Par Docteur Joseph Martial Ahipeaud
La Cote d’Ivoire aura 58 ans le 7 Aout 2018. Dans la vie d’un homme, à cet âge, l’on a pratiquement bouclé sa vie avec la retraite qui n’est plus qu’à une décennie près. Mais, à 58 ans, La Cote d’Ivoire est encore dans les prémices de son existence. Elle peut encore rêver de grandeur, de puissance et de magnificence. Car, c’est dans la nature des choses que les nations se bâtissent, comme nous l’avons chanté à l’école primaire, par « milles générations » qui son empreinte chacune.
Oui! La génération des Pères de L’Indépendance, dans un contexte colonialiste et conflictuel a l’échelle mondiale avec la Guerre Froide, a réussi à arracher une liberté partielle mais ô combien fantastique pour ceux qui étaient corvéables à merci au rythme des chicottes et des brimades quotidiennes. Anticipant sur les perspectives de notre Continent et de notre pays, Le Député Houphouët-Boigny envoya la génération qui allait les aider en France pour devenir les élites dirigeantes nationales. C’est cette génération qui a tout eu, d’une part par la Puissance Coloniale, et d’autre part, par le fruit de l’indépendance, qui a aidé à construire le pays, et hélas, à le déconstruire. La déconstruction s’est opérée par la remise en cause des fondations de la nation parce que La Côte d’Ivoire est la mère de l’indépendance avec le RDA que le peuple ivoirien, par sa mobilisation politique et financière, a soutenu de bout en bout. La guerre civile ivoirienne fut alors le moment ultime car au cœur de celle-ci, reste comme une gangrène, la problématique de la succession quasi-royale à la tête du pays. Au soir des 58 années d’une histoire complexe mais riche, toute la question reste de savoir si notre génération trouvera une voie non conflictuelle pour régler la problématique démocratique ou alors s’empêtrera-t-elle dans les vieilles dynamiques que semble avoir plantées nos prédécesseurs ? Notre génération saura-t-elle reconnaitre sa mission pour l’accomplir ou la trahir ? Comment ne pas tomber dans le piège de la succession générationnelle proposée par le Président Ouattara à son aîné Bédié, pour ne pas donner le prétexte de notre incapacité qui justifierait leur maintien au pouvoir ?
Répondre à ces questions angoissantes nous impose de clarifier les problématiques qu’elles posent.
La première est celle de l’identification de la « génération ». Pour notre part, la génération dont nous parlons est celle de la deuxième vague des dirigeants ou non de ce pays qui ont été les collaborateurs ou non de celle, la première vague, de l’aventure 46 et ses suites immédiates. La première vague fut les aides des Pères Fondateurs bien que nombreux furent aussi leurs plus viscérales critiques. C’est celle qui tient le pouvoir politique, économique et social après la disparition physiologique des Pères fondateurs. Si Bédié a hérité du PDCI, Ouattara a apporté une aide précieuse au moment où le bateau Ivoire tanguait quand Gbagbo a posé la problématique de l’alternance démocratique comme facteur de développement. Guéi a essayé un recentrage en pleine dérive mais n’a pas pu réussir à le faire. A la suite de Memel Harris Foté, qualifions ces diadoques contemporains de Famas et notons que c’est leur approche de la gestion de la question de la succession à la tête du pays qui est la cause fondamentale de la crise actuelle. N’ignorons donc pas cela pour savoir aborder la situation différemment.
Car, à la vérité, l’alternance au pouvoir, non seulement, n’a rien changé, mais a dangereusement approfondi les contradictions internes pour en faire des causes d’un conflit hideux. Par conséquent, il nous parait naturel de ne point voir la solution en termes d’alternance mais plutôt d’alternative. Cela suppose que notre génération, divisée entre ceux qui ont soutenu le parti unique et ceux qui ont bataillé pour le pluralisme, ose ramer à contre-courant pour offrir cette alternative attendue par notre peuple depuis 1977.
