La Côte d’Ivoire va demander à la France la restitution d’une centaine d’oeuvres d’art, a annoncé mercredi le porte-parole du gouvernement Touré, à l’issue du conseil des ministres.
« La Côte d’Ivoire a dressé une liste d’une centaine de chefs-d’œuvre », qui sera transmise « aux experts désignés par l’Etat français en vue de leur restitution », a indiqué Touré, également ministre de la Communication. Cette déclaration fait suite à l’annonce le 23 novembre par le président français Emmanuel Macron de la restitution au Bénin de 26 chefs d’oeuvre pillés pendant la période coloniale, dont les statues royales d’Abomey, actuellement propriété du musée du Quai Branly à Paris.
Après la remise d’un rapport sur la restitution par la France d’oeuvres d’art africain, Paris souhaite engager une réflexion avec les autres pays européens concernés(Royaume-Uni, Allemagne, Belgique principalement). Le musée national de Côte d’Ivoire, à Abidjan, « est à même de récupérer et d’accueillir ces différentes œuvres quand elles seront de retour », a souligné Sidi Touré, indiquant que « le ministère de la Culture a mis en place un comité qui est chargé de cette question ».
La liste d’oeuvres d’art a été dressée par le Musée des civilisations de Côte d’Ivoire et transmise à la France via Africom, la branche africaine du Conseil international des musées, a expliqué à l’AFP la directrice du musée Silvie Memel Kassi. « Le premier objet que nous demandons est le Djidji Ayokwe, le tambour parleur du peuple Ebrié » (peuple de la région d’Abidjan). C’est un objet symbolique d’une grande importance qui a été arraché pendant la colonisation » et qui est actuellement conservé au Musée du Quai Branly à Paris, a précisé Memel Kassi.
H24Info.ma avec MAP/AFP
Editorial: Renouer avec soi-même
Le président français a accepté de restituer aux Africains une partie des objets cultuels et culturels dont ils ont été spoliés. Prenons toutes les dispositions pour les accueillir
Durant la traite négrière, puis la colonisation, l’on se persuada que le Noir était à peine un homme. Il le fallait pour que des chrétiens, comme les Européens se définissaient, puissent en faire des esclaves et les traiter de façon totalement inhumaine comme ils le firent sur les terres d’Amérique puis en Afrique par la suite.
C’est ainsi que Montesquieu, qui était l’un des esprits les plus brillants de son époque, écrivit ces lignes: «On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir… Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes; parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.»
La traite négrière consista à enlever le Noir de sa terre et à l’envoyer dans un autre monde. La colonisation, elle, se passa en Afrique. On ne déplaça pas le Noir, mais on détruisit tout ce qui faisait de lui un homme autonome, à savoir sa spiritualité et sa culture. On réussit à convaincre une bonne partie des Africains qu’ils étaient naturellement inférieurs aux maîtres blancs, et que tout ce qui faisait leur spécificité, à savoir leur couleur, la forme de leur nez, leurs cheveux, leurs cultes et leur culture étaient sauvages, démoniaques.
Alors, on nous débarrassa de tous nos objets cultuels et culturels pendant que nous-mêmes détruisions le reste. Il y eut des prédicateurs chrétiens africains qui sillonnèrent des villages pour détruire par le feu ce qu’on appelait les fétiches. Une bonne partie fut emportée par les Européens chez eux, souvent offerte ou bradée par nous-mêmes. Des musées entiers leur ont été consacrés et ces objets leur ont servi à faire progresser leur art.
Pablo Picasso, qui fut certainement l’un des plus grands artistes européens de tous les temps, n’a jamais caché qu’il fut influencé par ce qu’on appelait l’art nègre. Il ne fut pas le seul.
Pendant ce temps, en Afrique, nos musées dits des « civilisations africaines » sont désespérément vides et souvent mal entretenus. Parce que personne n’a envie d’aller voir ce qui symbolisait la «sauvagerie» de sa race. Nous sommes encore nombreux à croire au fond de nous que nos cultures sont les manifestations de notre barbarie. Nous préférons emplir les églises, temples et mosquées, hauts lieux où se manifestent les «vraies civilisations ».
L’Africain a renoncé à tout ce qui fait sa spécificité d’être humain au milieu des autres. Certains vont jusqu’à récuser leur couleur, leurs cheveux et la forme de leur nez. Nous nous excitons cependant de temps en temps, lorsque nous apprenons que certains de nos objets emportés par les Européens sont vendus à des millions de dollars ou d’euros. Nous découvrons alors qu’ils ont de la valeur.
Nous réclamons leur retour. Mais le souffle retombe bien vite. Nous ne réalisons pas que c’est une partie de notre âme et de notre histoire, c’est-à-dire une partie de nous-mêmes, que nous avons laissée partir avec ces objets.
Nous ne réalisons pas encore que l’Afrique ne retombera jamais sur ses deux pieds tant qu’elle n’aura pas renoué avec elle-même. Nous continuerons de patauger et d’être la proie de tous les prédateurs, tant que nous ne serons pas redevenus nous-mêmes. Etre soi-même ne signifie nullement être fermé à toutes les autres cultures. L’Africain qui a su apprivoiser une bonne partie des cultures européennes, arabes et asiatiques serait l’être le plus complet et le plus à même de faire face aux défis qui nous attendent, si seulement il acceptait d’être d’abord lui-même.
Le président français a accepté de restituer aux Africains une partie des objets cultuels et culturels dont ils ont été spoliés. Prenons toutes les dispositions pour les accueillir afin que les générations actuelles et futures puissent réellement renouer avec cette partie d’elles-mêmes.
Venance Konan
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