Le peuple et le gouvernement mesquin

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Le caractère foncièrement mesquin de nos gouvernements en Afrique est la première cause de nos souffrances et de l’impossibilité de voir la démocratie pluraliste prendre racine chez nous. C’est aussi la raison essentielle qui rend plus que difficile le progrès économique et social dans nos malheureux pays africains.

Est mesquin tout ce qui manque de noblesse, de distinction, de bonté d’âme et de largeur d’esprit. On peut même étendre ce terme à tout ce qui est bas, minable, médiocre et sans valeur. C’est cela qui conduit nos dirigeants politique à la petitesse d’esprit, à l’égoïsme primaire, au cynisme machiavélique dans lequel nous vivons depuis les indépendances jusqu’à nos jours.
Dans ce sens nous aimons bien le mot arabe « Miskin » pour désigner le pauvre, celui qui est étroit d’esprit et incapable de grandeur. Voilà pourquoi nous disons sans sourcilier qu’un pays dirigé par des gens tribalistes, égoïstes et mesquins ne pourra jamais faire le bonheur de ses habitants. Gouverner pour maltraiter ses propres compatriotes est minable et pas du tout glorieux.

Même en se repliant sur son piteux et crasseux groupe ethnique le chef d’Etat africain mesquin ne peut que construire le malheur des siens. Regardez simplement la situation des Hutus du Rwanda pour voir si le règne d’Habyarimana leur fut utile ? Ils portent tous pour le restant de leur vie le poids moral du génocide Rwandais.
Des exemples existent en grandeur nature en Afrique et dans le monde pour illustrer notre pensée.

Du Portugal de Salazar et de Marcello Caetano, l’Italie de Mussolini en passant par la dictature des colonels grecs de Giorgio Papadopoulos, ou de celle de Pinochet au Chili, pour en arriver aux régimes médiocres des Mobutu, Habyarimana, Eyadema, Bongo, Biya, Sékou Touré, Moussa Traoré, Blaise Compaoré, Alassane Dramane Ouattara et autres Sani Abacha. Ils ont tous en commun, le mépris pour leurs opposants, la cruauté comme réponse à toutes revendications sociales de bon sens.
Ainsi, au Portugal et en Grèce, la torture comme méthode de gouvernement contre les syndicalistes, les militants pour la démocratie, les étudiants de gauche et même tous les espaces de liberté furent verrouillés. La décharge électrique dans les parties génitales, la prison, les bastonnades, les simulations de noyade qui font qu’aujourd’hui encore certaines personnes n’arrivent pas à mettre leur tête sous l’eau de la douche.
Dans le Chili d’Augusto Pinochet, les communistes étaient mis dans un sac et un hélicoptère les amenaient au large pour les jeter en haute mer. Ne parlons même pas de Mussolini et des exécutions sommaires, des interrogatoires et des bastonnades jusqu’à l’évanouissement auxquelles il faut ajouter les expéditions punitives criminelles des fascistes italiens contre ses opposants.

Gouverner par la petitesse d’esprit et la bassesse implique la négation de l’autre.
Dans le régime criminel de Mobutu, Evariste Kimba, qui fut premier Ministre, Jérôme Anany, qui fut Ministre de la défense, Alexandre Mahamba, qui fut Ministre des affaires foncières et le sénateur Emanuel Bamba, furent exécutés le 1er juin 1966, par pendaison sous un pont à Kinshasa après avoir eu les yeux crevés pendant qu’ils étaient encore vivants.
Voilà pour ceux qui ne comprennent pas encore ce qu’est la mesquinerie quand elle se trouve au sommet de l’Etat comme idéologie de gouvernement. C’est le cynisme qui guide la conduite de l’Etat, la méchanceté et la cruauté de l’Etat ainsi que de son chef contre ses propres citoyens. Dans une telle situation l’Etat peut du jour au lendemain détruire vos maisons et vendre le terrain à un opérateur immobilier libanais ami du président de la république et toutes les voies d’opposition et de recours juridiques à une telle forfaiture ne vous serviront à rien.
En Afrique des policiers peuvent se présenter de nuit chez vous pour vous enlever et vous faire disparaitre sans traces. Toutes les démarches de votre famille auprès des commissariats de police ne serviront à rien. Les nombreux disparus de la crise postélectorale ivoirienne en sont la preuve patente de cette affirmation. On ne peut pas les déclarer morts, pas de cadavre, pas de meurtre et ils ne sont pas vivants non plus. Les familles ne peuvent pas faire leur deuil. Voilà ou elles en sont.

