Alan Hirsch
Le projet d’intégration africaine a franchi plusieurs étapes majeures en 2018. L’une d’elles était l’adoption par l’Union africaine (UA) d’un protocole sur la libre circulation des personnes. La libre circulation des personnes entre les pays africains pourrait incontestablement booster la croissance. Une plus grande liberté de mouvement encouragerait le commerce, le tourisme et les investissements entre les pays africains ; permettrait aux étudiants d’étudier dans d’autres pays africains. L’ouverture du marché de l’emploi multiplierait les possibilités.
L’ouverture des frontières a eu des effets positifs dans d’autres parties du monde. Par exemple, la croissance de nombreux pays asiatiques est largement imputable à la libéralisation des relations inter-asiatiques, notamment par le biais d’un accord entre les pays de l’Asie du Sud-Est qui favorisait une plus grande mobilité des travailleurs. Certains pays africains ont eux aussi bénéficié des avantages de la libre circulation des personnes. Les Seychelles, Maurice et le Rwanda ont réduit les exigences en matière de visa. L’un des effets a été une augmentation significative du nombre de touristes en provenance d’autres pays africains. Ensuite, la suppression des exigences de visa et même de passeport dans les blocs commerciaux régionaux en Afrique de l’Est comme en Afrique de l’Ouest aurait largement contribué à une augmentation de l’activité économique.
Quels obstacles à la libre circulation ?
Cependant, il reste des obstacles majeurs à surmonter avant d’atteindre la libre circulation sur le continent. Le plus grand frein provient des préoccupations des grandes économies du continent, telles que l’Afrique du Sud et les pays d’Afrique du Nord, où le taux de chômage est élevé et où on craint que l’immigration accrue ne contribue à accroître les tensions internes. On craint également que la libre circulation, si elle n’est pas bien gérée, puisse aggraver la fuite des cerveaux dans les pays les plus pauvres. En raison de ces préoccupations (entre autres), seuls 30 pays ont signé le protocole. C’est beaucoup moins que les 44 qui ont signé l’accord de libre-échange continental africain.
L’UA reconnaît le manque de préparation de nombreux accords nationaux et continentaux qui permettraient une mise en œuvre immédiate et complète du protocole. Certains pays ont des systèmes d’enregistrement de la population et de passeport peu intègres, d’autres ont une gestion des frontières faible et d’autres des services de renseignements généraux insuffisants. Pour cette raison, la mise en œuvre a été divisée en trois phases: droit d’entrée et suppression des conditions d’obtention de visas ; droit de séjour; et droit de résidence (qui comprend l’investissement et la création d’entreprise). Les phases 2 et 3 ne seront pas mises en œuvre avant que la mise en œuvre de la première phase ait été évaluée. Mais de nombreux pays, en particulier les plus riches, hésitent même à entrer dans la première phase sans que certaines conditions soient remplies.
Les principales préoccupations concernent l’absence de mesures de coopération entre les États concernant les procédures d’immigration, la gestion des frontières, les systèmes éducatifs et la reconnaissance mutuelle des qualifications, des normes communes pour les conditions de travail et l’accès aux prestations de sécurité sociale. L’Afrique du Sud, en particulier, a des problèmes avec toute une gamme d’exigences. Une note du Ministère de l’Intérieur sud-africain identifie 12 conditions préalables à la mise en œuvre du protocole. Certaines d’entre elles sont irréalistes et idéalistes, comme la condition de «paix, sécurité et stabilité sur le continent». Par contre, la moitié des conditions préalables semblent tout à fait raisonnables et compréhensibles.
Le Ministère de l’intérieur, par mesure de prudence, déconseille même d’adopter la phase 1 du protocole – le droit d’entrée et la suppression des visas pour les compatriotes africains – tant que certaines conditions ne sont pas remplies. Il est impératif d’améliorer les systèmes d’enregistrement de la population, d’établir des systèmes de gestion intégrée des frontières, de conclure des accords bilatéraux de retour et de renforcer l’application des lois au niveau national dans toute l’Afrique avant que la phase 1 ne soit appliquée. Notons que l’Afrique du Sud n’est pas la seule à adopter cette position. Plusieurs autres pays d’Afrique du Nord et un ou deux autres pays africains plus riches font preuve des mêmes craintes et exigences. À l’instar de l’Afrique du Sud, la plupart des pays d’Afrique du Nord ont un taux de chômage relativement élevé et craignent d’aggraver la situation en accueillant massivement des citoyens de pays plus pauvres. Cela pourrait nourrir des tensions à l’égard des « étrangers » et renforcer des sentiments xénophobes. Il est peu probable que le Protocole progresse si les craintes ne sont pas réglées. Alors, comment l’UA peut-elle convaincre les pays sceptiques?
Prochaines étapes pour des avancées concrètes
Une suggestion est que l’UA crée un comité technique pour traiter les problèmes soulevés et proposer des solutions concrètes. Une coordination africaine renforcée autour de l’enregistrement de la population, aboutissant finalement à une carte d’identité africaine ou à une carte d’identité standard africaine, constituerait un excellent moyen de résoudre ces problèmes techniques. Le comité technique pourrait se concentrer en premier lieu sur les obstacles à la mise en œuvre de la phase 1. Une fois cet obstacle franchi, il pourrait passer à la phase 2 et éventuellement à la phase 3.
Le comité technique doit disposer de ressources suffisantes en fonctionnaires et experts, à la fois pour atteindre ses objectifs et pour faire en sorte que les pays les plus riches croient que le comité progressera avec ou sans eux. Alors, ils ne voudront pas être laissés pour compte.
Alan Hirsch, Professeur et Directeur de l’Institut Mandela pour la gouvernance publique, Université Cape Town.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique
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