(Franklin Nyamsi Wa Kamerun) Professeur agrégé de philosophie, Paris-France
La mémoire est le repère des humains. Quand ils y recourent, ils voient ce qui a marché et ce qui n’a pas marché. Ils décèlent leurs erreurs et reconnaissent leurs fautes. Sans cette possibilité rétrospective, sans ce retour critique sur soi-même, un humain cesse d’être humain. Il devient un monstre. Comment nier que cette réflexion s’applique tout naturellement au régime RHDP-RDR, aujourd’hui au pouvoir en Côte d’Ivoire ? Né dans le feu des luttes des années 90 pour la restauration de la démocratie multipartisane en Côte d’Ivoire, le RDR qui constitue l’essentiel de l’actuel parti du RHDP dit Unifié porté sur les fonts baptismaux le 16 juillet 2018 à Abidjan, s’est autrefois bâti une renommée politique positive dans ce pays en s’imposant comme le parti de la lutte contre la discrimination identitaire, le parti de la lutte pour la reconnaissance et les respects des droits de la personne humaine, le parti de la lutte pour l’instauration d’une démocratie réellement inclusive en Côte d’Ivoire. De 1994 à 2011, tels sont les espoirs que ce parti a incarnés. Or, après un séjour de près de 8 ans au pouvoir, l’heure n’est-elle pas venue de s’interroger sur la nature réelle de la démocratie que le régime RHDP-RDR actuel pratique ? Nous voici en en pleine désillusion. Tel est le sens de la question qui occupe le titre du présent éditorial. J’y répondrai en démontrant deux évidences : 1) Le régime RHDP-RDR est en pleine négation de l’essence même du régime démocratique moderne, à savoir le respect des règles consensuelles de concurrence dans l’accès, la gestion et la transmission du pouvoir d’Etat ; 2) Les pratiques électorales récentes du régime RHDP-RDR révèlent clairement la persistance de l’usage des violences psychologique et physique comme tactiques et stratégies de conquête de fiefs dans le pays
Le régime RHDP-RDR est donc, très clairement en pleine dérive dictatoriale. En un mot, comme en mille, ce n’est pas cette pseudo-démocratie que nous voulions, en soutenant, en décembre 2010 et lors de l’année de braise 2011, l’arrivée au pouvoir de ce régime.
Négation de l’essence du régime démocratique moderne
La démocratie moderne réside sur quatre grands piliers : la séparation et l’équilibre des pouvoirs de l’Etat, le respect des droits de l’opposition politique, le strict respect de la constitution, le plein respect des libertés fondamentales de la société civile.
L’exécutif du régime RHDP-RDR a largement montré ces dernières années son mépris du principe de séparation des pouvoirs. On l’a vu décider unilatéralement d’embrigader le sénat[1]. On l’a vu opérer par ordonnance sur des questions relevant des compétences du parlement[2]. On l’a vu instrumentaliser le pouvoir judiciaire[3] pour écraser l’opposition et biaiser les verdicts des procès. On l’a vu limoger[4] à tour de bras des citoyens qui n’avaient pour unique tort que de ne pas se soumettre à la dictature de la pensée unique du RHDP-RDR. On a vu et on voit encore le régime RHDP-RDR menacer de séjour aux enfers, tout haut cadre qui n’adhèrerait pas aveuglément à sa vulgate suspecte.
L’exécutif du régime RHDP-RDR a régulièrement piétiné les droits de l’opposition politique, en s’immisçant ouvertement dans le fonctionnement interne des autres partis. Depuis quelques années, on observe ainsi l’orchestration à ciel ouvert des pratiques de casse du pluralisme démocratique en Côte d’Ivoire, par le régime RDR-RHDP. A l’instigation de ce régime, de nombreux partis d’opposition ont été fissurés en deux parties. Le FPI a été éclaté en une aile dite radicale (représentée par le regretté professeur Aboudrahmane Sangaré) et une aile collaborationniste (représentée par l’ex-premier ministre Pascal Affi Nguessan). Le PIT, le MFA, ont subi la même opération. La pire tentative d’OPA contre le pluralisme politique en Côte d’Ivoire, a été lancée contre le parti de l’indépendance, le PDCI-RDA. On la voit encore à l’œuvre en cette fin d’année 2018. Après avoir tenté de forcer le PDCI-RDA de disparaître sous son égide, le régime RHDP-RDR[5] a fait traîner ce parti devant les tribunaux en instrumentalisant, au vu et au su de tous, des cadres opportunistes de ce parti, montés en épingle contre le Président Henri Konan Bédié.
Il n’y a pas démocratie lorsqu’un régime piétine allègrement les libertés fondamentales des citoyens pourtant protégées par la constitution. Or, les droits de manifestation, de réunion, d’association, ont régulièrement et impunément été piétinés ces derniers. Des crimes impunis ont été commis avant et pendant les dernières élections municipales du 13 octobre 2018. Le meurtre du jeune Soro Kognon à Korhogo est l’emblème de cette violence ignominieuse pratiquée par les membres du Clan au pouvoir. [6]Sans que le régime ose une seule fois lever le ton ou même le voile sur les pratiques de plusieurs de ses cadres responsables de nombreuses exactions. Pis encore, l’exécutif s’est permis d’afficher une interprétation délibérément abusive de la constitution de 2016, en prétendant qu’elle autoriserait l’actuel Président de la République, qui en est à son deuxième mandat, à briguer encore deux nouveaux mandats à compter de l’an 2020.