Le Cynisme et la cruauté qui découlent d’un régime mesquin

Un soir du mois de Mai 2015, n’acceptant jamais une invitation à un simple verre avec un politicien africain, j’avais été pourtant invité à diner dans un restaurant en bordure du lac Léman de Genève, en Suisse. Un ami ministre d’un pays africain qui était de passage dans la cité de Calvin m’y attendait La conversation que nous eûmes ce soir-là acheva de me convaincre que la vie politique ne sert pas à améliorer la vie du citoyen dans nos malheureux pays africains.
Je me suis permis de lui dire qu’il y avait de nombreux étudiants de son pays en Suisse à qui le régime auquel il appartient avait retiré la bourse d’étude. Beaucoup d’entre eux sont des hommes et des femmes brillantes, il n’y a qu’à regarder leurs résultats universitaires pour s’en rendre compte qu’ils sont ici pour étudier. Et je poursuivis sans me gêner du cas des boursiers qui sont en Suisse depuis 5 ans qui ont toujours leur bourse en étant en deuxième année de droit.
On les voit faire des allers et retour dans leur pays transportant de la marchandise ou faisant de l’exportation de véhicules d’occasions. On ne sait pas s’ils sont en réalité des étudiants, des commerçants ou des touristes de passage. La réponse du ministre fut simple, claire et d’une mesquinerie limpide : « Nous n’allons pas donner des bourses à des gens qui nous critiquent tous les jours, comprend nous tout de même. » Voilà mesdames et messieurs où la petitesse d’esprit et l’allergie à l’esprit critique peuvent conduire un gouvernement africain.
Ainsi un gouvernement africain peut vous jeter en prison pendant deux ou trois ans sans jugement et vous libérer malade avec votre compte bancaire gelé. Interdiction de sortir du territoire national, licenciement sans motif de votre emploi. Vous vous retrouvez incapable de vous soigner, d’inscrire vos enfants à l’école, de vous nourrir et d’avoir une vie décente. Les ivoiriens savent de quoi nous parlons. Un gouvernement mesquin peut vous emprisonner pour trouble à l’ordre publique dans le but d’empoisonner votre repas à petite dose pendant des mois et vous libérer quand vous êtes mal en point pour vous faire mourir d’AVC ou de crise cardiaque.

En Guinée Conakry, la diète noire consistait à jeter un opposant en prison et à le laisser mourir de faim et de soif sans aucune assistance pendant des jours sans fin. Ismaël Touré le frère du président présidait le tribunal révolutionnaire, son neveu Siaka Touré dirigeait le fameux camp Boiro de Conakry. Ce dernier dans la vague d’arrestations de décembre 1970, avait de ses mains introduit son fusil dans l’anus de quelques-uns de ceux qui étaient considérés comme les ennemis de la révolution et avait tiré à bout portant sans état d’âme.
Quand nous parlons du manque de noblesse, de grandeur, de compassion et de mansuétude de la part de nos dirigeants politiques vous comprenez maintenant de quoi il s’agit. Voilà comment le manque d’horizon, le découragement et l’impossibilité de respirer sur place ont poussé notre jeunesse à défier les flots tourmentés de la haute mer pour faire le choix douloureux de l’exil à l’étranger.

