C’est connu, les autorités rwandaises n’ont pas lésiné sur les moyens pour imposer l’Anglais aux nouvelles générations de Rwandais, depuis leur prise de pouvoir par les armes en 1994. Le déclin du Français a été progressif dans cette ancienne colonie belge sortie meurtrie de la guerre civile de 1994. Le chef de l’État rwandais, Paul Kagamé et les élites tutsies formées en Ouganda ou en Tanzanie avant leur prise de pouvoir, parlent à peine la langue de Molière. Cela n’a pas empêché l’élection de la Rwandaise Louise Mushikiwabo a la tête de la Francophonie, en remplacement de la Canadienne, Michaëlle Jean. D’une communauté de langues, la Francophonie fait désormais office, d’instrument diplomatique et politique au service de la France métropole. C’est ainsi que des pays dont à peine moins d’1% de la population s’exprime en Français, sont bombardés, membres de la Francophonie. (Sylvie Kouamé)
Louise Mushikiwabo, une forte tête aux commandes de la Francophonie
Elue secrétaire générale de l’OIF, la Rwandaise, dont la famille a été tuée lors du génocide en 1994, bénéficie de la totale confiance du président Paul Kagame.
Diplomate éprouvée qui sait se montrer accommodante, Louise Mushikiwabo, 57 ans, reste une femme de fer qui, depuis neuf ans, porte la politique extérieure du président rwandais. « Elle sait arrondir les angles de Paul Kagame », remarque un vieux routier des sommets africains. Sur le fond, en revanche, elle ne transige pas. Celle qui vient d’être élue par consensus, comme le veut la tradition, secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), vendredi 12 octobre, est la deuxième femme à occuper ce poste après sa prédécesseure Michaëlle Jean, diplomate canadienne d’origine haïtienne ; et, surtout, la première Africaine. C’était la raison principale du soutien de la France et de l’Union africaine (UA), qui ont entraîné l’écrasante majorité des 54 Etats membres de plein droit de l’OIF, disposant du droit de vote.
Dès l’annonce officielle de sa candidature depuis l’Elysée, le 23 mai, à l’occasion d’une rencontre entre Emmanuel Macron et Paul Kagame, Louise Mushikiwabo était donnée largement favorite grâce à ce double parrainage. Son habilité et ses réseaux ont fait le reste.
« Une survivante »
La vie de Louise Mushikiwabo est marquée par toutes les tragédies qui ont secoué le Rwanda le demi-siècle passé. Elle naît en 1961 dans une famille de petits propriétaires terriens, au moment même où commencent les persécutions à l’égard des Tutsi. Elle n’en réussit pas moins à passer le bac et devenir professeure d’anglais. Grâce à une bourse, elle part ensuite en 1986 aux Etats-Unis pour faire des études d’interprétariat. Un exil qui lui sauve la vie.
La plupart des membres de sa famille n’ont pas réussi à échapper, en 1994, aux machettes et aux balles des extrémistes hutu. Son frère Landoald Ndasingwa, grande figure de l’opposition libérale, fut l’une des premières victimes du génocide. « C’est une survivante, elle en a l’efficacité et la détermination », souligne une universitaire qui la connaît bien. Le génocide n’a cessé de la hanter. Avec Jack Kramer, journaliste et ancien marine, elle y a consacré un ample récit, Rwanda Means the Universe : A Native’s Memoir of Blood and Bloodlines, publié en 2006.
En 2008, Louise Mushikiwabo décide finalement de revenir au pays. Après un bref passage en Tunisie comme directrice de la communication de la Banque africaine de développement, elle intègre le gouvernement rwandais, comme ministre de la communication puis comme chef de la diplomatie de Paul Kagame. Fidèle parmi les fidèles de l’homme fort de Kigali même si elle n’a jamais été membre du Front patriotique rwandais, le parti-Etat régnant sans partage, elle serait l’une des rares à bénéficier de sa totale confiance. D’aucuns voient même en elle une possible successeure si le maître du pays – qui selon la Constitution amendée à sa main peut rester au pouvoir jusqu’en 2034 – décidait de se mettre en retrait.
Fortes réticences
Au sein même de l’OIF, les réticences vis-à-vis de la future nouvelle secrétaire générale restent fortes, notamment parmi les hauts fonctionnaires de l’organisation. « Jamais je n’ai été aussi inquiet sur l’avenir la francophonie », soupire l’un d’eux. Certes, comme le répète volontiers l’Elysée pour justifier son choix, « il s’agit d’élire une personne et non un pays ». Mais Louise Mushikiwabo, en portant depuis des années la politique extérieure rwandaise, est totalement identifiée à un régime défiant nombre des principes fondateurs de la francophonie.
Le pouvoir de Kigali n’est en effet guère un exemple en matière de défense des droits fondamentaux de ses citoyens. Les opposants sont traqués, arrêtés, voire exécutés à l’étranger. Mi-septembre, quelque 2 000 prisonniers politiques, dont la célèbre opposante Victoire Ingabire, ont été libérés par anticipation – un geste avant le sommet de la francophonie. « Toutes ces notions de démocratie et de droits humains, ce n’est pas toujours très clair et très précis », se justifiait encore en août Louise Mushikiwabo, interrogée par l’AFP, rappelant « qu’elle ne croit pas aux donneurs de leçons » en matière de démocratie. Depuis, elle a un peu mieux rodé son discours, ce qui ne signifie pas qu’elle ait changé d’opinion.
Le régime rwandais ne s’est pas illustré non plus, ces dernières années, par la défense de la langue française. Il n’a cessé, au contraire, de prendre ses distances, en mettant fin à l’enseignement du français dans les écoles et en adoptant l’anglais comme langue nationale. Si elle manie un français parfait, Louise Mushikiwabo assure qu’il n’y a pas de contradiction entre la francophonie et ce choix de privilégier l’anglais. « C’est aujourd’hui la langue de la Silicon Valley, de la technologie, de la recherche, des réseaux sociaux. C’est une réalité et, par ailleurs, l’essentiel de l’activité économique du Rwanda se fait avec l’Afrique de l’Est », explique-t-elle au Monde.
Une vision en accord avec celle du président français, qui se pose en héraut d’une « francophonie ouverte » aussi bien aux langues locales qu’à l’anglais.
Par Marc Semo (Erevan, envoyé spécial) Lemonde.fr
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