient encore dans nos contrées !
Mais un abuseur définit qui ?
» Un abuseur est celui qui abuse, dans le sens « celui qui trompe ». Dans son acception contemporaine, « celui qui abuse » est aussi « celui qui dépasse les bornes » ou « celui qui fait un usage excessif des choses »….
Donc, tant des Franklin Nyamsi Wa Kamerun comme de bons renards vivront aux dépends de corbeaux, j’exige que l’auguste Assemblée de l’Académie revienne sur sa décision et réintègre ce mot dans le dictionnaire 2019 !
Boucliers de la relève démocratique avez vous dit ? C’est au bas mot, le comble de la démesure.