La dictature par les urnes

Il arrive parfois que nos amis européens qui ignorent la réalité de nos pays nous disent comment avez-vous accepté le parti unique, les élections avec un candidat unique, les emprisonnements arbitraires et sans procès, les exécutions sommaires, la dilapidation des fonds publics, le tribalisme et l’ethnie du président comme socle de l’armée, de la police, de la gendarmerie et de tous les ministères régaliens sans rien dire ?
Nous disons ici que la peur, la honte, l’humiliation et la résignation sont pour beaucoup dans ce comportement. Mais le peuple n’a pourtant pas abdiqué où baisser les bras. Face à un adversaire qui n’est pas éternel, il faut choisir le moment le plus opportun. Le dictateur burkinabé Blaise Compaoré en sait quelque chose sur l’intelligence et le sursaut du peuple en colère.
Nous sommes arrivés à un moment de notre vie nationale en Afrique ou nous nous rendons compte que les urnes favorisent la combine du pouvoir. Avant leur chute Mobutu, Compaoré, Habyarimana et consorts étaient par bourrage d’urnes réélus sans problème dans leur pays. Ils avaient tous l’armée de leur pays à leur disposition et pourtant cela n’a pas empêché leur fin tragique.
Pour conserver tous les pouvoirs en Afrique, il faut d’abord faire un découpage électoral en faveur de ton groupe ethnique et tribal et non par le nombre d’habitant comme dans les démocraties européennes. Par décret et par mesquinerie tu transformes tous les villages de ta région d’origine de 200 habitants en sous-préfecture et commune si tu en trouves cinquante ils auront deux députés chacun à l’assemblée nationale. Ce qui fait cent députés représentant une large majorité pour le camp présidentiel.
Ce découpage donnera au reste du pays trente députés pour une population de quatre millions d’habitants. Les opposants peuvent protester, crier, boycotter et vociférer au besoin, tu envoies des militaires de ton armée tribale les bastonner ou les jeter en prison pour les réduire au silence point barre. Les dictatures savent s’occuper des empêcheurs de tourner en rond.
Pour organiser les élections, toutes les oppositions demandent la mise en place d’une commission électorale nationale indépendante. Le vote à 18 ans, le bulletin unique de vote avec un sticker pour garantir sa validité. Le dictateur accepte toutes les exigences, il nomme par décret le président de la commission électorale qui un peu partout est un pion du pouvoir. A deux jours du scrutin il peut faire une conférence de presse pour dire que par manque d’argent les stickers ne sont pas disponibles donc les candidats doivent se contenter de la signature du bordereau par les assesseurs comme preuve suffisante pour valider le vote.
Les candidats essoufflés financièrement à deux ou trois jours du scrutin acceptent ce gros mensonge qui permettra à la commission électorale et à son président de proclamer qui elle veut comme vainqueur et le tour est joué. Les opposants peuvent aller à la cour suprême, au conseil constitutionnel, ils peuvent aller dans les chancelleries occidentales, au Vatican à Londres ou à Paris et à l’ONU, ils seront vus par le monde comme des mauvais perdants.
Ainsi de Jean Ping au Gabon, à Railla Odinga au Kenya, en passant par Cellou Dalen Diallo en Guinée Conakry, à Maurice Kamto, au Cameroun. Toutes les voies de recours judiciaires ne conduisent jamais à la vérité des urnes. Voilà devant vous les sources des violences et des crises post-électorales dans nos malheureux pays africains.
Oui une dictature peut se maintenir au pouvoir par les urnes. Blaise Compaoré le sait, lui qui avait remporté avant l’insurrection qui le chassa du pouvoir, l’élection avec plus de 80% des suffrages exprimés. Le peuple est toujours le grand perdant de nos élections en Afrique. La démocratie sans alternance est devenue un abonnement que nous avons souscrit en acceptant d’aller aux élections totalement contrôlées par nos dictateurs des tropiques.

Comment avons-nous échoué alors que tout était en notre faveur ?