En effet, une chose extraordinaire réussie ces 25 dernières années, est la transformation des chapelles claniques et politiques en véritable opium du peuple, c’est-à-dire, des religions dont le dogme semble être la pensée unique. Ainsi, la pensée unique de chaque camp est devenue la règle. Penser différemment de son clan ou de son parti, de sa région ou de sa classe sociale ou d’âge, est anathème, suicidaire. Ramer à contre-courant était et reste l’unique option pour affirmer notre liberté comme les camarades du MEECI le firent contre leurs contemporains que nous étions pour défendre, avec courage et abnégation, l’ordre établit. Nous avons ramé, nous de la FESCI, aussi à contre-courant pour affirmer que la Chute du Mur de Berlin signifiait la fin des partis uniques et de l’unicité de la pensée. Exprimant leur différence, Les camarades du MEECI ont eu souvent même plus de courage que nous autres parce qu’ils s’opposaient à leur génération dans sa grande majorité. Les Fescistes, en s’opposant au parti unique, voulaient donner du sens, en Terres Africaines, au moment historique de l’amorce de l’ère de la démocratie et de liberté. Nous avons eu le courage de ramer à contre-courant des forces étatiques qui voyaient en cette alternative systémique une catastrophe et la « fin de l’histoire ». Au tout puissant Vizir de la République Houphouëtiste, Alain Belkiri, je pouvais affirmer en juillet 1990, que l’avenir de notre pays ne pouvait désormais reposer sur Le Père Houphouët-Boigny, mais bien sur La Loi Impersonnelle et La Démocratie institutionnalisée.
Devrait-on croire au hasard si la mort de Djah Jean nous ouvrit la perspective de nous asseoir, Fescistes et Meecistes, pour discuter et même croire que nous pouvons avoir une pause pour pouvoir débattre ensemble de ce qui nous rapprocherait et non de ce qui nous diviserait ? Si Nous Fescistes, avons répondu présent à l’invite du 1er Mai, c’est bien parce que nous croyons en la capacité des différentes composantes de notre génération à s’asseoir et trouver des solutions idoines pour notre pays. C’est en somme, voir l’intérêt supérieur de notre pays, certainement contre nos intérêts immédiats, partisans ou personnels. Ce n’est certainement pas de penser être plus malin que l’autre ou vouloir l’instrumentaliser pour des objectifs mesquins que nous savons très bien que l’autre aura compris avant même que nous nous soyons assis à la même table.
Si nous nous asseyons pour discuter, c’est bien au moins trois problématiques cruciales : celle de la gouvernance électorale, de la réconciliation et enfin des priorités du peuple ivoirien à l’instant même de son histoire.
DE LA GOUVERNANCE ELECTORALE
C’est la mère de toutes les crises. Cette question est la cause du coup d’état et de la guerre civile. Il faut avoir le courage de ramer contre le courant de la pensée unique pour enfin accepter que notre pays a besoin d’instruments objectifs de gouvernance électorale, notamment une Commission Electorale Indépendante et un Conseil Constitutionnel non partisan. Le coup d’état ne nous a pas empêchés d’avoir une CEI qui vient d’être condamnée par la CAHDP comme illégitime et rétrograde. Qui plus est, la deuxième et la troisième république semblent être nées dans la violence avec des caractères profondément antidémocratiques.
Si le coup d’état et la guerre civile ne nous ont pas permis d’avoir des institutions démocratiques, concluons donc ensemble que les mêmes causes ne peuvent produire des résultats différends si les hommes n’ont pas changé de visions et de pratiques. Ramer à contre-courant est donc de s’asseoir et discuter sur les incohérences et insuffisances passées pour proposer des alternatives crédibles et consensuelles. Vouloir faire le contraire est tout simplement recommencer le même cycle pour le même résultat
LA RECONCILIATION NATIONALE
Donner un sens à ce concept est une priorité parmi les priorités. La définition de la réconciliation est avant tout la reconnaissance de la responsabilité de chacun dans cette crise que connait et traverse notre pays. Ce prérequis nous met dans une position de relativité pour que la modestie et l’humilité soient les principes de base qui devraient gouverner ce processus. Comment ne pas reconnaitre nos responsabilités tant individuelles que générationnelles et vouloir parler de s’accorde sur quoi exactement?