Ce sont des faits massifs, qui prouvent que nous ne sommes plus en démocratie en Côte d’Ivoire. A supposer que nous ayons autrefois esquissé quelques pas sérieux vers ce régime politique moderne !
Des pratiques électorales alarmantes
Un régime démocratique respecte scrupuleusement les règles consensuellement mises en place en matière d’élections, car ces dernières sont le mécanisme par lequel le peuple souverain exerce effectivement son pouvoir de délégation et d’alternance dans ses institutions. Si le mécanisme électoral est faussé, la démocratie apparente n’est qu’une dictature déguisée. IL n’y a pas démocratie quand les conditions d’accès et de conservation du pouvoir sont floues et confuses, au bénéfice des puissants du jour.
Or de toute évidence, le régime RHDP-RDR est en rupture de ban avec la loi électorale ivoirienne. Selon ladite loi, la Commission Electorale Indépendante (CEI) actuelle devait être reformée depuis 2016, date de fin du mandat de ses membres actuels. D’ailleurs, un arrêt de la Cour Africaine des Droits de l’Homme, en date de novembre 2016 a utilement rappelé le gouvernement de Côte d’Ivoire à l’impérieuse réforme de ladite commission. Fin de non-recevoir du régime RHDP-RDR. Selon les dernières déclarations du gouvernement à ce sujet, la CEI ne devrait être réformée qu’en 2020, soit en pleine année électorale. L’intention frauduleuse est flagrante.
Les pratiques électorales[7] de nombreux cadres et hauts dirigeants du régime RHDP-RDR ont été constatées les 13 et 14 octobre 2018 à travers les grandes communes du pays. Mais aucun des auteurs des crimes électoraux du 13-14 octobre n’a été conduit devant les tribunaux. Pour cause ? Ce sont des hiérarques du régime qui ont bien souvent organisé les violences et les fraudes, à Abobo, Port-Bouët, Grand Bassam, au Plateau[8], à Divo, Daloa, et consorts. Hier 16 décembre 2018 à Grand Bassam, on a revu le scénario des loubards d’Abobo contre les bureaux de vote réputés acquis aux candidats de l’opposition. Urnes et bureaux de votes cassés[9], brûlés, arrachés, avec la complicité muette des forces de l’ordre stipendiées par le régime. Electeurs brutalisés, blessés, menacés, au profit des candidats du pouvoir. N’est-ce pas de fait l’annonce de ce qui attend le peuple de Côte d’Ivoire en 2020, à l’instigation de ce même régime, à savoir ce que le Président Henri Konan Bédié a si bien nommé « un braquage électoral »[10] ?
Non, disons-le tout net. Ce n’est pas cette « démocratie » de façade que nous voulions en soutenant les idéaux de la lutte tridécennaire du RDR et l’alliance démocratique du RHDP en 2010-2011. On nous a trompés sur la marchandise. Nous ne nous reconnaissons pas dans la dictature actuelle. Voilà pourquoi nous la dénonçons comme telle. IL va donc de toute urgence falloir que le peuple de Côte d’Ivoire se mobilise pour obtenir, avant 2020, la réforme de la CEI. IL va falloir que l’opposition ivoirienne s’organise pour obtenir dans la paix, un cadre consensuel de concurrence politique non-faussée. IL va falloir que la société civile ivoirienne prenne en main, la résistance déterminée et pacifique contre l’enracinement des violations des libertés fondamentales qui se succèdent et s’aggravent de jour en jour. Oui, il va falloir défendre la Constitution et promouvoir l’Etat de droit, afin que des tragédies anciennes ne renaissent pas sur les cendres des nouvelles lâchetés. Et ce ne sera que justice.
[1] https://www.ivoirebusiness.net/titrologie/scandale-alassane-ouattara-suspend-le-senat-jeu-09202018-1438
[2] http://eburnietoday.com/elections-senatoriales-ouattara-a-t-viole-constitution/
[3] http://www.afrikipresse.fr/societe/cote-d-ivoire-qui-a-reduit-les-pouvoirs-du-procureur-de-la-republique-a-abidjan
[4] http://www.rfi.fr/afrique/20170714-cote-ivoire-limogeage-fonctionnaires-tension-coalition-pouvoir
[5] https://information.tv5monde.com/afrique/cote-d-ivoire-le-parti-unifie-divise-244074
[6] https://koaci.com/cote-divoire-assassinat-soro-kognon-pressions-politiques-tribunal-korhogo-pour-etouffer-laffaire-121412.html
[7] https://www.jeuneafrique.com/646584/politique/cote-divoire-violences-et-contestations-apres-la-proclamation-de-resultats-provisoires/
[8] https://www.jeuneafrique.com/646994/politique/elections-en-cote-divoire-retour-sur-limpitoyable-bataille-du-plateau/
[9] http://www.rfi.fr/afrique/20181216-reportage-cote-ivoire-incidents-durant-elections-partielles
[10] http://www.rfi.fr/afrique/20181018-elections-cote-ivoire-le-pdci-denonce-braquage-electoral
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