Nous avons un climat qui favorise des plantes, une faune rare, une agriculture capable de nous nourrir, un sous-sol riche en minerais rares, une jeunesse qui ne demande qu’à travailler et pourtant notre continent reste et demeure le plus pauvre du monde.
L’ignorance, la maladie, la famine, les épidémies, les dictatures ethno tribales, la corruption, le chômage, la violence, l’insécurité, la gabegie et le mépris des élites politiques pour nos peuples ont conduit l’Afrique dans les profondeurs d’un misérabilisme sans fin sur une terre ou l’espoir ne pousse plus. Nous avons tous fini par comprendre que le pétrole, le diamant, l’or, le coltan, le cacao ou le café ne servent à rien si vous vivez dans une dictature tribale d’Afrique.
La persistance dans l’erreur, l’acceptation des inégalités par le pouvoir politique mesquin, la résignation face à la misère comme une fatalité. Tel est le spectacle désolant auquel nos malheureux pays africains sont confrontés. Oh bon Dieu à quel monstre payons-nous ce lourd tribut ? La réponse est devant nous. Nous le payons à l’abjection morale, au manque de vision de l’avenir collectif à la mesquinerie qui tue tous les esprits critiques et favorise les laudateurs. Les sociétés humaines évoluent par contradiction, quand les animaux évoluent par instinct. Tuer la contradiction, par la prison, le meurtre et la coercition et la société humaine reste figée sans progrès économique et sociale. Surtout sans épanouissement collectif.
L’esprit critique existe chez nous, avec une vraie volonté d’enrichir la démocratie naissante. Malheureusement un peu partout nous sommes confrontés aux querelles intestines des opposants incapables de s’unir pour proposer une alternative crédible capable de nous orienter dans une direction porteuse de l’avenir commun.
Nous voici donc dans le règne continue de la tribu et du clan présidentiel. Qui met en œuvre avec alégresse sous nos yeux le triomphe de la force, de l’extorsion physique et morale. Voilà pourquoi les élections africaines nous conduisent très souvent aux choix des maîtres quand le peuple qui se dit souverain n’a pas de droit et reste l’éternel sujet du pouvoir en place.

Postulat de Conclusion générale

Une nuit d’entre les mille et une nuits, Shéhérazade racontait à son royal époux l’histoire d’un naufragé qui s’éveillait sur une plage déserte. Ses pas le conduisirent à une ville dont la porte était grande ouverte. Les sentinelles, figées, ne lui prêtèrent aucune attention et le laissèrent passer. Il interpella le premier passant qu’il rencontra. En vain, l’homme ne bougeait pas et ne répondait pas.
Plus loin des groupes de gens restaient sur place sans esquisser un seul geste. Le silence lugubre qui pesait sur la cité inquiéta le naufragé. Son angoisse tourna à la panique quand il comprit que tous les habitants étaient pétrifiés comme des statues. Ce conte nous revient à l’esprit quand nous voyageons en Afrique de Lagos à Yaoundé, de Ouagadougou, à Abidjan où de Lomé à Kinshasa. Des villes où on ne ramasse même plus les ordures ménagères. L’eau potable y est un luxe, ne parlons même pas de la puanteur et de la crasse. C’est ce que nous appelons le sommeil invisible de l’Afrique.
C’est comme si le triomphe de la médiocrité, de la mauvaise foi, de la peur, de la honte par la faute même du gouvernement mesquin et criminel, avait définitivement arrêté l’évolution des sociétés africaines, brutalement gelé la pensée et éternellement fixé les meurs. Dans le récit de la belle et astucieuse Shéhérazade, le naufragé apprenait qu’une sorcière vindicative avait envoûté la métropole et ses habitants.
Il décidait de se lancer à sa recherche afin d’obtenir d’elle la rupture du charme et la libération du peuple. Telle doit être la quête de tous ceux qui veulent le changement dans nos malheureux pays africains. Nos peuples ont besoin d’une levée des chaines, une libération des initiatives, une remise en route de la pensée figée, un retour à l’esprit d’ouverture, de dialogue et de la simple fraternité humaine qui nous a si longtemps fait défaut.
Cela nous préservera de la violence inutile, des emprisonnements arbitraires, de la brutalité inutile, des pendaisons publiques, des humiliations mesquines comme celle qui consiste à débarquer pendant le repas du soir pour arrêter un homme à table avec sa famille, le dénuder, lui mettre une cagoule sur la tête et l’amener vers une destination inconnue devant sa femme et ses enfants en pleure, hagards et hébétés totalement traumatisés par une police au service du mal.
Ce genre de comportement affaiblit chaque jour un peu plus le gouvernement mesquin en l’éloignant du peuple en faisant de lui la proie facile d’une rébellion ou de l’insurrection populaire qui progressivement s’imposera à lui comme l’unique alternative pour respirer en renverser l’Etat prédateur, oppresseur et criminel qui obscurcit depuis si longtemps son destin. Tel est le sens de notre intervention de ce jour. Merci de votre aimable attention.

Dr. Serge-Nicolas NZI
Chercheur en communication
Tel. 0041792465353 Lugano (SUISSE)
Mail : nicolasnzi@bluewin.ch

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