La Cour africaine des Droits de l’homme: Une coquille vide ?

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Article publié en collaboration avec Libre Afrique

Née en 1998 avec la signature du Protocole additionnel à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples est opérationnelle depuis 2006. Sa mission principale est de protéger les droits de l’homme sur le continent. Mais après plus d’une dizaine années d’activité, force est de constater qu’elle est loin du compte. L’actualité des pays africains demeure marquée par l’abondance des violations des droits de l’homme. Quelles sont alors les raisons de l’inefficacité de cette Cour ?

Absence d’une vraie volonté politique

En 1981, lors de l’adoption de la Charte africaine des droits de l’homme, les Etats avaient privilégié le règlement amiable des atteintes aux droits de l’homme en mettant uniquement en place une commission des droits de l’homme. Mais, le constat de ses insuffisances vont susciter la création d’une juridiction, en l’occurrence la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Il faut dire que le processus de sa naissance a été si long et difficile qu’on ne peut s’empêcher de douter de la réelle volonté des États. Voulaient-ils réellement de cette Cour ? Ne voulaient-ils pas simplement faire bonne figure en la créant ? Les faits postérieurs semblent, en tous cas, confirmer l’absence d’une réelle volonté de leur part. Sur les 52 Etats parties à la Charte africaine, seuls 30 Etats ont ratifié le Protocole et seulement 8 ont fait la déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes individuelles. La Cour créée pour protéger les droits humains sur le continent se voit par conséquent dépourvue de compétence pour recevoir les requêtes relatives aux violations alléguées des droits de l’homme émanant de la majorité des citoyens des Etats membres de l’Union Africaine (UA).

En dépit des relances répétées de celle-ci, certains Etats ne semblent aucunement résolus à faire le pas tandis que d’autres marchent à reculons. Le cas du Rwanda est assez parlant. Ce pays a signé la Charte en 1998 et l’a ratifiée en 2003. Après avoir déposé en 2013 la déclaration donnant à ses citoyens la possibilité de saisir directement la Cour, il a par une notification du 29 février 2016 exprimé son intention de retirer ladite déclaration. De toute évidence, caractérisés pour la plupart par des régimes politiques dictatoriaux et autoritaires, les Etats perçoivent la Cour comme une nouvelle tribune pour les défenseurs des droits de l’homme et une nouvelle source « d’embarras » pour eux. En réalité, sans l’implication des ONG et l’influence du contexte global, cette Cour n’aurait certainement pas vu le jour.

Des faiblesses institutionnelles à dessein

Faute de s’opposer ouvertement à la création de la Cour, il semble que les Etats africains aient opté pour des stratégies plus discrètes en affaiblissant le texte fondateur. La dernière méthode étant en effet moins coûteuse en terme d’image que la première. Ainsi, ils vont restreindre l’accès à la Cour aux individus et aux ONG. Ces derniers ne pourront la saisir directement que si et seulement si l’Etat en cause a fait la déclaration autorisant la Cour à recevoir les requêtes individuelles. Les droits de l’homme étant par définition les droits des individus, il est clair que par cette exigence, les Etats donnent d’une main et reprennent de l’autre. Aussi, l’absence de mesure de contrainte visant à assurer l’exécution des arrêts de la Cour l’empêchera de jouer pleinement son rôle de protection des droits de l’homme. En effet, le volontarisme des Etats consacré par l’article 30 du Protocole ne peut constituer à cet égard, une garantie suffisante. Le Protocole confie le suivi de l’exécution des arrêts de la Cour à un organe politique, en l’occurrence le Conseil exécutif de l’UA. La Cour ne pouvant alors veiller au respect de ses propres décisions. C’est l’exemple de l’Etat ivoirien qui, condamné depuis le 18 novembre 2016 par la Cour à réformer sa structure chargée des élections pour la rendre conforme aux conventions internationales, ne s’est engagé que deux ans après à prendre des mesures allant dans ce sens. On peut également citer le Mali qui n’a encore pris aucune disposition suite à l’arrêt du 11 mai 2018 dans lequel la Cour lui demande de modifier sa loi sur le mariage qui fixe l’âge de mariage à 16 ans pour la femme. Il est manifeste que de telles règles de fonctionnement transforment la Cour en une coquille vide.

Manque de ressources humaines et financières

Non réellement désirée, la Cour semble être laissée pour compte. Les ressources aussi bien humaines que financières mises à sa disposition sont largement insuffisantes. En effet, hormis le Président de la Cour qui exerce ses fonctions à temps plein et réside au lieu du siège de la Cour, les dix autres juges travaillent à temps partiel alors que le nombre d’affaires devant la Cour ne cesse de croître. Cette situation a pour conséquence le retard dans la finalisation de certaines affaires. Du côté du Greffe qui a été reformé en 2012, tous les postes ne pouvaient être pourvus immédiatement faute de fonds suffisants. Selon le même rapport et celui de 2016 qui est le tout dernier, les locaux actuels sont trop étroits pour abriter le personnel ainsi que les activités de la Cour. Si le pays hôte (la Tanzanie) lui a soumis des plans architecturaux depuis 2016, aucun bâtiment n’a encore été livré à la Cour pour se reloger.

Somme toute, si la création de la Cour africaine à faire naître des espoirs sur le continent, il faut malheureusement admettre que son inefficacité semble avoir été programmée. Il est surtout à se demander si l’idée de la création de cette Cour a été mûrement pensée. Elle qui était déjà condamnée à disparaître avec la fusion annoncée depuis 2004 avec la Cour de Justice de l’UA, alors qu’elle n’avait pas commencé son activité.

Zakri Blé Damonoko Anicet, Etudiant-juriste, Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest -Unité Universitaire d’Abidjan.

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