Pour notre génération du pluralisme, qui parmi les Meecistes ou Les Fescistes, pourraient dire qu’il est innocent bien que ce soit à des degrés divers. Mais, même ceux qui veulent prétendre n’avoir rien à se reprocher, combien peuvent-ils affirmer qu’ils n’ont point tiré profit de la situation globale? Par conséquent, comme Zadig de Voltaire, nous dirons il n’y a rien de nouveau sous le Soleil ou comme Kourouma, Allah n’est pas obligé. Dès lors, il importe de revisiter l’histoire avec l’œil critique et de l’autocritique. Ramer à contre-courant est justement de ne pas voir en l’autre le bourreau tout en niant sa part pour justifier une hauteur morale inexistante.
Cela étant, la réconciliation devient alors un effort de remise en cause de notre idéologie, de notre doxa, pour intégrer celles des autres et trouver un terrain de consensus. La seule option qui nous reste après 41 ans de lutte contre et pour le pluralisme, est que La loi doit être la force et la force l’exception. La réconciliation est donc la reconnaissance par tous que l’Etat ne devrait pas être personnifié et que seules les institutions fondées sur le droit sont capable de préserver les intérêts de tous en garantissant le droit de chacun. Reconstruire la Cote d’Ivoire sur ces bases principielles est donc l’option qui nous reste pour donner une nouvelle impulsion à notre pays et créer les conditions d’un nouveau contrat social. Cela n’est pas faisable si certains croupissent en prison et d’autres se régalent parce qu’ils ne sont pas les victimes pour le moment de cette machine infernale de l’état postcolonial. Cela nous laisse à concevoir un projet, non pas individuel, mais collectif pour savoir nous réinventer car les perspectives de notre pays ne sauraient être de réchauffer l’ancien model.
RECONSTRUIRE LA COTE D’IVOIRE
Cette tâche est collective et non individuelle. C’est l’effort de tous à mettre les intérêts de la nation avant ceux de nos personnes, de nos régions ou classes sociales et d’âge. Il ne s’agira pas de devenir le nouveau Fama. Il s’agira de créer un collectif qui va dans le sens de la modernisation radicale du pays pour lui donner un sens dynamique dans les quatre prochaines décennies.
Cela suppose un consensus minimum sur la lutte contre la corruption systémique parce que notre pays ne peut plus se permettre d’ignorer les graves défis de l’heure: éducation dramatiquement catastrophée, sante publique drastiquement endommagée et développement économique et industriel dangereusement sinistré. L’épargne national doit principalement servir non pas à l’enrichissement individuel mais au financement des infrastructures collectives pour redonner, sinon reconsolider le socle du projet Houphouëtiste qui tient encore, 40 ans après avoir atteint son summum en dépit de toutes les crises que nous avons traversées.
Cette vision ne peut pas être celle d’un individu illuminé. Elle doit être l’engagement de toute la génération pour éviter le drame de Christophe Le Roi d’Aime Césaire ou celui de la Somalie de Siad Barre. C’est pour cela que la responsabilité des fescistes est primordiale dans cette dynamique historique qui s’offre à notre pays dans la dernière ligne droite qui mène a la présidentielle de 2020. Le président qui en sortira, qu’il soit de notre génération ou de celle des aînés, ne devra conduire que cette politique de consolidation des acquis de la nation dans une perspective d’union nationale parce que la reconstruction de du pays ne saurait se faire autrement. Aussi, pour éviter le traquenard stratégique qui est devant nous, il nous importe de nous appliquer les préalables que nous avons soulevés plus haut. A cause de ce que nous avons été au cœur des toutes les diatribes et batailles, il importe que nous nous appliquions la recette de la critique et de l’autocritique. Puis, avec nos amis meecistes et autres, il importe de s’asseoir et discuter. Enfin, il est impérieux que nous sachions mettre en avant, non pas la force de notre soi, mais celle de notre collégialité pour atteindre un état de solidité morale et propositionnelle qui nous positionne, dans la durée, au centre du processus historique en cours. Faire autrement serait ne pas ramer à contre-courant de nos visions et intérêts égoïstes et partisans. Ramer contre ces courants d’exclusion, revanchards et suffisants est assurément la route vers une liberté collective et une possibilité de reconstruire la nation sur des bases de droit et de démocratie. Toute la question reste de savoir si nous le pourrons! Oui si et seulement si nous osons, comme notre ADN idéologique l’impose, avoir le courage de ramer contre les courants conservateurs et rétrogrades qui veulent ou nous maintiennent dans la dialectique de la conflictualité et non de la réconciliation. Osons seulement!
Bonne fête de l’Indépendance !
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