KRAMO Germain
La Côte d’Ivoire est le 7ème producteur mondial de caoutchouc, et assure 60% de la production africaine. Mais, depuis quelques mois, la Côte d’Ivoire traverse une crise de commercialisation se manifestant à travers des difficultés d’exportation et la baisse du prix d’achat. Le gouvernement attribue cette crise à des facteurs conjoncturels. Qu’en est-il réellement ?
Une crise purement conjoncturelle ?
Entre 2010 et 2017, la production mondiale de caoutchouc naturel a augmenté de 30,14%. Face à cette hausse la demande mondiale a stagné. Ainsi, en 2017 la production mondiale de caoutchouc naturel était de 13,54 millions de tonnes contre une consommation mondiale de 13,22 millions de tonnes[1]. L’excès de l’offre par rapport à la demande, entraîne inéluctablement la baisse des cours. A titre d’exemple, de 2010 au premier trimestre de l’année 2011, le kilogramme du latex se négociait en Côte d’Ivoire entre 1 100 et 1 200 FCFA contre 263 FCFA en novembre 2018.
Par ailleurs, la baisse du prix du baril du pétrole a rendu le caoutchouc synthétique (dérivé du pétrole) moins cher que le caoutchouc naturel, ce qui explique le tassement de la demande mondiale de ce dernier. Ainsi, comparativement à 2010, le cours du pétrole a baissé de moitié entrainant dans son sillage le prix du caoutchouc naturel. Néanmoins, cette situation conjoncturelle ne saurait à elle seule expliquer la crise du caoutchouc en Côte d’Ivoire.
Le FDH : un effet d’aubaine
La promotion de l’hévéaculture à travers le Fonds de Développement de l’Hévéa (FDH) a concouru à attirer de nombreux producteurs dans cette filière car les appuis apportés aux hévéaculteurs a rendu la production de latex très rentable. Ainsi, des producteurs d’autres filières, comme le cacao ou le café, ont converti leurs champs pour cultiver l’hévéa. Au cours des neuf dernières années, le fonds a créé un effet d’aubaine en finançant la création de dizaines de milliers d’hectares de nouvelles plantations d’hévéas conduisant à la surproduction et à la chute des cours. Avec la chute du prix d’achat du caoutchouc naturel, d’aucuns ont réclamé de tous leurs vœux la régulation de la filière par l’Etat. Or, l’Etat est aussi responsable de cette crise.
Quand l’Etat décourage la transformation du caoutchouc
A l’image de ce qui se passe au niveau de l’ensemble des cultures de rente de la Côte d’Ivoire, cette politique de promotion de l’hévéaculture ne s’est pas accompagnée d’une politique de transformation du caoutchouc naturel engendrant une forte exposition aux aléas du marché international.
Il est clair que l’Etat a créé un biais, de par son mode d’intervention, au profit de l’exportation brute, au détriment de la transformation du caoutchouc naturel en produits finis (création de valeur ajoutée). Cela s’illustre très bien par la structure des importations et exportations ivoiriennes de caoutchouc naturel et ses dérivés. Ainsi, en 2017, la Côte d’Ivoire, premier producteur africain de caoutchouc naturel, a exporté 661 607 tonnes de caoutchouc naturel et importé pour 52,08 millions[2] de dollars de pneumatiques neufs.
Pire encore, à la place d’incitations pour encourager la transformation du caoutchouc naturel et atténuer la crise qui a débuté en 2011, le gouvernement a fait le choix en 2012 d’instituer une nouvelle taxe de 5% sur le chiffre d’affaires des usiniers. Il faut aussi rappeler que les sociétés agro-industrielles paient l’impôt sur le bénéfice industriel et commercial. Ces différentes taxes ont contribué à affaiblir les capacités de transformation des usiniers déjà installés et à rendre la filière moins attractive pour les potentiels investisseurs.
La nécessité de réformes structurelles pour sortir de la crise
La crise de commercialisation du caoutchouc naturel ivoirien n’est pas que conjoncturelle, mais elle est bel bien structurelle. S’il est vrai que la Côte d’Ivoire ne peut pas influencer la conjoncture internationale, la filière pourrait se prémunir contre les aléas des cours en opérant un virage stratégique vers la création de valeur ajoutée via la transformation de la matière première brute.
D’abord, les professionnels du caoutchouc doivent inscrire la transformation parmi les programmes éligibles au financement par le FDH. Ce fonds doit dorénavant servir en priorité à financer la transformation et la recherche de nouvelles utilisations possibles du caoutchouc naturel. Afin d’éviter l’effet d’aubaine, le FDH ne doit plus financer directement la production, mais juste contribuer à la mise en place d’un environnement favorable à la production qui profite à tout entrant potentiel.
Ensuite, au vu du classement modeste du pays dans l’indicateur de la compétitivité du World Economic Forum de 2018 (114ème sur 140 pays) et du Doing Business 2019 de la Banque mondiale (122ème sur 190 pays), il est important d’améliorer la compétitivité de la filière pour attirer les investissements dans la transformation du caoutchouc naturel. Cette amélioration de la compétitivité des industriels ivoiriens passe par la réduction des coûts des facteurs de production (eau, énergie, travail, capital, etc.) qui ont connu une hausse ces dernières années en raison de la sur-réglementation des marchés des facteurs de production (énergie, eau, capital) et leur fermeture aux investisseurs privés. Sur ce plan, le gouvernement ivoirien doit se remettre en cause et opter pour plus de libéralisation afin de stimuler l’offre, ce qui in fine réduira les coûts à terme. De même, la réforme du foncier par le gouvernement est incontournable pour rendre disponibles les terrains industriels à des prix compétitifs, surtout pour les PME. Parallèlement, la réforme de l’état de droit, la simplification des procédures administratives, l’ouverture au commerce mondiale et l’allégement des réglementations est susceptible de relancer l’investissement privé dans la transformation qui deviendrait plus rentable. Enfin, vu que la fiscalité a été un des obstacles majeurs, sa réforme est fondamentale pour relancer cette filière.
Somme toute, afin de sortir de l’impasse, le gouvernement devrait œuvrer pour une restructuration de la filière, dans le cadre d’une approche participative, en se recentrant sur son rôle facilitateur, et laisser les entrepreneurs mener la barque car ils sont les mieux placés pour connaître le cap à suivre.
KRAMO Germain, analyste économiste.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique
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